Marc MELKI est photographe. Son projet « Exils intra-muros / Et si c’était vous ? » est une action photographique collective et solidaire qui mobilise de nombreuses personnalités* sur la question de l’hébergement des sans-abri.

*Par exemple : Audrey PULVAR, Amélie NOTHOMB, BARTABAS, Rebecca MANZONI, Cédric HERROU, Guillaume MEURICE, Bruno SOLO, Colombe SCHNECK, Pierre ARDITI, Robin RENUCCI, Yvan Le BOLLOCH, Jean-Michel RIBES, Patrick PELLOUX, Elina DUMONT, … et beaucoup d’autres.

Faire dormir les uns pour réveiller les autres !

Pour sensibiliser l’opinion et les pouvoirs publiques, des personnalités ont accepté d’expérimenter ce sentiment d’invisibilité qui touche tous les sans-abris : migrant intra- ou extra-communautaires qui ont fui la guerre, les discriminations où la misère, comme ceux qui ici trébuchent et se retrouvent à la rue. Elles prennent la pose et la parole. Pour en savoir plus, visitez le site de Marc MELKI. Ce projet a aussi fait l’objet d’un livre aux éditions Acte Sud dont les bénéfices sont intégralement versés à l’association « Droit d’Urgence », le droit d’être quelqu’un ».

« Et si c’était vous ? » est en effet LA BONNE QUESTION, qui doit interpeller chacun de nous !


#7 Marie DESPLECHIN

Je ne l’ai pas vu venir du tout. Je pensais que ce serait facile, même. S’allonger par terre place Franz Listz, au milieu des passants, trois minutes sur le carton, le temps que Marc prenne sa photo, la couverture me protégerait.

Je n’ai pas peur de grand chose, en général. Cinq minutes plus tôt, je hurlais sur le type du Monoprix qui refusait qu’on prenne la photo devant son auguste boutique, je criais, allez-y appellez la police, j’appelle la mairie, vous avez pas acheté la rue merde ! On voit son Monoprix en arrière-fond, sale nervi. Les gens nous regardaient bizarrement alors on s’est éloignés de quelques mètres, je me suis couchée près de l’entrée du parking et j’ai fermé les yeux.

Et là, ça m’est tombé dessus. Le bruit des voitures, des passants, le mouvement qu’on devine, l’air autour de moi. La panique. J’ai tiré la couverture sur mon visage pour me protéger, rien n’y a fait. Mes yeux clignaient, je n’arrivais pas à les garder fermés. J’ai compté dans ma tête, pour faire passer plus vite les secondes.

Personne ne peut supporter une telle vulnérabilité, personne ne peut supporter ça. Mais tout le monde devrait essayer, trois minutes, pour en faire l’expérience. J’ai compris pourquoi ceux qui dormaient à la rue avaient le visage ravagé, à la différence de nous autres, les bénévoles des trois minutes avec nos bonnes petites figures de faire semblant. Il faut se casser la tête, s’exploser, se ruiner et disparaître, pour s’exposer par terre, s’abandonner à l’incertitude du bruit, du ciel, des coups.

On n’existe plus. On est presque mort. Je ne le savais pas, avant. Pas comme ça, pas vraiment.

Marie DESPLECHIN à #Paris le 10 décembre 2019 ©Marc Melki

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