En tant que travailleur social et engagé dans le cercle associatif, la misère, la pauvreté, le chômage, la stigmatisation sont des problématiques que je côtoie régulièrement. L’esprit de cette chronique est simple : c’est un engagement contre la violence du capital qui crée toutes ces difficultés et contre une politique libérale qui elle, légitime l’inconcevable. Je publie régulièrement sur mon blog sur Mediapart.

Changeons notre regard sur la politique des sans-abris

Introduction : L’expulsion a atteint un niveau record sous le mandat de François Hollande, Macron voudrait-il le devancer ? Une chose est sûre, nos dispositifs manquent cruellement de moyens financiers ou humains, pourtant de nombreuses possibilités s’offrent à nous. Mais encore faut-il avoir le cran de les imaginer.
  1. L’indécence d’En Marche

Je me souviens de ce 27 juillet 2017 : « Je ne veux plus de femmes et des hommes dans les rues, dans les bois, ou perdus… C’est une question de dignité, c’est une question d’humanité et d’efficacité là aussi. ». Le président de la République faisait ici une promesse intenable. D’une part car il fait totalement l’impasse sur un sujet extrêmement complexe, avec des réponses divergentes à mettre en place selon les personnes, selon leurs histoires, leurs parcours de vie, leurs besoins… et dont il n’a aucune connaissance. D’autre part, parce qu’une pratique néolibérale de l’économie ne mettra jamais l’Humain au centre des questions sociales, essentielles et existentielles.

Comble du ridicule ou simple arrogance naturelle, Castaner, le Secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, poursuit le 29 décembre 2017 : « Des femmes et des hommes, dans le cadre des maraudes, refusent aussi d’être logés ».

Ceci n’est qu’une fable d’En Marche, soit une de plus. J’ai moi-même été dans le milieu associatif effectuant des maraudes en restant toujours attentif aux différents rapports sur la situation des sans-logis. Il y a effectivement des personnes qui refusent le logement mais elles ne constituent pas la majorité des personnes. De plus, le logement et l’hébergement sont deux dispositifs différents et le refus de certains sans-logis pour l’un ou l’autre est d’une part tout à fait légitime, mais d’autre part les raisons et les arguments du refus sont également divergents. J’ai déjà écrit un article dessus ici[1], c’est pourquoi je n’y reviendrais pas. Il ne faut donc pas faire l’impasse sur la complexité de cette situation, sa diversité dans les parcours de vie de chacun, dans leurs besoins et leurs désirs, et dans les refus de certaines personnes à la rue d’accepter que leurs difficultés se fassent institutionnalisées par les services sociaux.

Cependant, En Marche aime insister sur le fait que ce sont les sans-abris qui refusent le logement comme pour se dédouaner de toute responsabilité. Comme le démontre le député de LREM Sylvain Maillard sur RFI le 5 février 2018 : « l’immense majorité d’entre eux dorment dehors par choix ».[2]

C’est pourquoi ce parti ne dit jamais par exemple que seulement 1 appels sur 4 effectués au 115 en novembre 2017 a abouti à un hébergement d’urgence !

Pire encore en 2016, il y a eu une augmentation de 5 % de non-attribution d’hébergement. L’augmentation des réponses négatives est carabinée : 59 % des hommes seuls, 51 % des femmes isolées, 73 % de couple sans enfant, et 72 % de famille ![3]

Mais avons-nous réellement des possibilités afin d’aider les personnes à la rue ?

La réponse est oui, mais faut-il encore avoir du cran pour les réaliser et avant tout pour les penser ! L’un des problèmes est que nous avons construit des mythes que je voudrais ici contredire :
– L’expulsion coûte moins cher que le maintien au logement
– Pour aider les sans-abris il faut juste un logement… mais cela reste coûteux

2a. Non à l’expulsion !

Dans un premier temps et contrairement à la pensée dominante, l’expulsion ne permet pas de faire des économies, bien au contraire. Sur le long terme, elle est plus coûteuse car elle engendre par exemple des frais sociaux et médicaux. Puis il y a les coûts d’expulsion notamment avec la force publique armée, et s’ajoute à cela le coût des services pour les sans-abris etc.

En conséquence, deux pays ont expérimenté plusieurs projets de prévention des expulsions : l’Autriche et l’Allemagne. Leurs estimations montrent qu’un euro qui est dépensé dans la prévention des expulsions permet d’économiser 7 euros de dépenses d’hébergement d’urgence et d’insertion sociale. Puis un autre pays, les Pays-Bas démontre dans leur expérimentation qu’un euro investi dans cette prévention permet d’économiser 2,20 euros, soit le double.[4]

Et en France……les expulsions augmentent dangereusement. Je décerne d’ailleurs à François Hollande la médaille d’Or dans ce domaine avec notamment l’usage de la force armée pour plus de délicatesse.

Macron fera t-il pire que l’ancien président ? En effet, au sein de son programme justice, il s’insurge que seulement 20 % des expulsions locatives soient exécutées. Il promet que sauf exception, toutes les décisions des premiers juges seront immédiatement exécutoires[5]. Macron voudrait t-il mettre dehors plus de 60 000 personnes par an ?

C’est pourquoi il faut de toute urgence que la France s’inspire de ces nouvelles expérimentations réalisées dans différents pays européens, afin d’une part de changer notre regard sur l’expulsion des personnes de leur domicile, et d’autre part du mythe consistant à penser que l’on économise de l’argent.

2.b  Pour le logement !

