C’est en zappant tard le soir devant ma télé que j’ai découvert l’existence du livre « Cela devient cher d’être pauvre ». Son auteur Martin Hirsch était venu le présenter sur le plateau du JT de France 3. Encore aujourd’hui, des années plus tard, je ne comprends pas qu’un tel sujet avec un titre aussi percutant (et pertinent) n’ait pas fait le buzz.
Il y fait des révélations surprenantes quant à la réalité du « statut » de pauvre et avance des stratégies innovantes pour lutter contre la pauvreté. Pour ma part, je me suis cantonnée à rendre compte du constat que fait Martin Hirsch : pauvreté, la double peine. Il s’agit donc d’une évocation partielle de l’ouvrage. De fait, seule la lecture de son livre permettra au lecteur d’appréhender l’entièreté de sa pensée, idées, décryptages, analyses et propositions.

Pauvreté : la double peine

Qu’est-ce que la double peine ? C’est un « mécanisme qui pénalise ceux qui ont les revenus les plus faibles et qui les met dans une situation plus désavantageuse que celle que « justifierait » le simple écart de revenus »

Ce constat est décrypté et analysé par Martin Hirsch dans son livre paru en 2013 intitulé Cela devient cher d’être pauvre (Editions Stock).Toujours d’actualité l’ouvrage est pourtant largement méconnu. Martin Hirsch est ancien président d’Emmaüs, ex-Haut-Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse sous la présidence de Nicolas Sarkozy et depuis 2013, directeur général de l’HP-HP Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.

Quelle est l’ampleur de la double peine? « Elle représente 6 à 8 % des revenus des ménages les plus pauvres. Son montant s‘élève à 2 milliards d’euros par an. En d’autres termes, si, toutes choses égales par ailleurs, les plus modestes payaient le même tarif pour leurs besoins essentiels que le reste de la population, ils économiseraient  6 à 8 % de leurs revenus » selon une étude réalisée en collaboration avec un cabinet américain de stratégie et conseil Boston Consulting Group parmi les plus réputés au monde pour son professionnalisme et sa fiabilité selon l’auteur.

Le constat est ainsi posé : si « être pauvre, c’est avoir moins d’argent que les autres (…) affligeante banalité », «c’est aussi payer plus cher que les autres pour se loger, s’assurer, se soigner, téléphoner»

Logement

Martin Hirsch consacre un chapitre aux aides au logement. Il y révèle un phénomène d’abord démontré aux Etats-Unis à savoir que « le montant des augmentations de loyers était supérieur au montant des aides au logement distribuées aux catégories les plus pauvres » ce qui revenait à « subventionner les propriétaires ».

En France, ce phénomène a fait l’objet d’une étude et d’un ouvrage écrit par Gabrielle Fack Pourquoi les ménages à bas revenus paient-ils des loyers de plus en plus élevés ? (2005). Entre 1973 et 2002, la chercheuse a suivi les augmentations de loyers pour chaque catégorie de ménages et a constaté qu’ «au fur et à mesure des années, les personnes modestes payent leur loyer au mètre carré de plus en plus cher, pour atteindre à la fin des années 90 le même prix au mètre carré que les ménages les plus riches !»

« Or, les années de plus forte hausse des loyers correspondent aux périodes d’augmentation des aides au logement »

Ses travaux ont notamment permis de révéler qu’entre 1988 et 1996, «1 euro supplémentaire d’aide au logement entraîne une  augmentation de loyer de 0,94 euros». « Autrement dit, conclut Martin Hirsch, quand on ajoute 1 milliard d’euros dans les aides au logement, 60 millions d’euros soulagent les locataires et 940 millions augmentent les revenus des propriétaires.»

Selon cette même chercheuse, « 78 % des aides au logement sont captées en hausse de loyers.»

L’un et l’autre préconisent l’indifférenciation des aides au logement par exemple en les intégrant dans le RSA car elle rendrait «plus difficile pour les propriétaires de faire le calcul qui aboutit à la captation de l’aide»

Santé

Il revient sur le ticket modérateur – fraction de la dépense de santé non prise en charge par la Sécurité Sociale – censé modérer la dépense en diminuant le taux de remboursement. Or, le principe même est contestable puisqu’il ne fait pas la part « entre une modération qui s’appliquerait aux soins et prescriptions inutiles et un renoncement aux soins pour des raisons financières »

Outre le fait qu’il a été augmenté à 6 reprises depuis sa création dans les années 70, il n’est pas la seule participation demandée aux assurés. S’y ajoute une liste de dépenses non prises en charge sans cesse allongée (franchises de 50 centimes à 2 euros 50 sur les boîtes de médicaments, consultations, actes paramédicaux, transport sanitaire ; forfait hospitalier journalier à 18€ (en 2013))  jusqu’à atteindre en moyenne 20 % de dépenses de la poche des patients.

