La ministre, la bourse et les pauvres 

La semaine dernière, la secrétaire d’Etat Agnès Pannier-Runacher, interrogée sur la chute du cours des bourses, a répondu que c’était un bon moment pour acheter à la baisse. Je n’ai aucune compétence en matière financière et, donc, je ne me prononcerai pas sur la pertinence du conseil. En revanche, on peut s’interroger sur cette confusion entre la fonction de trader et celle de ministre, et sur le caractère déplacé de cette remarque en pleine crise du coronavirus.

C’est pour moi l’occasion de revenir sur des travaux essentiels, ceux du sociologue Denis Colombi, découverts récemment sur Mediapart. Il s’est intéressé à la façon dont les plus pauvres gèrent leur argent et aux jugements portés sur cette gestion, le plus souvent par ceux qui n’ont pas de soucis de fin de mois : pourquoi un téléphone si cher alors qu’on a pas de logement ? Pourquoi ces chaussures de qualité quand a tout juste les moyens de se nourrir ? Pourquoi ces dépenses « superflues » alors qu’on n’a pas le minimum ?

Leur situation n’est pas la conséquence de leur mode de consommation, c’est l’inverse.

Les pauvres ne sauraient pas se retenir et devraient économiser davantage, à écouter ces commentaires. En gros, si les pauvres sont pauvres, ce serait à cause de leurs comportements inadaptés. Or Denis Colombi, en soulignant qu’on se permet un jugement sur les dépenses des pauvres qu’on ne s’autorise pas sur celles des riches, montre combien la rationalité ne manque pas dans les choix de consommation fait par les plus précaires. Il suffit de leur demander. Si ce monsieur achète des chaussures coûteuses, c’est parce que ses pieds sont son moyen de transport et qu’il ne peut pas s’acheter de voiture. Si cette maman remplit le frigo dès le début du mois, c’est pour être sûre de pouvoir nourrir sa famille avant de voir son compte être débité pour autre chose. Si ce jeune migrant qui n’a rien a un bon Iphone, c’est justement parce que c’est vital quand on a dû quitter les siens, qu’on est sans domicile, qu’on a besoin de traduire, qu’on doit faire des démarches administratives à l’heure où tout est dématérialisé.

Les personnes pauvres consomment comme elles le font du fait de leur pauvreté. Leur situation n’est pas la conséquence de leur mode de consommation, c’est l’inverse. On pourrait résumer en disant que si elles sont pauvres, c’est parce qu’elles sont pauvres, qu’elles sont nées pauvres. D’autres racontent leurs privations pour un billet de concert, un bon restaurant, pour des cadeaux coûteux au Noël des enfants, pour un billet de loterie, tout simplement pour quelque chose qui leur fait plaisir. Bref, les personnes pauvres ne se résument pas à leur pauvreté. Comme chacune et chacun d’entre nous, elles ne sont pas qu’un ventre. Elles ont des enfants, des amis, des sentiments, des goûts, des opinions, des espoirs, tout simplement une dignité. 

J’écris régulièrement dans le journal l’Humanité (tous les mardis) une chronique qui choisit de parler plutôt de celles et de ceux dont on parle peu, qui s’expriment peu… Je vis à Besançon, dans le Doubs, dans l’est de la France. J’enseigne dans un collège avec beaucoup d’élèves en grandes difficultés, dans une prison (une maison d’arrêt) et j’échange régulièrement avec un groupe de personnes dites « handicapées intellectuelles », je suis également en contact régulier avec des personnes migrantes ou des associations qui les accompagnent. C’est de mes rencontres avec eux dont je parle, mais je ne prétends pas m’exprimer à leur place. Je suis heureuse de les partager avec les lecteurs de ce journal. Barbara ROMAGNAN

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