Un communiqué de « La Roue Tourne – Strasbourg » ce samedi 30/05/2020 après la manifestation pour la régularisation des sans papiers à la gare de Strasbourg.
Samedi 30 mai 2020 / Un an après, rien n’a changé …
Qui nous sommes ?
Il y a un an, tout à commencé à quelques mètres d’ici, de façon très douloureuse, de façon tragique. On ne voulait qu’une chose : un toit. A la place nous avons eu droit aux larmes.
Nous sommes dégoutés, mais on ne recule pas. Vous entendez bien ? Je ne recule pas. Il y a un an, je vous parlais déjà. Je vous parlais de Stéphane, de Habib, d’Abdou, de Shaquira, de toi, de moi, mais qui s’en rappelle, dites-moi ? On en a marre de vos rues, de l’alcool, de la drogue qui tuent. Mais la rue tue aussi ! Le suicide, des promesses, des beaux blablas, des engagements, ça nous a laissé un goût amer.
Maintenant, vous me demandez de faire confiance le 28 (2e tour des élections municipales à Strasbourg) pour un nouveau maire ?
plus de 800 humains ont transité par l’Hôtel de la rue en 10 mois
Pour beaucoup je parle trop de moi, pour beaucoup je suis parti en roue libre, mais je n’ai plus rien à perdre. Clé anglaise à la main, plus de 800 humains ont transités par l’Hôtel de la rue en 10 mois ! C’est ça mon destin, mais vous ne me comprenez pas. Vous ne me comprenez toujours pas.
Qui je suis ? Une roue de secours ? J’entends des appels au secours, à minuit, à 1h du matin, à 3heures … peu importe l’heure, des hommes, des femmes et des enfants, on a tout vu en un an. Nous avons été tagués, menacés, on a même voulu me tuer. Aujourd’hui à l’heure où je vous parle on a voulu m’égorger, il n’y a même pas un mois ! Retirez-moi l’épine que j’ai dans le pied pour aller plus vite, donnez-moi de l’air pour monter plus haut, donnez-moi l’envie pour que la roue tourne. Je suis parfois vulgaire, et souvent en colère. Je veux quoi moi ? Je veux juste que les miens vivent heureux !
On nous a critiqués, insultés, rabaissés, mais qui sommes-nous ? Des sans-papiers, des migrants, rien de plus … nous sommes des « riens ».
On m’a conseillé de me retirer, de partir, de ne plus parler, de ne plus rien faire, en gros de prendre ma retraite. C’est mal me connaitre. Hé les mecs ! Je suis l’emmerdeur et je vous emmerde. Rien à foutre, il est arrivé le temps dans découdre, ta loi je la découpe, elle veut me crucifier c’est pas un hasard. Accusé à la barre, coupable de rendre hommage je le suis, coupable de faire mon devoir citoyen. Trop de larmes, trop de sang, nous avons quittés nos pays, nos terres, nos patries, nos familles …
Imagine-toi, regarde ton voisin, ta mère, ta femme, ta fille et fais lui tes adieux ! Je viens de vous résumer nos vies en quelques mots. Ce sont quoi vos règles ? Voici les miennes : je suis dans le domaine, je ne suis la vitrine de personne. Ce que la roue tourne a fait n’est qu’un prototype, nous ne voulons faire de mal à personne, nous voulons juste démontrer que tout est possible avec un peu de volonté et beaucoup de détermination, notre force vient de toi Soroush. Merci petit frère.
Je donne des coups où ça fait mal. Normal, on le vit, nous savons de quoi nous parlons, nous savons d’où nous venons. Mais toi, sais-tu d’où tu viens ? Connais-tu notre chemin, tu fais rouler ta bosse, j’ai plus de culture, je parle et comprend plus de 6 langues, j’ai vu des gamins de 6 ans parler 8 langues différentes couramment, parmi ces 800 humains, ces vies humaines. J’ai pu entendre je ne sais combien de langues et de dialectes. J’ai appris plus en un an que jamais je n’aurais pu l’imaginer. Je ne parlais pas un mot anglais il y a un an, aujourd’hui si ! Merci l’hôtel de la rue, merci Soroush.
On nous a trahi mais c’est ça la vie. Je suis toujours aussi fou. On parle de moi, on parle de nous partout, mais qui nous connait réellement ? Qu’on parle de moi, l’emmerdeur par ci, l’emmerdeur par-là. Pourtant je ne demande qu’une chose, « Que la roue tourne ». On veut un toit.
