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Aujourd’hui, j’ai fait la grève des infos. Hier et ce matin, j’ai reçu et vu tant d’informations contradictoires sur Monsieur Raoult et Mademoiselle Chloroquine que je me suis rappelée que je n’avais après tout qu’un bac L gagné au grattage il y a plus de 40 ans et que je ne m’y connaissais vraiment pas assez en sciences et encore moins en médecine (sauf en ce qui concerne la pose d’un sparadrap sur une ampoule et l’usage de tisanes le soir) pour juger de quoique ce soit. En tout cas, pas aujourd’hui !

 Je me suis donc déconnectée des réseaux pour éviter que mon cerveau ressemble au pâté qui doit trembloter dans celui de notre (effroyablement) « cher » président. Il est vrai que ce président-ci va nous coûter des centaines de milliards aujourd’hui et demain pour avoir refusé d’investir hier une petite douzaine de milliards dans un « plan hôpital » qui nous aurait permis d’accueillir correctement cette « grippette sans importance ».

Alors je vous raconte ma promenade dans Marseille Centre ce matin, car c’est ce que j’ai vu de mes yeux vu avec mon petit bac L, pour ceux qui auraient envie de me suivre sur la Canebière en ce jour 8 du Grand Confinement. 

Ce matin, donc. Il faisait froid et gris, un temps parfait pour sortir promener mon  « Attestation de déplacement dérogatoire ». Je ne voulais aller qu’à la pharmacie du coin de la rue mais, je ne sais pas comment, mes pieds n’en ont fait qu’à leur tête et, du haut du boulevard Longchamp, ils m’ont emmenée jusqu’au cours Belsunce,  en bas de la Canebière.

Adieu toute idée de mixité sociale

Ce que j’ai vu, c’est qu’il n’y avait pratiquement plus que des gens en apparence très modestes dans les rues. Adieu toute idée de mixité sociale pour le coup. J’ai vu quelques dames âgées traîner des caddies, quelques dames plus jeunes portants des sacs pesants. Mais surtout, des hommes, tant d’hommes, une majorité d’hommes. Où sont passées les femmes ?

J’ai vu des clochards, des mendiants, des SDF partout. Debout, assis dans des encoignures de portes d’immeubles, aux arrêts de tram,  faisant  la manche ou pas. Je n’avais jamais vu autant de mendiants en même temps sur la Canebière. Une trentaine de pauvres gens croisés sur 1 km parcouru, hagards, hirsutes, sales, l’air épuisé, certains se coltinant des grands sacs remplis à craquer de leurs affaires, j’imagine, vous savez, ces fameux sacs à rayures bleues, rouges, qui accompagnent la misère dans le monde entier depuis 20 ans, 30 ans… Je n’ai vu aucun « bobo », très peu de jeunes. Dans les avenues presque vides, se faire interpeller gentiment pour une petite pièce tous les 2 mètres par des gens fracassés de la vie, souvent âgés, c’était d’une grande tristesse…

Nous les testerons quand elles seront gravement atteinte

Poussée par mon sens de la taquinerie, j’ai poussé la porte du laboratoire d’analyses médicales de mon quartier pour « voir » si je pouvais être testée puisque nos ministres prétendent que tout va bien en France et que l’on ne manque de rien. J’explique à la biologiste que j’essaie d’aider 2 personnes très âgées dans mon quartier et que je crains de les contaminer. Côté humour noir, j’ai été battue. Voici sa réponse (sa rage froide d’être une soignante démunie de tout ne pouvait s’exprimer que dans ce cynisme glaçant) : « Nous ne pouvons pas vous tester. Continuez à prendre soin de ces personnes. Nous les testerons quand elles seront gravement atteintes, pas avant ». Elle m’a expliqué qu’ils avaient si peu de tests ! Le Pr Raoult fabrique ses propres tests car ils ont la souche du virus et les équipements pour ça à l’IHU mais elle ne savait pas comment ils font pour avoir assez de chloroquine pour les prescriptions.

Il restait 3 pauvres étals sur notre marché des Réformés. Sans doute plus pour longtemps. Près du kiosque des Réformés, Zarafa la girafe tendait mélancoliquement son cou au dessus du chantier abandonné du futur « Artplexe » (7 salles de cinéma Art etEessai alors que notre vieux ciné « les Variétés », un peu plus bas, vient juste d’être rénové)  et son girafon qui nous sert de « borne de livres échanges » avait le ventre vide. Plus un livre à « emprêter ».

Du haut de Longchamp jusqu’à Belsunce, aucun policier en vue. Aucun. Même devant le grand commissariat de Noailles. Sur la porte, ce panneau qui m’a fait pleurer de rire : « Si vous êtes atteints du coronavirus, merci de rester à l’extérieur et de signaler par gestes que vous êtes malades ». Je me suis demandée quel geste pouvait vouloir dire « je suis atteint du coronavirus » ? Un doigt d’honneur ?

Cours Saint-Louis, j’étais en train de prendre une photo d’une affiche du fameux numéro du gouvernement pour s’informer sur le coronavirus (un numéro que j’ai dû appeler 40 fois quand j’en avais besoin, sans succès) quand je vois arriver en silence, descendant lentement la Canebière, 1, 2, 3,  4, 5, 6, 7, 8, 9 ! fourgons de CRS… dont l’un avec une remorque qui m’a rappelé la forme des remorques de canon à eau. Ils se sont garés le long du trottoir cours Belsunce.  J’ai commencé à les filmer d’un peu plus loin.

la rage chez tous les gens que j’ai croisés, elle était facile à percevoir.

Une dame âgée, avec un énorme caddie, râle à côté de moi « Ah, les voilà, les  b….  ! Ils vont me contrôler ! Et moi je n’ai pas mon attestation parce que je n’ai pas d’ordinateur ni d’imprimante ! ».  Je lui propose de lui donner une attestation vierge que j’ai en plus sur moi, pour le cas où…  Je continue à  filmer les CRS, me demandant avec inquiétude ce qu’ils viennent faire là. Tout est calme, il n’y a presque personne dans les rues, pourquoi viennent-ils aussi nombreux ? Je réalise, en cherchant dans mon sac l’attestation vierge pour la dame, que j’ai oublié la mienne sur mon bureau. Et que l’amende de 135€ me pend au nez. Désolée de ne pas pouvoir filmer davantage, je suis obligée de repartir chez moi, frustrée de ne pas pouvoir savoir ce qui s’est passé ce matin cours Belsunce ? Des contrôles absurdes et sadiques de SDF ? Des verbalisations musclées et si lucratives contre de pauvres gens pour qui 135€, c’est les repas d’un mois entier ?

Impossible de reconnaître Marseille dans cette ville fantôme, glacée.

Mais par contre, la rage chez tous les gens que j’ai croisés, elle était facile à percevoir. Cultivons-là, ainsi que l’espoir et la volonté, pour l’après.

Linda (Marseille)

Illustration-titre : ChW – « Chemin en tunnel, obscur, mais qui mène à la Lumière »

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