Chaque jour, Alain adresse à l’Archipel des Sans-Voix un « billet » et parfois des images pour que nous puissions les publier ici en son nom.

Billet 4 –  jeudi 19 juillet : Col du Grd St Bernard > Aoste
(32 Km / Cumul 75 Km).

La précarité c’est comme un tatouage qu’on ne peut enlever … Je vous écrit cela parce que depuis mon départ j’avais su m’installer dans une forme de marginalité qui me tenait à bonne distance de la société mais celle-ci a su me rattraper ce matin. Alors que j’avais déjà mon sac sur le dos pour me rappeler l’attraction terrestre, le coup de fil d’un huissier a mis un frein à mes velléités de marcheur. Questions brusques attendant des réponses claires et précises, accusations basées sur les affirmations d’un créancier, un dossier vieux de trois ans……

Imaginez, à 2.600 mètre d’altitude, j’ai du négocier avec un homme que je ne connais pas de ne pas rentrer ce soir à Grenoble mais qu’il accepte de me laisser quelques jours et ce d’autant plus qu’il part en vacance à la fin de cette semaine … Alors je dois être dans son bureau la 20 août prochain pour lui montrer, papiers à l’appui, que ce dossier est clos. Ma parole ne suffit pas.

Alors j’ai râlé à voix haute, hurlé au loup face aux sommets et me suis demandé ce que je foutais là. Et alors je me suis dit qu’il fallait bien que je redescende non pas pour l’affronter mais pour lui faire l’éloge de la lenteur et de peut-être lui rendre un peu de cette âme voyageuse que nous avons chacun d’entre nous quelque part en nous.

Je suis donc reparti, avec cette envie de foncer et très vite je dois vous avouer que je me suis senti bien, bref à ma place. Et puis les bruits de la forêt me font l’effet d’une foule de supporters qui me regardent passer. Mon corps, après le fort dénivelé d’hier, à même oublié de se rebeller et c’est comme un jeune homme que j’ai parcouru ces 30 kilomètres.

Aoste ville magnifique ou la Langue française est omniprésente dans le quotidien de la ville.
Je vous enverrai des photos demain….

Billet 5 – vendredi 20 juillet : Aoste > Verrès
(35 km / Cumul 110 Km)

Bonsoir,
Aujourd’hui, j’ai laissé mes pieds et mes jambes se mouvoir, pour mieux me plonger dans un autre voyage, plus personnel et donc plus intérieur. La raison : une longue étape faite de montées et de descentes pour éviter la vallée si étroite que l’on a dû concentrer dans un espace réduit, une route, une voie ferrée et une autoroute et des villes laides et grises. Alors pour éviter cela j,ai emprunté des chemins muletiers à flanc de montagnes épousant fidèlement le relief. Vous y ajoutez un soleil de canicule, peu d’ombre et très peu de rencontres et vous avez une idée du personnage que j’ai emprunté aujourd’hui. Celui du marchand pressé d’arriver et non du flâneur profitant des aubaines de la route. Mais de temps en temps cela fait du bien.

Pousser mes muscles, mes tendons, ma peau, exutoire à la morosité, pour me sentir vivant par la douleur que j’ai provoqué et donc que je maîtrise parfaitement. Ce n’est pas parce que je suis actuellement sans adresse fixe que je suis sans lucidité. C’est vraiment ainsi que je Suis en phase avec moi-même quand je dis que le voyage répare, que la voyage apaise l’esprit et quelque part même me Transforme. Mon corps s’endurcit de jour en jour et de nouveau je suis heureux de vivre car enfin je ressens mon corps.

Alors même si toute la journée d’immenses éoliennes peinaient à brasser un ciel lourd, ce soir je suis en phase avec Moi.

Je vous embrasse toutes et tous dans un élan sincère d’amitié Fraternelle.

Billet 6 – Samedi 21 juillet : Verrès > Pont Saint Martin
(14 km / Cumul 124 Km)

Pas de réseau, pas de petits mots !!!!! Et oui ça arrive encore et c’est tant mieux qu’il existe des endroits où l’on peut encore se retrouver avec soi-même…..
Le billet n’a été envoyé par Alain que le dimanche en fin d’après-midi.

Vous m’avez manqué, Bonjour !!!!

S’il m’avait fallu une seule raison pour me faire gamberger sur ma motivation de ce voyage et bien sachez que cette étape suffirait à elle seule. Pas de fantasme, juste me confronter à une réalité et comme hier marcher pour renaître au monde. Marcher pour traverser un territoire, découvrir des espaces, ressentir des émotions jusqu’aux larmes. Je ne sais pas vous, mais moi au cinéma souvent je pleure, enfin je me mouche et bien hier à plusieurs reprises, je n’ai rien retenu et tout est venu. De grosses larmes bien chaudes, cristallines, silencieuses, comme des envies d’île déserte … Petits fragments de bonheur emmagasinés depuis le départ et qui hier, allez savoir pourquoi, ont fini par faire un tout. Et si le verre comme le bonheur, ça casse très vite, je peux vous certifier que je sais maintenant où mettre les pieds.

Et puis je crois aussi que depuis 7 jours maintenant, avec la marche et le sommeil pour seule activité, je suis dans une forme d’ascèse. CQFD …
Le bonheur est peut-être de se suffire à soi-même et savoir se fabriquer de bonnes heures. Et aujourd’hui j’y suis arrivé.
C’était bien.

Merci de vous lire.
Je vous embrasse et oui, j’y prends goût !!!!
Alain

Billet 7 – dimanche 22 juillet : Pont Saint Martin > Ivréa
(17 km / Cumul 141 Km)

Bonsoir, Le chien !!!!!

Je déteste cet animal et je dois dire qu’il me le rend bien. J’ai passé ma journée à traverser des villages, enfin des hameaux, pour être plus précis des routes entre deux maisons une souvent en ruine et l’autre avec une antenne de télé donc habitée, et à chaque fois on m’a aboyé dessus. Des petits, les plus vicieux, des grands, dangereux, des mâles, des femelles, là, il y a de la parité et les filles ne sont pas plus intelligentes que leurs collègues masculins. Mais alors pas du tout. Des noirs, des blancs, des sans couleurs définies, des propres, des sales, des gris, des qui aboient de loin et d’autres de très près mais très très près. Des ceux qui t’accompagnent pendant longtemps à distance et ceux qui jaillissent des cours prêts à te sauter dessus … Et puis il y a celle, pardon mes amies, qui m’a bien chopé le pied et que j’ai dû bousculer pour qu’elle me lâche … .et bien sûr dans ces cas là les propriétaires ne sont jamais présents.

Pour le marcheur, Dieu a créé la crampe et l’ampoule. Le Vieux Campeurs, lui c’est plus le sac à dos qui scie les épaules et Satan, le chien. Ne pas montrer sa crainte, ne pas tourner le dos, ne pas le fixer dans les yeux, faire mine que tout est normal, mais alors quand est ce que j’avance ? Et puis la remarque que c’est le bâton que je tiens qui est menaçant pour lui, ce n’est pas à moi quand même de lui expliquer que ce sont des cannes de marche. Mais comme je les ai acheté, et cher, je ne vais pas m’en débarrasser pour faire plaisir à un clébard dont la seule utilité aujourd’hui aura été de poursuivre les engins à moteurs et à faire peur au marcheur. Ça rime.

Allez demain sera un autre jour….
Je vous embrasse
Alain

*** Chronique à suivre … pas à pas ***

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