Pour une épreuve orale de ma formation en cours de Médiateur Social, j’ai du raconter une situation de médiation avec des papiers. Voilà celle que j’ai choisi de raconter.


Dans le cadre de ma formation de médiateur social actuellement en cours à Nancy, nous partons avec ma tutrice de stage voir les locataires de Laxou pour leur demander des papiers pour compléter leur dossier. C’est souvent lors de changements d’appartement au regard des travaux qui se font en ce moment dans le parc Batigère (bailleur social) dans la zone des Provinces, Deux bâtiments sont dédiés à la destruction, et deux autres sont en travaux de renouvellement.

Dans mon parcours dans l’association que j’ai créée (La Roue Tourne Strasbourg), j’ai souvent effectué des accompagnements pour résoudre cette problématique. En effet, quand je vivais à la rue je croisais tous les jours des personnes de la rue qui ne savaient pas où ils en étaient avec leurs papiers et plus généralement avec leur situation.

A l’Hôtel de la Rue, j’ai juste voulu rassembler le maximum de personnes au même endroit et voir ce que je pouvais faire pour tous les aider. Je me souviens de chacune des 1900 personnes qui sont passées durant les 18 derniers mois de cette aventure, et je me souviens de chacun de leur problème, de chacune de leur demande.

Si je dois vous en raconter une de ces histoire en particulier, je choisirai celle de ce jeune homme.

Un matin comme tous les matins, je me rends à L’hôtel de la rue, au 91 route des Romains à Strasbourg. Il fait froid, je prends ma trottinette et je pars de chez moi. Je roule et je croise le chemin d’un jeune qui dort sous un pont. Je passe de l’autre côté de la route et je le vois, assis sur son matelas, dans son monde. Je l’appelle de là où je suis et je lui demande si je peux venir lui parler, il me dit que oui.

Je vais à sa rencontre et je lui demande comment il va, s’il a mangé mais surtout s’il sait où dormir ce soir… Je parle un peu avec lui et je me rends compte que cet homme ne semble pas stable psychologiquement. Je sais par mon expérience que très souvent les personnes qui vivent dans la rue sont sous dépendance de substances diverses.

… je suis juste là pour aider ceux qui le veulent …

Je lui parle de moi et de ce que je fais, il me regarde et me dit : « Je ne vous ai pas reconnu au premier regard, mais dites moi, c’est vous le robin de bois, j’ai entendu parler de vous, c’est vous qui logez des sans-abris …”. Cette phrase m’a beaucoup touchée, je lui dit que non, je suis juste là pour aider ceux qui le veulent. Je ne suis pas un super héros, et je n’ai pas de baguette magique. Je lui propose de me suivre et il accepte. On part ensemble et on discute en chemin.

Je sens que la confiance s’installe, on arrive à L’hôtel de la rue. Aussitôt, je demande à des résidents de bien vouloir lui préparer à manger, et de lui ramener un café, qu’il puisse juste prendre un petit déjeuner convivial comme une famille. On lui propose une douche et surtout je lui propose de discuter dans mon bureau pour plus de confidentialité.

Il me parle de ses problèmes et il me dit qu’il est sorti de prison il n’y a pas très longtemps. En prison, il avait obtenu des ordonnances d’autres détenus pour recevoir des médicaments dont il est devenu dépendant au risque de faire une overdose. C’est malheureusement une situation fréquente en prison pour oublier la détention. Il s’est aussi fait voler tous ses documents.

,Avec sa permission j’appelle un travailleur social et je décide de suivre son dossier.

Ce jeune homme est d’origine Française, c’est un « droit commun ». Je ne comprends pas ce qu’il fait dehors. J’appelle la maraude et je leur demande de venir, j’appelle médecin du monde, je demande qu’il soit vu par un psychologue mais surtout par un médecin.

Je vais sur internet et je télécharge une déclaration de perte de documents, je la complète avec lui et je l’accompagne au commissariat le plus proche de l’hôtel de la rue. Je vais ensuite sur le site internet de la CAF, et je lui fais une nouvelle réinscription en reprenant tout depuis le début . Je lui propose aussi un logement chez nous. Et lui donne rendez-vous le lendemain pour avancer sur son dossier.

Le lendemain, il vient par lui-même me voir et je vois qu’il a le sourire. Il vient et me demande si j’ai besoin de quoi que ce soit, si lui aussi peut m’aider ? Je lui dis juste qu’il doit faire des photos d’identité, et je prends rendez-vous pour lui pour faire ses documents de nouveau. On le domicilie à l’adresse de l’association. Il se rend à la mairie pour refaire ses documents d’identité.

Trois semaines après, je l’invite dans mon bureau et je lui fais son inscription CAF et PÔLE EMPLOIE.

je sais au fond de moi … que les problèmes administratifs ne sont pas ses seuls besoins

Mais je sais au fond de moi que cette personne a besoin d’autre chose, que les problèmes administratifs ne sont pas ses seuls besoins, je ressens autre chose en lui, mais je ne sais pas comment lui dire et encore moins comment lui demander ce qu’il attend.

