Ainsi hier (mardi 16 juin) les  professionnels de santé étaient dans la rue.

Nous étions dans la rue.
Depuis plus d’une année nous avions enfin exprimé nos immenses difficultés après être allés au bout de l’insupportable, après nous être tus longtemps, après avoir tout fait pour gérer nos propres épuisements physique et moral.

Nous avons appelé au secours

Nous avons appelé au secours devant ce que nous avions devenir une incapacité à VOUS soigner.

Appelé au secours devant les réorganisations, devant les fermetures de services, de maternité, d’hôpitaux.
Appelé au secours devant la contorsion sémantique de Buzyn et sa « création de 600 hôpitaux de proximité » qui n’étaient que des dégradations d’établissements déjà existants auxquelles on a supprimé des lits et confisqué des activités. En gros, on labellise sur du déjà bâti en réduisant l’offre de soins. Vous avez besoin d’être hospitalisé près de chez vous ? Bah ce n’est plus possible, mais à la place vous avez un joli dispensaire pour les bobos … comment ça ça vous convient pas ? Bah dommage.
Appelé au secours devant les traitements inouïs de négligence infligés au secteur psychiatrique.
Appelé au secours devant l’insuffisance de lits de réanimation pédiatrique en Ile de France à l’automne 2019 lors de épidémies de bronchiolite : on a du transporter des tout petits patients dans des états critiques à des centaines de km de leurs parents et familles.

La santé était devenue plus politique que jamais.
Le mépris pour toute réponse, le silence, le dédain.
Et puis on s’est tus … on s’est tus parce que le COVID arrivait et qu’il fallait assurer.

Nous avons dû complètement transformer nos hôpitaux, partout et en quelques semaines, et cela a été une bascule énorme pour tous, dogmatique, organisationnelle, psychologique.
Obéir aux injonctions qui choisissaient qui avait le droit d’être soigné et qui ne l’avait pas.
Se soumettre au manque de masques, de matériel, de médicaments.
Regarder mourir nos anciens dans les EHPAD dans une solitude inhumaine avec notre seule main impuissante et torturée pour toute compagnie.
Dédier tout notre temps à l’hôpital avec des semaines inédites de travail, sans répit, en oubliant qu’on avait des vies et des familles.
« Etre en guerre » et se sentir les 1eres victimes alors que notre mission est de soigner.

Inconcevable.
Impardonnable.

Et hier, au vu d’un Ségur de la Santé qui va continuer à nous maintenir la tête sous l’eau et ne fait que réaffirmer le plan « ma santé 2022 » annoncé par Buzyn et Philippe au début du quinquennat, hier nous étions dans la rue en appelant de nouveau au secours.

Alors oui, savoir que des collègues ont été brutalisés me rend malade.
Je ressens sous la peau cette lacération qui explose les records d’injustice, violence opérée par des collègues de cette même fonction publique d’Etat parce qu’eux aussi doivent se soumettre aux ordres.

Je ne supporte pas qu’on s’en prenne à la fonction publique, quelle qu’elle soit, et je ne supporte pas qu’on abandonne nos soignants dans ce marasme dégueulasse et tellement organisé.

Mais pas comme ça putain ! Pas comme ça !

Cette infirmière a jeté des cailloux, elle doit être interpellée, c’est évident et indéniable. Mais pas comme ça putain ! Pas comme ça ! Pas avec 5 hommes costauds qui lui tirent les cheveux et la maintiennent au sol les mains dans le dos avec leurs genoux pour la contenir. Pas comme ça ! JAMAIS comme ça !

Et puis elle a quelques raisons d’être à bout de fureur, à défaut d’avoir des excuses pour s’être adonnée à la violence … elle a craqué, oui. Elle a aussi fait fonctionner des respirateurs, tenu des peaux en détresse, fait des toilettes au plus intime de ce que vous pouvez seulement imaginer, préparé des médicaments en prenant soin de ne pas se tromper même à bout de stress, programmé des pousse-seringues, fait ses transmissions, relevé des constantes, répondu au téléphone à la famille dévorée d’inquiétude en oubliant la sienne, mis ses mains sur les corps nus et exposés, défié le virus alors même qu’elle était obligée de compter ses masques.
Elle a fait tout ça. Est-ce que tout cela a été filmé ? Non… c’était son devoir et son travail et elle sera la 1ere à l’admettre parce que c’est vrai.
Et elle a craqué.

C’est tellement commode maintenant de faire tourner ça en boucle pour que chacun puisse en débattre pendant qu‘on continue à nous asphyxier et nous EMPÊCHER de soigner efficacement, décemment, humainement et si possible en n’ayant plus jamais de sentiment d’avoir été en dessous de tout quand notre mission est si noble et si irremplaçable.

Qu’on la laisse être interpellée, interrogée et punie à la hauteur de sa faute et rien d’autre ;
Rien d’autre.

Ma collègue médecin anesthésiste qui raconte qu’elle a été gazée pour rien, comme ça, gratos… elle qui est la paix même, engagée au service de cette santé publique et qui était dans la rue hier : cette femme a été médecin en mission humanitaire, elle n’a rien à apprendre de la guerre et de la paix, elle en connait toutes les horreurs. Qu’on me donne une seule bonne raison de l’avoir traitée ainsi. Pareil pour mon collègue infirmier anesthésiste.

Ici, à Clermont, tout s’est bien passé, on a applaudi la police et la police nous a applaudis.

Dans le même bateau putain, on est dans le même bateau.

Mais ça, on ne le verra sur aucune chaine H24 … à qui profite le crime ?

Alors quand je vois ce que les chaines d’info sont capables de FAIRE pour attiser encore et encore cette division entre les catégories, entre les citoyens, entre les humains juste pour occuper la place dans nos intelligences, créer du confort pour que les maltraitances gouvernementales puissent opérer et finir de semer la guerre sociale ça me rend folle d’indignation et de douleur. J’ai super mal.

On vaut mieux que ça putain !

Ce combat n’est pas celui des professionnels de santé . Il est celui de TOUS.

TOUS.

2 Commentaires

  1. Merci Corinne. Je suis, quand à moi, futur sujet patient de ces infirmières et personnels de santé, alors évidemment je tiens à ce que l’état leur donne les moyens de travailler et de soigner. C’est très égoïste comme point de vue, mais ça devrait être celui de tous les futurs malades. Que ceux qui se croient à l’abri lèvent la main, les imbéciles.

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