Marc MELKI est photographe. Son projet « Exils intra-muros / Et si c’était vous ? » est une action photographique collective et solidaire qui mobilise de nombreuses personnalités* sur la question de l’hébergement des sans-abri.

*Par exemple : Audrey PULVAR, Amélie NOTHOMB, BARTABAS, Rebecca MANZONI, Cédric HERROU, Guillaume MEURICE, Bruno SOLO, Colombe SCHNECK, Pierre ARDITI, Robin RENUCCI, Yvan Le BOLLOCH, Jean-Michel RIBES, Patrick PELLOUX, Elina DUMONT, … et beaucoup d’autres.

Faire dormir les uns pour réveiller les autres !

Pour sensibiliser l’opinion et les pouvoirs publiques, des personnalités ont accepté d’expérimenter ce sentiment d’invisibilité qui touche tous les sans-abris : migrant intra- ou extra-communautaires qui ont fui la guerre, les discriminations où la misère, comme ceux qui ici trébuchent et se retrouvent à la rue. Elles prennent la pose et la parole. Pour en savoir plus, visitez le site de Marc MELKI. Ce projet a aussi fait l’objet d’un livre aux éditions Acte Sud dont les bénéfices sont intégralement versés à l’association « Droit d’Urgence », le droit d’être quelqu’un ».

« Et si c’était vous ? » est en effet LA BONNE QUESTION, qui doit interpeller chacun de nous !


#5 Amélie NOTHOMB

De 2010 à 2017, j’ai connu un sans logis qui, s’il n’avait pas de domicile, était pourtant fixe : il ne quittait pas la bouche de métro de ma rue parisienne. La chaleur qui en émanait lui permettait de survivre.

Il s’agissait d’un homme d’un âge indéterminable et d’une classe folle. Ce prince du trottoir était toujours joyeux, poli et aimable. Si on lui donnait autre chose qu’une cigarette, il refusait avec hauteur.

Il parlait un curieux sabir, mixte de plusieurs langues européennes à consonances latines. Pour cette raison, je le baptisai intimement Penitenziagite, d’après l’éructation récurrente d’un personnage du Nom de la Rose atteint de la même particularité.

Chaque fois que nous nous croisions, nous nous saluions cérémonieusement. Quand il avait bu, Penitenziagite m’adressait des harangues allègres dans son langage. Comme je regrettais de ne pas comprendre ! Cela semblait très intéressant.

Régulièrement, Penitenziagite disparaissait plusieurs semaines d’affilée. Quand les services sociaux le relâchaient, il venait s’assoir à nouveau sur sa bouche de métro. On l’avait tondu, cela le rajeunissait et lui enlevait sa superbe. Mais ses cheveux et sa barbe repoussaient et il ne tardait à reprendre son allure régalienne.

Jamais je n’ai vu Penitenziagite autrement que souriant avec la joie profonde d’un homme heureux de son sort. Il donnait l’impression d’avoir choisi cette vie et de ne pas en vouloir une autre. Etait-ce le cas ? Je ne sais pas.

Le 27 septembre 2017, comme chaque matin, en partant au travail à l’aube, j’ai croisé Penitenziagite. Il m’a dit bonjour avec sa courtoisie coutumière. L’après-midi, en rentrant chez moi, j’ai vu sa bouche de métro sans lui et recouverte de roses blanches. Je n’ai pas compris.

Le lendemain, un écriteau avait été posé à sa place : « Paolo a été retrouvé mort ici, hier, à 11h du matin. » Par la même occasion, j’ai appris son vrai nom. J’ai interrogé les gens du quartier. On l’avait retrouvé mort dans son sommeil, sans cause particulière. J’ai pensé que j’avais été l’une des dernières personnes à lui parler. Cela m’a bouleversée.

Depuis, chaque jour, quand je passe devant sa bouche de métro, je pense à Paolo-Penitenziagite. Sa bienveillance princière me marque profondément. De lui, je ne sais rien, sinon qu’il était un homme libre.

(Amélie NOTHOMB à Paris le 25 janvier 2018)

Voir les autres publications sur adsv.fr :

Mieux connaitre Marc MELKI :

  1. Si vous souhaitez réagir à cet article, n’hésitez pas à laisser un commentaire (tout en bas de cette page) après vous être enregistré (dans la barre de menu > onglet « je participe » > rubrique « s’inscrire pour intervenir« .
  2. Vous pouvez aussi lancer un débat sur un sujet de votre choix sur le FORUM de ce journal.
  3. Si vous voulez être publié dans ce journal, adressez vos textes, images et vidéos à l’adresse mail : journal@adsv.fr
  4. Si vous voulez être informé par mail de chaque nouvel article publié, laissez un commentaire et cliquez la case  » Prévenez-moi de tous les nouveaux articles par e-mail  » (tout en bas de cette page).
  5. Si vous voulez nous soutenir, offrez le prix d’1 café chaque mois aux Sans-Voix
  6. A BIENTÔT … ?