Je l’installe dans une chambre avec un autre résident de mon hôtel, mais j’ai une idée en tête. Comme je l’ai dit auparavant, je connais bien et je suis tous les résidents qui ont franchi la porte du 91 route des Romains (Hôtel de la Rue). Je vais donc voir la personne qui partage la chambre avec lui et je l’invite à son tour dans mon bureau pour lui demander de le surveiller de loin et surtout de ne pas le laisser seul, de parler avec lui et de le faire sourire, de le faire revivre.

Le lendemain matin, je retourne au travail et je vois la personne qui partage la chambre avec le nouveau que j’ai ramené et qui me demande de me voir en urgence. Il me raconte que le jeune homme dort très mal, qu’il crie pendant son sommeil, et surtout qu’il est très triste. Il a très peur que l’homme qui partage sa chambre mette fin à sa vie, ou pire encore.

Dans cette situation d’urgence, je décide sans en parler à personne d’aller le voir directement dans la chambre et non pas de le faire venir dans mon bureau.  Je voulais parler avec lui pour mieux le comprendre, dans un environnement qui le met à l’aise, et non pas avec un bureau entre lui et moi. Je ne veux pas qu’il se sente différent de moi, qu’il se dise « lui travaille, il est juste là pour un salaire« , je sais que l’on peut avoir ce genre de réflexions sur nous. Je me dirige vers lui, je le préviens que je rentre dans sa chambre pour boire un café avec lui. Je décide de lui parler mais surtout de le mettre à l’aise, je veux qu’il se sente chez lui.

Je l’écoute mais pas seulement, je tente de lui proposer de se motiver et de faire des activités. Il me dit que non, qu’il ne veut pas, qu’il ne veut rien, qu’il veut juste dormir et que personne ne l’approche.

Je me sens perdu et je ne veux pas abandonner. Je lui demande s’il veut m’aider à faire le tour du bâtiment et voir ce qui va ou ne va pas. Il accepte, et je me rends vite compte qu’il est super à l’aise dans tout ce qui concerne l’ordre, mais que dans sa vie tout est en désordre. Je me rends compte qu’il semble très ordonné alors que dans sa vie il a tout abandonné et tout est chamboulé.

Je rentre en fin de journée marqué par cette personne car il est resté toute la journée dans la cave du bâtiment pour y remettre de l’ordre avec mon autorisation, tant et si bien que le soir la cave avait été rangée complètement.Tout était à sa place et bien ordonné.

Le lendemain matin, il est là devant ma porte à m’attendre avec un sourire, mais surtout il a dormi, sans aucun problème. Il me dit qu’aujourd’hui, il va aller faire ses papiers au près de la CAF et de l’assurance maladie, si je sais où sont les adresses, et si je sais les papiers qu’il faut pour se réinscrire.

Je télécharge un plan sur internet et je lui télécharge les documents que la CAF demande pour une inscription. On se connecte sur le site Améli.fr et je lui fais son inscription.Jje ressens que le jeune homme vient de tourner une page sur sa vie, je me rends compte qu’il veut s’en sortir.

Le temps passe et le jeune homme va à tous ses rendez-vous, fait toutes les démarches, et trouve même un travail. Un matin, j’arrive à l’association et je vois le travailleur social qui travaille sur place qui me dit “l’homme que tu as accompagné la dernière fois, et bien il t’a laissé ce sac en me le donnant« . Je l’ouvre et à l’intérieur je trouve une enveloppe, Je l’ouvre et je trouve un long courrier, de la part de ce monsieur. Je ne le lis pas tout de suite et je demande où il est ?

On me répond qu’il est parti, qu’il a un appartement, et surtout qu’il ne reviendra plus.

Je suis triste mais heureux comme tout. Encore une personne que nous avons sortie de la rue.

Quelques heures plus tard, je vois à nouveau le monsieur devant ma porte. Je vais vers lui pour lui demander ce dont il a besoin et il me dit : “j’ai juste besoin de vous voir, et vous dire merci. Je voulais régler mes problèmes administratifs et vous m’avez aidé. Je voulais tourner la page sur ma vie et vous m’avez aidé. Maintenant je veux vous aider. Dites moi ce que je peux faire, je ne vis plus ici, j’ai mon appartement, j’ai un travail, mais j’ai ce besoin de me rendre utile

Je le regarde et je lui dis « oui bien évidemment que vous pouvez, depuis le premier jour que je vous ai vu j’ai compris que la seule chose dont vous aviez le plus besoin au fond de vous c’est de vous sentir utile…« 

Personne n’avait compris que lui aussi voulait aider.

Aujourd’hui ce jeune homme vient deux fois par semaine faire des cours de soutien à tous nos jeunes de l’hôtel de la rue, car petit à petit nous avions appris qu’il a un bon niveau d’études, qu’il sortait de prison pour avoir volé à manger, et que ce monsieur avait tellement du mal à se faire comprendre que tout le monde l’avait mis de côté. Et cela en lui proposant juste de faire des papiers et en lui donnant des adresses pour faire ses démarches. Mais personne n’avait compris que lui aussi voulait aider.

Edson LAFAITTEUR