En tant que travailleur social et engagé dans le cercle associatif, la misère, la pauvreté, le chômage, la stigmatisation sont des problématiques que je côtoie régulièrement. L’esprit de cette chronique est simple : c’est un engagement contre la violence du capital qui crée toutes ces difficultés et contre une politique libérale qui elle, légitime l’inconcevable. Je publie régulièrement sur mon blog sur Mediapart.

Les migrants colonisent la France

Nicolas Dupont-Aignan a encore une fois frappé à l’encontre des exilés. Entre des imprécisions et des incohérences, son discours sur la colonisation de la France par les migrants est abject.

Le 23 juin 2018, Nicolas Dupont-Aignan était l’invité de Laurent Ruquier dans son émission « On n’est pas couché ». Le président du parti Debout la France s’est mis tout le plateau à dos avec sa rhétorique anti-exilés. En effet, entre langue de bois, imprécisions et méconnaissances, Nicolas Dupont-Aignan enchaîne les idées reçues sur la question de l’asile, une question si essentielle aujourd’hui.

Voici un extrait de son discours :

« Il faut arrêter d’alimenter l’appel d’air, les navires des ONG aujourd’hui viennent chercher les migrants à la frontière des eaux territoriales, c’est à dire aux côtes libyennes. Et une fois qu’ils ont sauvé les migrants et ils ont raison de les sauver, on va pas laisser des gens se noyer, il y a aucune raison que les bateaux des ONG reviennent en Europe. Il faut que les bateaux des ONG pour casser les passeurs, ramènent les migrants en Libye car c’est la seule façon de mettre fin au trafic juteux des mafias des passeurs. En acceptant les migrants, on donne de l’argent aux passeurs. »

Mais une intervention militaire est-elle une solution ? Si cette intervention est la même que celle effectuée par la France en 2011, en d’autres termes non pas pour défendre les droits humains mais avant tout pour les intérêts de la prédation capitaliste, nous courrons tout droit à une nouvelle catastrophe. Aujourd’hui, 2,4 millions de personnes, soit 1/3 de la population ont besoin d’une aide humanitaire. De plus, ce n’est pas seulement en mettant hors d’état de nuire les quelques centaines de passeurs que l’affaire sera réglée. La question est bien plus politique.

Cependant, l’idée consistant à dire que sans les passeurs il n’y aurait plus de sans-papiers est totalement absurde. Pourquoi est-ce qu’il y avait du trafic d’alcool pendant la prohibition aux États-Unis ? Parce que l’alcool y était interdit. Je ne veux pas prétendre qu’il faut légaliser tout ce qui est interdit mais ici, il faut questionner la relation entre les passeurs et les sans-papiers comme le demande Virginie Guiraudon. Il y a une sorte d’économie de passage qui répond à une loi de l’offre et de la demande. Tant qu’il y a une demande de services, il y aura un marché… Pour que les passeurs perdre ce sordide marché humain, des solutions sont possibles. Par exemple avec la mise en place de corridors humanitaires. C’est grâce à ce moyen que le Brésil a mis fin au trafic venant d’Haïti car mettre sur pied des couloirs humanitaires permet aux exilés de ne plus recourir aux passeurs.

Nicolas Dupont-Aignan a notamment osé prétendre que la France était « colonisée par les migrants ». Quelle démagogie… Dans un premier temps, le déplacement de population de 2015 en Europe s’est élevé à environ 1 255 600 personnes. Un chiffre conséquent, pourtant si on contextualise, l’UE a une population de 508 millions d’habitants. De ce fait, les réfugiés et exilés représentent 0,25 % de la population, soit 42 000 personnes par pays. En 2016, environ 80 000 demandes ont été faites en France pour une régularisation de 26 700 personnes. Même si l’État Français aurait régularisé les 80 000 demandes, c’est l’équivalent de 0,1 % de sa population. Oser prétendre qu’une colonisation a lieu est un non-sens absolu. A contrario, un pays comme le Liban accueille 25 % de sa population, soit 1,5 millions de personnes, en d’autres termes l’équivalent de la population de réfugiés venue en Europe. Ce n’est pas l’Europe qui accueille toute la misère du monde mais bel et bien les pays pauvres. Si nous devrions définir les 10 pays qui reçoivent le plus grand nombre de réfugiés/exilés en 2015, il n’y a aucun pays européen, sauf la Turquie, mais aucun de l’UE. A contrario, le classement est dominé par les pays dit du « sud » comme le Pakistan, l’Iran, l’Éthiopie, le Liban, la Jordanie, le Kenya, l’Ouganda, le Tchad, le Soudan, la Guinée, la République Démocratique du Congo… Les réfugiés ne sont pas en Europe pour la coloniser mais pour trouver refuge pour un temps. En effet, 90% des réfugiés sont installés dans leur région d’origine en espérant que la situation s’améliore pour y retourner.1

Les réfugiés ne sont pas en Europe pour la coloniser mais pour trouver refuge pour un temps.

