L’association Les Elles de la Terre rassemble toutes les femmes qui ont un lien de près ou de loin avec le monde rural ainsi que l’agriculture. Le but de l’association est de pouvoir s’exprimer sans jugement, de respecter le choix de vie de chacune avec bienveillance, d’élargir les connaissances mutuelles pour trouver des solutions ensemble et pouvoir avancer sereinement. Nous avons ce qu’il y a de plus vrai aujourd’hui, la parole. Parler pour ne plus être seule, parler pour éviter le pire, parler pour exister. Présente à la 1ère Journée de Printemps des Sans-Voix à Paris en mars 2019, les ELLES de la Terre se sont tout naturellement reliées à l’Archipel des Sans-Voix pour un combat commun. Toute seule on va plus vite, ensemble on va plus loin.
Le « Elles de la Terre » relaient Patrick Bougeard, président de l’association « Solidarité Paysans » qui accompagne et défend chaque année 3 000 familles d’agriculteurs dans la difficulté.
Vous accompagnez tout agriculteur en difficulté qui vous sollicite. Quel est l’état des lieux de vos interventions ?
Nous accompagnons 3 000 familles, sur 3 ans en moyenne. Ce chiffre a augmenté à partir de la crise laitière de 2008. Nous avons été contactés par des exploitants plus jeunes et plus endettés. Après réactualisation, nous devrions atteindre 3 400 familles.
Êtes-vous entendus de l’administration ?
L’association Solidarité Paysans est devenue incontournable sur le sujet. Près de 70 % des personnes que nous avons suivies, ont été maintenues en emploi. Notre méthode est rigoureuse : nous proposons aux agriculteurs volontaires un diagnostic global. Nos deux intervenants (un ou deux bénévoles et/ou un salarié) les écoutent raconter leur histoire, évoquer leurs perspectives. Ils sont les premiers acteurs de leur redressement. Nous accompagnons, sur un temps long (3 ans en moyenne), des personnes et non des exploitations, partout où on nous le demande.
Comment devient-on bénévole dans votre association ?
Les candidats ne manquent pas. Mais être bienveillant ne suffit pas. Les gens qui souffrent ont un impact sur leurs accompagnateurs. Nos 1 000 bénévoles (soutenus par le travail de 80 salariés) sont formés, puis bénéficient d’une supervision.
Êtes-vous satisfait de l’arsenal législatif existant ?
Les procédures administratives « agriculteurs en difficulté » sont obsolètes. Nous n’avons pas intégré le processus en place. Cela va changer avec l’instruction ministérielle qui devrait être publiée fin juillet. Nos demandes ont été entendues : la décision de rentrer dans le processus « agridiff » relèvera de l’agriculteur et non plus de la délation des créanciers. Il pourra choisir librement son expert dans une liste préfectorale où figurera Solidarité Paysans. L’audit sera cosigné par l’agriculteur et non l’expert. Il reste que, malgré l’augmentation des dossiers, l’enveloppe ministérielle de 3,5 millions d’euros en 2018 devrait être constante. Et l’aide maximale par dossier plafonnée à 10 000 euros.
Vous dites avoir reçu comme une claque l’annonce, début juillet, de la multiplication par deux des suicides paysans : un tous les jours !
C’est insupportable à entendre. Cela découle d’un modèle d’agriculture intensif inconséquent et de la dégradation du travail qui en découle. Nous le dénonçons tout comme la responsabilité des institutions agricoles et politiques. Ce ne sont pas des numéros d’appel qu’il faut pour les paysans en détresse, mais un accompagnement bienveillant et surtout un autre modèle agricole plus résilient.
Pourquoi dites-vous maintenir un esprit de résistance ?
Nous exerçons sur deux champs. Celui du soin, de l’accompagnement, de la proximité pour que les personnes émergent de leurs difficultés. Et celui du plaidoyer et de la dénonciation sur les véritables causes de ces malheurs. Nous accusons ce modèle productiviste qui fait violence aux hommes, qui les réduit à l’état de choses. Et qui veut faire accepter ce malheur comme inéluctable.
Propos recueillis par Marie-Gabrielle Miossec
La France Agricole
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