Je ne parle pas beaucoup par réseaux sociaux et encore moins par téléphone, je préfère que l’on se voit et on en parle. Quelques jours après nous convenons d’un rendez-vous à « l’Hôtel de la Rue » et on en parle (ndlr : de l’invitation à prendre la parole aux « Causeries Publiques 2020 » à Paris). Je me permets de lui couper la parole et je lui dis « Oui » tout de suite, pour parler de ce que je vis, pas de problème, pour parler de ce que j’ai mis en place encore moins. Je réfléchis et c’est vrai que je n’ai pas fait tout ça tout seul, je n’ai pas pu réaliser mon rêve tout seul. Nombreux sont ceux qui m’ont aidé, nombreux sont ceux qui peuvent raconter leur parcours dans l’aventure que j’ai mise en place. Je demande si Abdoul et Marie, deux personnes proches de moi peuvent venir aussi, car Erica ma compagne a accouché il n’y a pas très longtemps, et vu les choses qui circulent dans l’air il vaut mieux ne pas trop sortir notre petit trésor en ce moment.
L’Archipel des Sans Voix nous répond de suite que « oui, il n’y a aucun problème » et nous voilà en route pour Paris. Paris notre belle capital, Paris ou je n’ai malheureusement pas que de bons souvenirs, Paris sans abris c’est plus qu’une galère. Je repense à ces moments, et je repars en arrière. Je raconte quelques conneries pour ne pas le faire transparaître et ne pas foutre en l’air notre premier voyage depuis l’ouverture de l’Hôtel de la Rue. Je sais pourquoi je viens mais je ne sais pas dans quel état je vais repartir après avoir parlé de notre parcours. Dans le train j’écris un peu ce que je dois dire pour ne rien oublier, mais surtout pour oublier qu’il y a encore quelque temps je passais ma vie à courir dans les trains sans payer aucun de mes billets et que je ne savais jamais ou j’allais dormir : en garde à vue, dans une cave, dans un parc, dans une cage d’escalier ? Je ne savais jamais ou je finirai. J’appelais le 115 comme tout le monde mais là plupart du temps … « Pas de places ! »
Arrivé à Paris j’ai la boule au ventre …
Arrivé à Paris j’ai la boule au ventre, je me fume un joint comme d’habitude pour décompresser et je me remets dans ma bulle, dans mon monde et je repense à ma vie d’avant. Arriver sur les lieux, je revois notre ami Christian et enfin je sais pourquoi je suis là, je sais que je suis dans une nouvelle phase de ma vie, qu’aujourd’hui je ne suis plus le même qu’avant, qu’aujourd’hui j’aide les miens, aujourd’hui je montre mon côté que j’ai tant détruit auparavant.
Marie décide de nous faire sortir pour faire un tour dans Clignancourt. J’ai passé deux ans de ma vie à Clicli, j’ai vendu des vêtements, j’ai fait de tout à Clignancourt, et pour une fois dans ma vie je suis content de porter un masque dans la rue, je ne veux pas que quelqu’un me reconnaisse et me parle de ma vie.
On rentre manger et tout de suite je me remets dans mon personnage comme certains m’appellent, mon moi, mon côté emmerdeur, mon Edson, celui qui a eu la force d’ouvrir et de tenir ce lieu que certains admirent et que d’autres veulent détruire. Nous sommes les premiers à manger donc je me mets dans ma bulle et je joue sur mon ordinateur pour n’écouter personne, pour me rappeler de tous ces moments qui mon poussé à le faire, et tout ces moments qui sont venus depuis que j’ai ouvert « l’Hôtel de la Rue ». Comme à chaque fois j’ai mal et je sens ma colère remonter mais je regarde Marie et je ne veux pas la décevoir, j’envoie des messages à Erica qui m’encourage et me soutient, je lui envoie mes écrits pour qu’elle me dise son avis et j’écoute les quelques sons qui sortent de mon fils. Je me lève avec Abdoul, on se dirige vers l’estrade, je regarde tout le monde … et je me lance.
… je préfère laisser mon cœur parler …
J’avais prévu de suivre une chronologie, un texte, une histoire, mais je ne peux pas, je n’y arrive pas, je ne peux pas suivre ce que j’ai écrit, je préfère laisser mon cœur parler, je vous raconte notre aventure, je sens la présence d’Abdoul et je suis trop fière qu’il soit là car je l’ai fait pour lui, pour les nôtres, je ne l’ai jamais fait pour moi.
Je parle, je raconte notre parcours, et je partage mon intervention avec Abdoul et Marie. Tout se passe bien, nous répondons aux quelques questions que les personnes nous posent.
Je retourne à ma place et j’écoute ensuite les interventions des autres invités.
Claire, une histoire que j’aime entendre et comprendre, une femme, un petit bout de femme, seule avec ses deux enfants, qui décide de prendre les choses en main et d’aider ses voisins, une femme qui décide de reprendre l’éducation de ses enfants, une femme que tu aimes écouter, une femme dont j’admire la force qu’elle dégage. Ce sont ces femmes et ces hommes que j’admire bien plus que moi ou ce que j’ai pu réaliser.