Ensuite pour faire un retour en arrière, le 18 février 2017 toujours dans « On n’est pas couché« , Dupont-Aignan assumait qu’« il faut faire un grand ménage en France », « Les Français s’expatrient et les étrangers restent en France », ce qui fait écho à cette phrase dénonçant la colonisation de la France par les migrants. Or c’est bien plus compliqué de cela. De nombreux immigrés n’ont pas vocation à rester en France comme les travailleurs détachés, les saisonniers ou les étudiants étrangers, ces derniers représentant d’ailleurs 20 % de l’immigration. De plus il faut changer notre regard sur l’immigration. La dynamique sécuritaire et la fermeture des frontières ne sont pas des bonnes solutions puisqu’elles incitent les étrangers à se sédentariser dans le pays d’accueil. En effet, lorsque les frontières sont plus fluides, les étrangers peuvent facilement faire des allers-retours avec leurs pays d’origine et la circulation se fait plus aisément. Par exemple en 1974, la crise économique va changer les rapports entre la France et l’immigration. Les nations industrialisées ferment leurs frontières à l’immigration du travail. Conséquence : augmentation des entrées illégales et la sédentarisation des étrangers. D’ailleurs selon des études de l’OCDE, entre 20 et 50% des immigrés présents des pays de l’OCDE repartent dans les 5 années après l »arrivée.2 En conclusion, l’ouverture des frontières ne provoque pas de déferlement migratoire… Pour ce qui est des exilés, 54 % restent en France moins de 4 ans et seulement 10 % restent plus de 10 ans. Une grande majorité ont pour projet de repartir dans leur pays lorsque la situation se sera améliorée.

Selon les propos de Nicolas Dupont-Aignan : « On vient voler dans la bouche des Français leur pain et leur avenir ». Vieil argument de l’étranger venant voler le pain des français, son travail ou profiter des aides sociales…

Premier argument :

Dans le champ professionnel, le premier argument est : les immigrés font baisser les salaires. Or c’est très difficilement vérifiable. Pour mesurer l’impact sur les salaires, il faudrait prendre en considération les divergences entre les secteurs d’activité, d’âge, de qualification, observer de plus près secteur par secteur, entreprise par entreprise et analyser la corrélation entre salaire et immigration.

Un deuxième argument :

Les immigrés volent le travail des français ou sont des chômeurs constants. Mais selon l’OCDE, « la probabilité que les immigrés accroissent le chômage est faible à court terme et nulle à long terme. »3 Les quelques études qui montrent une augmentation du chômage pour les natifs est observée sur les emplois les moins qualifiés avec de faibles salaires. En d’autres termes, les immigrés ne prennent pas le travail des français, ils prennent le travail que les français refusent de faire. En ce qui concerne les réfugiés, ils peuvent travailler bien que cette intégration au champ de production est difficile et prend parfois des années avant d’avoir une place stable sur le marché du travail.

Grâce au travail entre 1994 et 2008, « les immigrés en provenance de pays tiers ont significativement contribué à la croissance du PIB par habitant. »4. Ils sont des créateurs de richesses économiques. En effet, les immigrés et réfugies payent des cotisations, des impôts, des taxes… et c’est pourquoi l’immigration en Europe rapporte plus qu’elle n’en coûte. En France, le résultat est plutôt neutre. Voici un point extrêmement important. On accuse toujours le fameux coût de l’immigration, on le brandit comme un poids terrible pour la nation et pour la population native, mais il faut également calculer ce que rapporte l’immigration. Selon les différentes études dont celle de Xavier Chojnicki et Lionel Ragot (2011), ils évaluent que la contribution nette de l’ensemble des immigrés était positive de 4 milliards d’Euros.