Habib, c’est pour toi tout ça, un an après personne ici ne t’a oublié, personne ici ne pourra t’oublier. Qui tu étais ? Personne n’a vraiment cherché à savoir non plus, tu es parti trop vite, beaucoup trop vite, pardonne-moi, pardonne-nous. Ton geste, ta mort, nous a rendu fous. La rue c’est un sport collectif, mais attend je vais te donner la balle. On casse leurs portes, pour en arriver là tu as dû te sentir bien seul. Aujourd’hui grâce à toi, pour tous, nous sommes plusieurs car tu nous as montré le chemin. SOLIDAIRES est notre devise. Ne cherchez pas à nous diviser.
Clé anglaise, tournevis, je suis prêt à tout casser. Dis-moi où tu es et nous venons te chercher. J’en garde rancœur, j’ai tellement de coups de couteaux dans le dos que ma chérie peut pas me prendre dans ses bras. Je ne sais pas si mon fils sera fier de moi ni s’il me comprendra, je souhaite juste qu’il ne manque de rien. Pas comme moi.
Ceux qui nous veulent mort, n’oubliez pas de viser la tête, je suis peut être le pote de ton pote, lui-même le pote de son pote, mais toi si je te donne mon poignet c’est que je ne te respecte pas. Peur que tu m’arraches le bras.
Viens nous rendre visite si tu peux voir un endroit magique
Chez nous (à l’Hôtel de la Rue) il n’y a pas de guetteur. Nous n’avons jamais eu peur, que du bonheur, nos enfants sont scolarisés. Viens nous rendre visite si tu peux voir un endroit magique, calme, avec des salles de classe, une salle de sport, une salle de ciné que nous partageons.
Au départ, on m’a dit : tu ne pourras pas mélanger toutes ces personnes, tu ne pourras pas faire coexister plus de cent personnes des quatre coins du monde. Je vous ai ri au nez, je n’ai jamais cru en ces dires, je n’ai jamais écouté ces gens. Aujourd’hui, tout le monde se mélange, il n’y a pas d’étage par pays ou pas régions mais des étages familles.
On m’a dit que nous ne tiendrons pas, que nous sommes un repère de prostitutions et de drogues. Nous avons tout entendu … Mais la seule chose que nous avons pris en compte, c’est ta force, celle que tu nous a apporté, merci Soroush. Grâce à toi, nous avons pu prouver a des centaines, à des milliers de personnes que nous sommes juste des frères et sœurs.
Bienvenue dans notre demeure, dans notre monde, au 91 route des romains à Strasbourg. Bienvenue à l’Hôtel de la rue.
Pour que enfin « La roue tourne » nous ne voulons que deux choses : le droit au logement pour tous, et que personnes n’oublie ce 23 juillet 2019, le jour où notre frère est parti suite à de nombreuses demandes d’aides auxquelles personne n’a répondu. Nous ne voulons pas en faire un martyre car il ne la jamais été.
Aujourd’hui nous avons dû faire ce que l’Etat, le gouvernement et certaines associations, eux, ont refusés de faire pour Soroush. C’est pourquoi je demande au nom de la Roue tourne et de tout ses résidents, membres, bénévoles de l’Hôtel de la Rue et à tous ceux qui nous soutiennent et qui se reconnaissent en nous, de respecter une minute de silence en mémoire de Soroush Habib, ce jeune Afghan, mort le 23 juillet 2019 au parc des Glacis à Strasbourg. Juste devant plus d’une centaine de sans abris comme lui qui ne voulaient tous qu’une chose : vivre, vivre heureux, refaire une vie, s’en sortir. Au lieu de cela nous survivons, nous ne vivons pas.
Tu nous a donné la force de nous loger, maintenant à nous de leurs expliquer que nous ne squattons pas mais que nous survivons. Merci Soroush, pardonne moi.
Merci de m’avoir lu, écouté, de m’avoir donné la parole. Je terminerai juste par vous dire que la roue tourne et n’a pas fini de tourner. Ce que nous avons fait tout le monde peut le reproduire. Nous vous avons démontrés que tout est possible, qu’il suffit d’y croire. Nous sommes des migrants, des anciens migrants, des sans-abris, pour certains nous sommes des punks à chiens ou encore des mendiants, peu importe le nom que tu nous donnes, nous sommes juste des vies.
Merci
« La Roue Tourne »
L’Hôtel de la rue
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Retrouvez ci-dessous les publications précédentes sur l’Hôtel de la rue et La Roue Tourne :
- le 25 juillet 2019 : Lettre ouverte en réponse à la mairie (de Strasbourg) au sujet de l’occupation du bâtiment dit « L’Hotel de la Rue »
- le 4 août 2019 : « L’Hotel de la Rue » à Strasbourg : État de la situation