Voici le deuxième sketche d’une série que je vous propose tout au long de l’été …

« La France à la découpe »

Au Palais de l’Elysée – Le Bureau du Président

Le Secrétaire Général
Monsieur le Président, Monsieur Vorace Doublepanse est là.

Le Président
Enfin ! Qu’il entre sans tarder !
Cher Ami ! Vous voilà enfin ! Un contretemps sans doute ?

Doublepanse
Je finissais de boucler notre contrat avec mes avocats.

Le Président
Je comprends ! On n’est jamais trop prévoyant !

Doublepanse
Cher Jupiter, notre temps est précieux. Je vous propose donc de commencer tout de  suite les négociations.

Le Président
Les … négociations ? Mais … elles sont derrière nous, les négociations ! Nos collaborateurs ont travaillé pendant des mois pour rédiger ce contrat de privatisation des tribunaux, des prisons, des casernes, des arsenaux, et des commissariats ! Avec suppression du statut de fonctionnaire pour le petit personnel, naturellement ! Il ne reste qu’à le signer !

Doublepanse
Ca c’était hier. Mais depuis, il y a du nouveau.

Le Président
Comment ça, du nouveau ?

Doublepanse
Mes conseillers financiers ont mis au point une nouvelle méthode de création de valeur, beaucoup plus performante que celles en vigueur depuis ces dernières années.

Le Président
Ah, si c’est pour augmenter le rythme de création de valeur, alors ça vaut la peine d’y regarder de plus près !

Doublepanse
C’est tout vu, Président ! C’est une OPA sur votre pays ! 

Le Président
Co … Comment ça une OPA ? Une Offre Publique d’Achat ? Sur la France ? Vous plaisantez ?

Doublepanse
Comme vous le savez pour l’avoir proclamé vous-même, la France est une Start-Up Nation

Le Président
Parfaitement, mon cher Vorace, une Start-Up pleine d’avenir, en plus !

Doublepanse
Pleine d’avenir en effet ! Mon agence de notation personnelle me l’a confirmé !

Le Président
Cependant, monsieur Doublepanse, je tiens à préciser que la  Start-Up France n’est pas à vendre !

Doublepanse
Elle n’est peut-être pas à vendre, en tout cas je l’achète. Vous ne pouvez pas m’en empêcher, Président ! Ce serait un refus de vente ! Et les tribunaux d’arbitrage n’aiment pas ça !

Le Président
Monsieur Doublepanse, vous ne pouvez pas acheter la France ! C’est un pays ! Pas une entreprise !

Doublepanse 
Ah bon ? Je ne peux pas acheter la France sous prétexte que c’est un pays ? Mais alors, pourquoi vous la mettez en vente par morceaux depuis maintenant 40 ans ?

Le Président
Mais … ça n’est pas pareil ! C’étaient des activités qui ne relevaient pas de la mission de l’Etat ! Le téléphone, les trains, les autoroutes, les aéroports, les ports, le courrier, les chantiers navals, la sidérurgie, la création monétaire, les banques, les assurances, la santé, la retraite, tout ça n’a pas besoin d’être réglementé ! Le laisser-faire est largement suffisant, et la main invisible du Marché supplée à tout ! En vendant tout cela, nous avons engrangé un pognon de dingue dans les caisses de l’Etat, et depuis …

Doublepanse
… Et depuis, vous êtes endettés comme jamais ! A croire que vous ne savez pas gérer vos finances !

Le Président
Heu … c’est pourquoi nous vous proposions d’acheter nos casernes, commissariats et autres prisons, pour nous désendetter justement, puisque la vente de nos hôpitaux, de nos barrages, de nos aéroports et  de nos écoles n’a pas suffi ! Nos citoyens sont de plus en plus pauvres et peuvent payer de moins en moins d’impôts, et nos meilleurs économistes n’arrivent pas à expliquer pourquoi ..! Et les créanciers sont toujours plus pressants !

Doublepanse
Et les plus  riches de vos concitoyens refusent de payer leur part en menaçant de s’exiler sous des cieux plus cléments, comme partout ! Et je ne saurais les en blâmer, puisque vous voilà obligé de faire affaire avec moi ! 

Le Président
Monsieur Doublepanse, l’existence d’un pays comme la France, se concentre dans ses institutions, services ministériels et dans ses Assemblées démocratiquement élues.

Doublepanse
Je vois … ce qui veut dire que tout le reste peut être vendu ?

Le Président
Oui … Sauf le Palais de l’Elysée, évidemment … Et l’Assemblée Nationale … Et le Sénat, quoiqu’on y trouve plus de trublions que d’hommes et femmes publics de valeur … N’oublions pas le Conseil Constitutionnel … et le Conseil d’Etat … et le Conseil Economique et Social, ce sont des endroits où l’on peut prendre une retraite paisible, ou bien se réfugier en cas de déboires électoraux … Mais aussi l’Académie Française … Et le Panthéon, au cas où … Et les Invalides, en cas de rencontre inopinée avec un flash-ball … Quoique bien improbable, mais le principe de précaution…

Doublepanse
Mais mon cher Jupiter, vous avez il me semble, 36.000 communes, cent départements, onze régions, et je ne sais combien d’assemblées intermédiaires, ce qui représente pas loin de 500.000 élu(e)s … Est-ce que ces organismes sont également à vendre ?

Le Président
Cher Ami, vous êtes bien renseigné. Je n’irai pas jusqu’à dire que ce sont des centres de profit, comme on dit dans les entreprises, mais avec une bonne gouvernance, façon France Télécoms, vous devriez pouvoir en tirer quelque plus-value, surtout en supprimant des effectifs et en diminuant les indemnités des rescapé(e)s

Doublepanse
Allons, c’est décidé ! On garde la maison-mère de la Start Up France sous statut public, avec vous comme associé-gérant, et on filialise les succursales de province : régions, départements, métropoles, communautés de communes, villes, villages, qu’on va mettre en concurrence, et c’est bien le diable si on n’arrive pas à doubler notre capital d’ici aux prochaines élections présidentielles ! Tope-là ?

Le Président
Tope-là ! Et surtout, pas un mot au Parlement, il y en a qui voient le mal partout !

André BARNOIN dit Dédé, de Mulhouse (68)

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