Concernant le forfait hospitalier journalier à 18€, si on peut en comprendre le principe (quand on est hospitalisé, on est nourri et logé), l’auteur fait remarquer que beaucoup de gens aux revenus modestes mangent pour moins de 18€ par jour et que les loyers ne sont pas suspendus pendant l’hospitalisation.

D’aucuns diront que les mutuelles couvrent une bonne partie de ces restes à charge. Outre le fait que tout le monde ne possède pas de couverture complémentaire, il reste qu’à chaque transfert de dépenses de la Sécurité Sociale vers les mutuelles, celles-ci en répercutent le coût sur les cotisations.

Quant à la CMU, elle ne concerne pas toutes les personnes en dessous du seuil de pauvreté puisque la limite a été fixée sous le minimum vieillesse de sorte que les retraités qui n’ont pour vivre que le minimum vieillesse n’en bénéficient pas.

Il en résulte que les malades pauvres hors CMU « supportent des coûts plus élevés que le reste de la population (…) soit l’inverse des principes à l’origine de la Sécurité Sociale en 1945 selon lesquels chacun contribue au financement des soins selon ses moyens »

Fiscalité

Là encore, « quand on est pauvre, on paye, proportionnellement à ses revenus, plus d’impôts que quand on est riche ».

Il fait référence au livre Pour une révolution fiscale (Seuil, 2011) dans lequel Thomas Piketty et ses coauteurs démontrent que l’impôt en France n’est pas progressif mais au contraire dégressif : si l’ensemble des ménages subissent une taxation moyenne de 45 % de leurs revenus, les plus aisés ne sont soumis qu’à un taux moyen de 35 %, tenant au fait que l’impôt sur le revenu censé être le plus progressif ne représente qu’une faible part du total des impositions et que sa progressivité est fortement atténuée par les niches fiscales et autres mécanismes de déduction et réduction d’impôts » « La progressivité de l’impôt sur les premières tranches est si faible que les 10 % les plus pauvres payent plus de 40 % d’impôts sur l’ensemble de leurs ressources, soit un taux de prélèvement supérieur aux plus riches » (35 %).

Les  niches fiscales ne s’appliquant qu’à ceux qui payent l’impôt sur le revenu, « les ménages les plus modestes qui peuvent pourtant souhaiter aider la scolarité de leurs enfants ou réduire leurs dépenses d’énergie »  n’en bénéficient pas.

A ce propos,  Martin Hirsch démonte la critique faite à l’encontre de la moitié des ménages non imposables à l’impôt sur le revenu : « juridiquement exact mais économiquement faux »

Car il existe depuis 1988 un autre impôt sur le revenu qu’est la CSG (Contribution Sociale Généralisée). Au total donc, plus de 90 % des ménages payent un impôt sur le revenu. Mais seule la moitié d’entre eux bénéficient des avantages fiscaux car il n’existe pas d’avantages fiscaux greffés à la CSG.« La double peine fiscale existe donc également »

Assurance

Le magazine Auto Plus (octobre 2012) a fait l’expérience entre un chômeur et un salarié. « Résultat 17 sur 27 compagnies d’assurance ont imposé un tarif plus élevé aux sans-emploi, l’écart pouvant aller jusqu’à 33 % de surcoût » Exemple de motif invoqué : « un chômeur se déplace davantage pour les entretiens d’embauche et parce qu’il dispose de plus de temps libre ! »

Voiture

Un modèle ancien nécessitera plus de réparations et consommera plus d’essence qu’un modèle récent. Ainsi, de faibles revenus ne permettent pas « d’accéder aux mêmes standards de qualité que le reste de la population »

Energie

« Les appareils électroménagers les moins chers sont également les plus gourmands en énergie » ; « le coût au kWh consommé est supérieur pour les petits consommateurs (logements plus petits, moins d’équipement) » rapporté au coût de l’abonnement (frais fixes).

Transport

Le gain de loyer de ceux habitant à la périphérie des villes parce qu’ils ne peuvent supporter les loyers plus élevés des centres-villes « est neutralisé par le surcoût de transport dés lors que l’on doit combiner voiture pour aller à la gare et transports en commun »

Banques et organismes de crédit

Ils accordent aux riches des crédits à des conditions avantageuses quand dans le même temps les pauvres se voient contraints de recourir à des crédits à la consommation à des taux d’intérêts plus élevés. Quand les uns empruntent pour investir et s’enrichir, d’autres s’endettent et s’appauvrissent. Or, d’après l’auteur, «statistiquement, les pauvres ne sont pas plus mauvais payeurs que les autres».