Une nouvelle étude macroéconomique du CNRS concernant l’effet des flux migratoires sur l’économie européenne appelait Science Advances démontre que les flux migratoires ont eu un effet positif sur l’économie pendant les trente dernières années en Europe. De plus, sur le long terme les demandeurs d’asile ne pèseraient pas sur les finances publiques des pays qui accordent l’asile. Selon l’économiste Hippolyte d’Albis : « Cette amélioration de la situation économique va aussi avoir un effet positif sur les finances publiques, car même si l’on observe une hausse des dépenses publiques, les recettes – en impôts et cotisations – augmentent elles aussi ». Il poursuit « On entend parfois que l’accueil de demandeurs d’asile représente un coût significatif pour les pays hôtes, mais sur la période que nous observons (1985-2015), nous ne trouvons pas de preuves statistiques qui indiqueraient une dégradation des conditions économiques des pays d’Europe de l’Ouest, que ce soit sur le plan du niveau de vie, du chômage ou du solde des finances publiques. »5 Les immigrés contribuent donc à augmenter la richesse par habitant. Ils créent de la valeur économique mais ils sont aussi des consommateurs, des cotisants et des contribuables (TVA et autres impôts). Selon les études, l’immigration représente un coût de 68 milliards d’euros et des recettes de 72 milliards, donc un apport net d’environ 4 milliards comme cité plus haut6:

Un troisième argument :

Un argument que l’on oppose souvent à l’immigration est le regroupement familial qui représente en France 40 % des entrées annuelles. Or lorsque la famille est rassemblée, les personnes immigrés n’envoient plus d’argent dans le pays d’origine et consomment entièrement dans le pays d’accueil, ce qui a des conséquences positives sur notre économie. En effet, il faut savoir que les immigrés envoient des centaines de milliards d’Euros chaque année. En 2014, il y a eu 400 milliards $ de transferts de fond vers leur pays d’origine pour aider la famille qui est resté sur place, soit 3 fois plus que le budget de l’Aide Publique au Développement. Avec le regroupement familial, ces transferts disparaissent pour rester dans le pays d’accueil sous forme de consommation.

Quatrième Argument :

Le dernier argument qui est soutenu est que les immigrés et exilés viennent pour les aides sociales. Dans un premier temps, ils ont un taux de chômage plus élevé que la moyenne. Les allocations chômage versées aux immigrés sont donc plus importantes que les sommes cotisées par eux. Mais les immigrés sont majoritairement des actifs et de ce fait cotisent pour la retraite alors qu’ils sont très peu à percevoir cette pension. De plus, et contre les préjugés, ils font peu valoir leur droit en matière de santé alors qu’ils y cotisent également. Selon l’économiste Lionet Ragot : « la contribution aux budgets publics des immigrés est donc positive ». Pour ce qui est des exilés selon les études de témoignages, seulement 2,3 % de cette population met la santé comme motif d’asile, ensuite il y a les raisons économiques (48,1%) et les raisons politiques, ethniques, religieuses ou d’orientations sexuelles (23,7 %).

Nicolas Dupont-Aignan reprend toutes les thèses de l’extrême droite et des préjugés pour légitimer son conservatisme. Sur Europe 1, il avait déclaré : « les Français paient 4 milliards pour l’accueil des migrants ». Entre le financement du dispositif « Asile, immigration et intégration des réfugiés » de 1,38 milliard d’euros, l’Aide Médicale d’Urgence évaluée à 910 millions d’Euros8, les coûts d’hébergement d’urgence … il est très complexe de définir un chiffre exact. Cependant, même si on prend le chiffre de 4 milliards avancé par Dupont-Aignan, cela ne représente que 0,1 % du PIB français. De plus, nous avons vu plus haut que les réfugiés et les immigrés cotisent, travaillent et consomment, payent de la tva, impôts… et par le travail ils produisent de la richesse économique. En d’autre termes, ils contribuent à la richesse du budget public qui finance certaines de leurs allocations.