Voici quelques données sur l’attribution d’aide par type d’hébergement.
On constate que la majorité des dispositifs a pour but l’urgence, le temporaire et non la stabilité du logement. En effet, l’hébergement d’urgence n’est pas une solution durable comme son nom l’indique. Pour les professionnels, il s’avère complexe de construire un transfert et un lien d’accompagnement avec les personnes aidées dans une finalité de réinsertion sociale et/ou professionnelle.

Il faut également sortir du mythe « Il y a 150 000 personnes dans les rues, on a 3 millions de logements vacants donc il suffit de les loger ». Malheureusement la réalité est bien plus complexe que cela.

Tout d’abord, le logement doit effectivement rester une priorité mais il ne faut pas faire l’impasse sur la complexité des situations.

En 2010 s’est tenue une conférence sur la question des sans-logis, il a été défini que les réponses les plus adaptées et les plus efficaces sont les actions dirigées vers le logement d’une part sur le plan économique et d’autre part sur le plan social.

Par contre le logement ne suffit pas, il faut également un accompagnement pluri-professionnel afin d’aider la personne à retrouver les codes d’une société qui peuvent lui être maintenant abstraits.

Or, ceux (les libéraux) qui regardent le portefeuille avant l’humain pourraient prétendre que payer le logements à des sans-abris est plus coûteux que de les héberger à droite et à gauche dans des hôtels ou C.H.U. Cependant, nous pouvons cette fois-ci prendre l’exemple de la Finlande.

Depuis 30 ans, ce pays Scandinave a mis en place une véritable politique « du logement d’abord ». Ce dispositif est mené par une triangulation entre le ministère de l’Environnement (pour la construction et de la rénovation des habitations) ; les Affaires Sociales et la Santé (pour la prise en charge des personnes) ; et des Finances (pour le budget). Le résultat est sans appel : depuis 30 ans, le nombre de sans-abris est passé de 20 000 personnes à 6644 personnes, soit 3 fois moins.

La Finlande a abandonné ses centres d’accueil de nuit pour construire ou rénover des nouveaux logements. Peter Fredriksson, « l’homme du logement d’abord » en Finlande explique que l’État a une politique volontariste pour ce projet en investissant dans la construction de nouveaux logements, mais également dans la formation des professionnels et dans du matériel médical. Au total, 240 millions ont été dépensés en 8 ans amortis en quelques années « Nous avons fait une évaluation du coût de l’opération : cela permet d’économiser 15.000 euros par an et par personne. Moins de prison, moins de services d’urgence, moins de visites à l’hôpital… Sans la volonté politique et l’alliance de ces trois ministères, ça n’aurait pas été possible. ».[1]

Des possibilités existent mais encore faut-il avoir la volonté de les appliquer. Certes la situation de la Finlande n’est pas la même que la France. Nos libéraux tellement obnubilés par leur désir extrême de maintenir la prédation du capital ne risque pas de regarder du coté de la Finlande et du logement d’abord.

Cependant il ne faut pas avoir peur d’investir pour le projet « un logement d’abord » réfléchi sur le long terme. La société civile a un rôle majeur à jouer, elle doit alerter les administrations politiques sur ces nouvelles expérimentations positives mises en place dans diverses pays européens.  La Fondation Abbé Pierre a déjà crée avec l’aide des collectivités locales des logements dits « très sociaux ». Ce sont des logements économes à basse consommation permettant de diminuer la dépense énergétique de 900 euros par an. Il n’y a pas besoin de chauffage grâce à une isolation renforcée, les menuiseries sont équipées d’un triple vitrage et la production d’eau chaude sanitaire est complétée par des capteurs solaires. Le logement d’abord est un tremplin pour les personnes à la rue afin de retrouver une filiation avec la société, de reconstruire des liens sociaux, familiaux, et professionnels et enfin s’écarter de la désaffiliation.

En conclusion

Tous ces exemples d’expérimentations à travers l’Europe démontrent que nous pouvons faire autrement. Surtout, nous serions gagnant dans tous les domaines sur le long terme, d’un point de vue social, humain et même économique. Depuis 2001, la France a connu une augmentation de 50 % de personnes à la rue soit environ 141.500 début 2012 dont 35 000 enfants. Chaque personne à la rue est une nouvelle défaite pour notre démocratie. Mais de nouvelles opportunités s’offrent aujourd’hui à nous, alors nous devons dire un grand non à l’expulsion et un grand oui au logement d’abord !

La question financière n’est même pas la plus complexe, lorsque l’on sait par exemple que le CICE nous coûte 20 milliards en 2017 alors qu’il est improductif et qu’il rentre dans….. la dépense publique, rien que 25 % du CICE pour le projet « Un logement d’abord » aurait propulsé ce dispositif à des hauteurs plus que positives.

Non aux expulsions ! Pour un logement durable !

MARCUSS (51)

[1]https://blogs.mediapart.fr/astier-valentin/blog/301217/propos-indecents-de-christophe-castaner-sur-les-sdf 

[2]https://www.marianne.net/politique/video-pour-depute-lrem-syvlain-maillard-immense-majorite-sdf-dorment-dans-la-rue-par-choix

[3]https://blogs.mediapart.fr/astier-valentin/blog/301217/propos-indecents-de-christophe-castaner-sur-les-sdf

[4] P.Kenn et Al,. « Pilot project. Promoting protection of the right to housing. Homelessness prevention in the context of evictions, 2016 » et Sortir du mal-logement c’est possible, page 70/71

[5]https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/justice

[1]https://reporterre.net/La-Finlande-loge-les-SDF-et-ca-va-beaucoup-mieux

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