Martin Hirsch évoque dans son livre les courriers reçus lors de sa mission gouvernementale et qui illustrent de façon concrète le concept de «reste à vivre» qui se réduit comme peau de chagrin pour les plus modestes.

Car le pouvoir d’achat des pauvres est fortement impacté à la baisse du fait qu’« en 20 ans la part des dépenses contraintes est passée de 25 % à 50 % de leurs revenus quand dans le même temps, elle restait quasiment stable pour le reste de la population et notamment les 20 % disposant des revenus les plus élevés »

Ainsi, la double peine est une réalité que méconnaissent ceux qui ne sont pas pauvres, ceux qui peuvent se permettre « de faire jouer la concurrence la plus large, de choisir entre plusieurs prestataires, de négocier, de pouvoir jouer le rapport de force, ceux qui sont courtisés pour être clients, récompensés pour leur fidélité »

Sachant qu’un tiers des ressources des plus modestes provient des aides sociales et qu’ils consomment en partie grâce à elles, celles-ci ne servent donc pas à les soulager en allégeant leurs dépenses mais à compenser le surcoût de la double peine. Loin de réduire la pauvreté, elles « subventionnent les biens davantage que les personnes qui en ont besoin »

Martin Hirsch aborde également le sujet de la disparité entre pauvres et riches dans 2 domaines de dépenses certes volontaires que sont les jeux de hasard et les dons aux associations mais très révélateurs au regard de la société dans laquelle nous vivons (ou croyons vivre).

Jeux de hasard

Concernant les jeux de hasard, il titre sur « L’incroyable destin de l’impôt sur la mauvaise fortune » ou comment l’Etat organise à son profit une manne financière au détriment des plus pauvres.

D’abord, il note qu’autant les gains des joueurs font l’objet de larges publicités ici ou là autant le montant des mises correspondantes demeure inconnu. Or, les pauvres sont ceux qui jouent le plus. Logique, « les plus riches n’ont pas besoin de se raccrocher à des rêves de gains » Pire, les pauvres forment le gros des bataillons de joueurs compulsifs ou excessifs. D’ailleurs, une étude en 2011 de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (sic) révèle que « 78 % des joueurs excessifs ont un revenu inférieur à 1100 euros par mois »

Ensuite, Martin Hirsch s’est intéressé, s’agissant de jeux de hasard avec monopole d’Etat, à la part qui revenait réellement dans la poche des joueurs et à celle des taxes prélevées. Il s’est procuré les rapports d’activité de la Française des Jeux, du PMU et autres rapports sur les jeux d’argent. A sa grande surprise, «en moyenne, seulement deux tiers des mises sont restitués aux joueurs.» Sachant qu’en 2012, les Français ont joué pour 37 milliards d’euros,ce sont plus de 10 milliards qui ont été ponctionnés, «essentiellement supportés par les plus pauvres», somme supérieure à l’ISF impôt de solidarité sur la fortune. Un impôt «faussement volontaire» car «jouer n’est pas le fruit simple d’une volonté libre, mais fortement influencée. Les organismes de jeux dépensent des sommes importantes en publicité» Martin Hirsch note la schizophrénie de l’Etat « qui encourage au jeu, récolte des recettes et subventionne ceux qui jouent car 20 % des sommes jouées sont en réalité des sommes perçues en aides sociales » Ou comment récupérer d’une main ce qu’il donne d’une autre.

Dons aux associations

Concernant les dons aux associations, Martin Hirsch indique que «les oursins ne sont pas dans toutes les poches» en révélant que si le taux de générosité moyen des Français d’après le ministère des Finances qui gère les déductions fiscales est de 0,8 % des revenus, « les plus favorisés ne donnent que 0,6 % de leurs revenus alors que les plus modestes y consacrent 1 % » Si le taux des riches s’alignait sur celui des pauvres c’est l’équivalent d’un 2° Téléthon qui serait récolté au bénéfice de toutes les associations. «Or, qui peut prétendre que quand un smicard consacre 1 % de son revenu à des dons, celui qui gagne 5, 10 ou 20 fois plus et dont les dépenses contraintes ne représentent qu’à peine un quart de son budget, ne peut donner 1 % ?»

Martin Hirsch cite l’Abbé Pierre dans le livre : « Dans une démocratie, les pauvres souffrent à la fois d’être trop nombreux et d’être minoritaires »

Cela devient cher d’être pauvre titre Martin Hirsch. Cela revient cher d’être pauvre, aussi !

Christine Rouffignac – Montpellier

Si vous souhaitez réagir à cet article, n’hésitez pas à laisser un commentaire (tout en bas de cette page). Vous pouvez aussi lancer un débat sur un sujet de votre choix sur le Forum de ce journal.