Pour terminer, Nicolas Dupont Aignan a utilisé une belle langue de bois dans son discours : « Nous sommes le pays qui déverse des milliards, qui est le plus généreux, on réduit les retraites des français et des étrangers en situation régulière, on supprime les apl, on supprime les médecins dans les hôpitaux, on donne des milliards pour accueillir les migrants et en plus c’est de la faute des français si les africains ne savent pas se gérer »…« On réduit les apl au logement aux français et aux étrangers qui respectent nos lois et on donne des milliards pour accueillir des migrants, mais c’est tellement facile quand vous avez les moyens. C’est tellement facile quand vous avez les moyens de vivre, sortez du 16 ème, venez vivre dans nos villes. »

Il y a ici deux techniques de langue de bois. L’une des premières est le faux-dilemme. Il consiste à réduire le nombre d’alternatives possibles à une question ou une action. En d’autres termes, on force son adversaire à choisir soit entre une option catastrophique et une autre qui est reconnue plus acceptable. Ou alors une qui est impossible et l’autre rationnelle. Cela permet sans émettre d’argument de crédibiliser sa position. L’utilisation de ce sophisme, c’est le refus de penser d’autres alternatives. Puis Dupont-Aignan continue : « Quand je vois ce que me disent mes concitoyens qui soient de gauche ou de droite, dans nos banlieues, dans la France profonde et quand je vois l’inconscience que vous avez (chroniqueurs ONPC) sur ce qu’il y est en train de se produire, je me dis qu’il y a un problème de vie, on ne vie pas dans le même pays, on ne voit pas les mêmes gens. ». Selon lui, on devrait voir les problèmes et les solutions que selon un prisme bien défini tout comme une religion dogmatique. Toutes alternatives est impossible ou impensable, « There is no alternative ».

Le deuxième concept est la fausse analogie. C’est une ressemblance contrastée. Cette technique nous faire croire à l’exactitude d’une conclusion grâce à un enchaînement de similitudes, mais bien entendu, des similitudes infondées mais qui semble pourtant correct lorsqu’on les accumule. Dans son discours il utilise ce concept avec une comparaison falsifiée. Il dénonce le fait que Macron diminue les aides sociales aux natifs tout en donnant des milliards aux migrants. Ici il essaie de faire une corrélation entre les attaques contre le salariat et les classes vulnérables et l’augmentation des dépenses pour les réfugiés, pour donner l’impression qu’on diminue les aides des natifs pour les étrangers. Or il n’y a aucune relation et aucune causalité entre les deux. Cet argument est le plus absurde qui existe.

Il continue plus loin cette opposition : « Aujourd’hui, allez dans nos villes, qu’est ce qui se passe, c’est qu’il y a des listes d’attentes sur les logements de gens qui sont français de toutes origines, il n’y a pas de logement pour eux. » Or ceci peu également être nuancé. Dans un premier temps pour avoir accès à un logement social, il faut être français ou étranger en situation régulière. Sur l’ensemble des locataires du secteur social du logement, 80% sont Français de naissance, 8 % sont Français par naturalisation et 12 % sont étrangers, d’après l’Insee. Sur l’année 2015, seulement 1 demande sur 5 venait d’étrangers hors Union Européenne. Puis la même année, environ 16 % des logements sociaux ont été attribués à cette population. On est donc bien loin des grands préjugés consistant à dire que c’est la priorité pour les étrangers en matière de logement.9

Nicolas Dupont Aignan va donc un peu trop vite lorsqu’il parle de l’asile, du coût de l’immigration, en oubliant ce qui l’arrange bien. La question des réfugiés est sûrement l’une des plus essentielles aujourd’hui et ce n’est pas en balançant des anathèmes sur leurs présences que l’on trouvera des réponses adéquates.

MARCUSS (51)

1 Migrants,Migrations, 50 questions pour vous faire votre opinion, page 50.

2 Migrants,Migrations, 50 questions pour vous faire votre opinion, page 37

3 https://www.atd-quartmonde.fr/n48-les-immigres-prennent-des-emplois-aux-francais/

4 https://www.atd-quartmonde.fr/n48-les-immigres-prennent-des-emplois-aux-francais/

5 https://lejournal.cnrs.fr/articles/de-leffet-benefique-des-migrations-sur-leconomie

6 https://www.atd-quartmonde.fr/n54-limmigration-coute-cher-a-la-france/

7 https://www.20minutes.fr/economie/722873-20110512-immigres-rapportent-plus-coutent-economie-francaise

8 https://www.capital.fr/economie-politique/laide-medicale-detat-va-augmenter-de-108-millions-deuros-en-2018-1246495

9  https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/le-vrai-du-faux-les-logements-sociaux-sont-prioritairement-occupes-par-l-immigration_2068449.html

Valentin ASTIER (Reims)

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