J’écoute Christophe et son chien. Bon le chien j’ai tout compris, mais Christophe un peu moins …! Un sacré celui-là aussi, avec son vélo et son chien il décide de voyager dans tout la France, il parcours des milliers de kilomètres à la recherche de la solidarité, ou avec ce besoin de voir du pays. N’ayant plus de domicile, il voyage, je le comprends et je me reconnais en lui, j’ai été un peu comme lui pendant huit ans donc je comprend ce qu’il raconte, les problèmes de douches, les problème de papiers, les problèmes de la vie malheureusement. Je vous avoue que je n’ai malheureusement pas écouté tout le monde car j’ai été un bon moment au téléphone : gérer l’Hôtel de la Rue, et un bébé en même temps, c’est difficile. Mais sachez une chose c’est que si nous sommes venues à trois à cet évènement c’est aussi pour cela : si un ne peut suivre, les deux autres sont là pour lui raconter ce qu’il n’a pas suivi.
Mais je me souviens de chacun des intervenants, comme cette dame (ndlr : Elina DUMONT) qui intervient un peu partout pour raconter son parcours, après 27 ans de rue elle doit en avoir des choses à raconter. Certaines plus belles que d’autres, mais c’est la rue et tout le monde sait que la rue de pardonne pas, pour une femme encore pire que pour un homme. Toutes ces femmes de la rue, je ne sais pas comment notre gouvernement laisse cela possible, comment pouvoir dormir tranquille sachant que juste devant chez nous des femmes avec ou sans enfants dorment à même le sol, sont obligées de voler pour survivre. Combien de mamans volent de la nourriture pour pouvoir nourrir leurs enfants ? Et finissent au tribunal pour vol à l’étalage ? Tout le monde ne peut pas être fier de son parcours, mais elle sait se remettre en question et avancer dans la vie, je suis plus jeune et sûrement que j’ai moins de vécu que cette dame mais je sais que la prostitution, la drogue, la violence je l’ai connu aussi, et je comprends la vie qu’elle a pu mener, je comprends sa souffrance, sa vie, j’ai envie de lui parler, d’intervenir et non pas de comparer, mais de déposer ma vie et d’avancer avec la sienne pour mieux avancer, à plusieurs parcours tu évites de tomber dans les erreurs de ton voisin. Car Je ne me suis jamais prostitué mais j’ai des amies qui l’ont fait, de la drogue j’en consomme tous les jours, d’ailleurs pendant que j’écris ce petit texte je me suis fumé un joint. Eh oui, je ne me cache pas, je fume depuis des années mais je ne fais pas de la propagande. Je ne souhaite à personnes d’avoir cette dépendance comme moi je l’ai, mais la rue ma obligé à fumer. Certains boivent pour oublier, pour se réchauffer, pour de multiples raisons, moi je me fume mes joints et je me calme, car ce monde ne tourne vraiment pas rond. Et j’en ai vendu pendant des années, la violence je la côtoie depuis que je suis né.
… le seul lieu autogéré par des sans-abris.
Donc de ce week-end à Paris je ne retiendrais que du bien, que du partage, et surtout que de l’amour. J’ai beaucoup réfléchi pendant le voyage pour l’allée et c’est vrai que le fait d’avoir remis les pieds à Paris plus de dix ans après, ça m’a un peu fait peur, mais je ne regrette rien de ce que j’ai fait, de ce que j’ai vu et surtout de ce que j’ai appris. Car tout le monde me prend pour le « Robin des bois des temps modernes » mais moi je ne reste que moi, ce petit des Favelas qui débarque en France, trimballé de droite à gauche, qui termine en prison, fini par l’armée et quitte la France par dégout, pour enfin revenir six ans plus tard, pour construire le plus grand lieu de vie de Strasbourg, le seul lieu autogéré par des sans-abris.
Depuis que je suis revenue en France je ne fais qu’apprendre, je n’ai jamais appris autant de ma vie, et avec des évènements comme ce week-end j’apprends encore mieux. Merci de permettre ce genre d’échanges, pour nous qui n’avons pas cette chance de passer à la radio ou à la télé.
Sans VOUS, nous les oubliés restons des oubliés.
Edson Laffaiteur – Fondateur de la roue tourne Strasbourg – Initiateur fondateur de « l’Hôtel de la Rue »
Les vidéos de toutes les prises de paroles des Causeries Publiques 2020 seront mises en ligne sur ce journal dans quelques semaines, et resteront ensuite accessibles sur notre chaine YouTube. Consultez régulièrement ce journal pour rester informé.
Les vidéos des « causeurs » de l’édition 2019 sont visibles ICI sur la chaine YouTube de l’Archipel des Sans-Voix
Visionnez ICI quelques extraits des « causeurs de l’édition 2019