Chaque jour, Alain adresse à l’Archipel des Sans-Voix un « billet » et parfois des images pour que nous puissions les publier ici en son nom.

Billet 13 –  Samedi 28 juillet : PAVIE

(escapade en train, avant de revenir demain à Garlasco pour faire le même trajet … à pied, comme il se doit)
Pas de mots aujourd’hui, juste quelques photos de la ville de Pavie.
Je vous embrasse
Alain

Billet 14 – Dimanche 29 juillet : Garlasco > Pavie
(24 km / Cumul 280 Km)

Nous sommes dimanche soir et ça fait déjà 14 jours que je suis parti. Ce matin j’ai pris très tôt le train pour retourner à mon étape d’arrivée, vendredi dernier. En effet, ce soir-là je devais souper avec un couple de Suisses rencontré sur le chemin. Comme je dors encore ce soir à Pavie, j’ai laissé mon sac dans ma chambre et c’est le corps léger que je m’apprête à clore cette première partie de mon voyage à Rome.

Mais qu’est ce qui m’a pris ? Sans le poids du sac, je n’ai plus le statut de pèlerin et ce surtout aux yeux des autres mais aussi aux miens. Je ne suis qu’un vulgaire arpenteur d’un territoire qui n’est pas le mien. Je ne croise plus de sourires bienveillants, je n’entends plus de joyeux “Bon Camino“ et surtout j’ai le sentiment de ne pas être entier.

Je m’aperçois que ce n’est pas le poids du sac sur mes épaules qui est lourd, mais bien cette impression du manque de repère. Tous les jours, je refais mon sac à l’identique m’équipe en prévision du chemin mais aussi de la météo. Mes repères sont là, en ces gestes nécessaires et rassurants qui précédent la marche depuis mon départ. Et aujourd’hui, je suis en manque.

Du coup durant l’étape, j’ai eu la sensation étrange que le paysage faisait du surplace. Que quelqu’un avait passé un coup de rabot géant pour que durant cette étape je me crois toujours à découvert, à la différence des jours précédents ou le chemin me protégeait de tout le reste du monde. Elle restera dans mon souvenir comme une ligne droite sans plaisir. Mais Dieu existe, je le nomme le hasard.

Dans la seconde partie de l’après-midi, alors que je me suis assis sous un des rares arbres de la journée, un homme sur une vieille bicyclette jaune s’arrête devant moi et me demande si je n’ai pas une cigarette dans un italien aussi mauvais que le mien. Je lui répond en français, et cela me vaut en réponse un rire qui me donne chaud. Alors cet homme noir, donc comme moi étranger à ce lieu, s’assied, me redemande en français une cigarette et me tends une vieille bouteille en plastique fripé. Le troc pouvait commencer ….

Dans un premier temps seules les questions sont importantes, les réponses, moins. C’est ainsi que j’apprends qu’il vient d’arriver en Italie il y a quelques semaines après avoir sillonné plusieurs pays africains, confié trop souvent sa vie et ses économies à de soi-disant amis que je peux appeler de vulgaires passeurs, traversé une mer, clandestinement, sur une embarcation qui n’en avait que le nom, joué aux gendarmes et aux voleurs avec les autorités italiennes avant d’échouer dans un foyer au fin fonds de la Lombardie.

Lui qui avait risqué sa vie dans l’espoir tout simplement de vivre estimait que j’étais “courageux“ dans ma démarche … Que répondre à cet homme sinon de lui tendre une seconde cigarette d’échanger un coup de sa gourde et se sentir petit ?

J’aurais pu lui répondre que ce n’était pas du courage mais de la chance. Mon voyage à moi, même si parfois il est pénible, fatigant comme aujourd’hui avant de le rencontrer, il est avant tout la conséquence d’un choix et non d’une contrainte, d’un luxe et non d’une obligation de survie. Que j’ai toujours la liberté et la possibilité, à tout moment, d’y mettre un terme et de rentrer chez moi. S’arracher au confort et aux habitudes modernes pour voyager à pied n’a rien d’un sacrifice, c’est mon choix. Pas le sien.

Il arrive un moment où le silence s’installe et alors c’est le moment de partir. Ce que j’ai fait après lui avoir laissé le reste du paquet de cigarettes et après avoir refusé sa gourde en plastique. On peut donner, comme ça, juste pour le plaisir de ne rien recevoir en échange. Cela aura été le cas.

Alors bien que n’ayant jamais fait le chemin de Saint Jacques de Compostelle, le cri de joie des pèlerins m’est venue à la gorge “Ultreïa“ et c’est en chantant, enfin en marmonnant que je suis entré à nouveau dans Pavie.
Je vous embrasse
Alain

*** Chronique à suivre … pas à pas ***

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