Une banale histoire française : témoignage, par Valia

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Les invisibles et les intouchables de la République : que la Force soit avec nous .

Permettez- moi chers gouvernants et décideurs de vous raconter une histoire personnelle. Ceci pour mieux vous parler de nous au sens collectif, face au désastre démocratique et social grandissant. Je parle en mon nom, et même si je suis aujourd’hui une bobo fauchée, je me classe dans cette masse du ‘nous’ ignorée par habitude, méprisée par éducation et sacrifiée par lâcheté ou cynisme. On peut choisir une lecture narrative d’un parcours, ou une lecture politique et sociale centrée sur un individu, ses capacités, ses manques et le système dans lequel il évolue.

Une banale histoire française

Longtemps j’ai subi comme des millions de Français le déterminisme social, sans connaître ni ce terme, ni son sens et sa signification. Pourtant il pesait sur les lignées comme la mienne, qui survivaient sans rien revendiquer. Fille d’un émigré, fruit d’un mariage mixte raté qui dura six mois, une famille sous-prolétaire explosée et quasi inconnue, les fins de mois impossibles, les expulsions des appartements et des collèges, une fin d’études approximatives entre 12 et 16 ans, le premier rendez-vous d’urgence chez un dentiste à 18 ans, mon avenir était scellé. Zola pouvait être fier de moi. Je ne déméritais pas. J’étais une enfant ‘sauvage’ dans la banlieue d’une grande ville. Peu éduquée, jamais soignée, et de moins en moins nourrie, je donnais pourtant le change comme je le pouvais. Les enfants cachent les défaillances de leurs parents. Ainsi, comme beaucoup, je vivrais ou survivrais dans les marges, me méfiant de la société et me détestant par la même occasion.

Je me suis donc punie, devenant mon propre bourreau, comme nombre d’entre nous. Je ne savais pas pourquoi, mais il devait forcément y avoir une raison à ce mauvais karma, où l’urgence était de se loger et de se nourrir, et le lendemain, une menace perceptible. Je n’ai pas eu sans soutien familial minimal, le courage de forcer à l’époque mon destin comme les meilleurs d’entre nous, ni de croire à l’égalité républicaine dont d’ailleurs je n’avais jamais entendue parler. Je ne savais pas comment fonctionnait une faculté. Je n’avais jamais entendu parler de grandes écoles et je confondais MBA et NBA. Je ne connaissais alors ni Bourdieu, ni Marx que je confondrai un temps avec un acteur à moustache.

Je me suis laissée porter d’une rencontre à une autre, d’un lieu à un autre, sans réelle conscience politique ou sociale, ni du rôle auquel individuellement je pouvais prétendre et de ce que je pouvais faire pour moi comme pour les autres. Je n’enviais personne. Je ne revendiquais rien. Je voulais rester loin, au soleil. Ma conscience politique était anesthésiée par un système basé sur l’ignorance, la peur du lendemain, les humiliations et l’angoisse trans-générationnelle qui vous conditionnent à chaque sonnerie à la porte.

Parfois, l’argent ou plutôt le manque d’argent me renvoyait l’image d’une grande différence entre moi et d’autres. Je n’avais pas compris que l’argent n’était finalement qu’un combustible et un filtre.

Le filtre d’un système inconnu dont j’étais de facto exclue faute de combustible, faute d’en connaître les codes, les usages et les réseaux. Je me contentais de survivre dans les marges sans même l’idée qu’un monde parallèle existait. Celui des ayants-droits naturels. J’y serai pourtant confrontée de ma propre initiative quelques années plus tard.

Après de longs détours et de nombreux égarements personnels et professionnels, j’ai essayé de me domestiquer pour échapper au grand n’importe quoi.

J’ai ainsi appris à m’habiller, à me soigner, à parler à tous types d’interlocuteurs, à poser les bases d’une culture générale très approximative, pour obtenir des postes et un emploi tant convoité. J’aurais ainsi pu me contenter d’une pseudo ‘réussite’ sociale. J’avais acquis le droit à une existence confortable qui était ce qu’elle était, me trompant moi-même pour mieux séduire les autres. A partir d’un statut social dont la surconsommation était le symptôme, j’étais comme beaucoup, une partie d’un tout qui vivait juste pour elle-même, étonnée et heureuse d’avoir conjuré le sort sans pourtant y croire vraiment. J’en ai usé et abusé. Je devais tout cela à ma force de travail et ma ‘résilience’ dirait Cyrulnik. J’ai voyagé dans nombre de pays que je n’aurais sans doute jamais connu et je me suis fais une vie plutôt enviable, sans compromis honteux, même si j’ai laissé parfois mes instincts les moins sympathiques s’exercer. Pardon. Néanmoins, un jour j’ai fui ce système. Tout cela n’était pas moi. Le pouvoir n’était pas mon but. Je m’étais trompée.

Je gardais la blessure d’un choix de vie par défaut faute de diplôme. J’avais le souvenir d’avoir vu et écouté à la télévision (ORTF…) quand j’avais huit ans, Georges Steiner. J’avais été fascinée par ce qu’il disait. A la fois parce que j’avais l’impression de tout comprendre, mais aussi parce que je voulais être comme lui, parler comme lui, former mon mode de pensée sur le sien.

Dès lors, j’envisageais une autre vie professionnelle et personnelle. Moi, petit scarabée, gavée de séries cultes, de films et de classiques vus et lus trop tôt ou trop tard, je me suis mise à croire que tout était possible après 40 ans d’une vie d’inconscience et d’irresponsabilité. Comme le disait Eleanor Roosevelt ‘Personne ne peut vous faire vous sentir inférieur sans votre consentement’. Je voulais enfin le meilleur pour moi, ce dont j’avais été privée, car ‘je le valais bien’.

Je pourrais avoir moi aussi, plusieurs vies et rebondir toujours et encore sans peur des échecs et qui ailleurs se nomme, l’essai –erreur. Je savais et je sais que ma différence ne me confèrerait ni talent particulier, ni excuse et qu’elle serait insuffisante en elle même pour justifier ma démarche et la qualité de mon travail. Cependant, j’avais trop honte de moi à certains égards pour être indulgente envers moi-même. Ainsi, les diplômes me donneraient l’assurance trans-générationnelle de ceux qui sont bien nés qui naturellement passent d’une réussite ou d’une ‘erreur’ à l’autre, sans angoisse du futur. Ils valideraient et légitimeraient ma vie en quelque sorte.

Je pourrais exister ailleurs qu’à la place originelle qui m’avait été assignée.

Le gout féroce de la République

Ne remplissant pas les critères minimum de l’excellence des établissements d’élites, ni des facultés, c’est dans un établissement de la ‘seconde chance’ que j’ai fini par trouver un écho à mes aspirations. Seule cette institution m’acceptait avec mes incapacités et mes carences. J’ai passé la validation des acquis professionnels puis un, deux, trois diplômes. C’est à ce moment là, que l’on m’a proposé de faire une conférence à des étudiants dans cette école de la seconde chance, et que j’ai enfin trouvé un sens à ce parcours. Admirative d’un discours ‘réformateur jovassien’, dont je comprendrai plus tard à mes dépens que seul le discours était réformateur, (il faut bien que des émigrés quittent leurs enfants pour s’occuper des leurs), je me suis dit « toi aussi, tu seras prof ma fille ». La promesse d’une autre vie se profilait enfin. Si je l’ai fait en partie, tout n’a pas été si simple que prévu et annoncé par les initiés.

Afin de tenter d’exister dans un milieu qui m’apparaissait comme le moteur de la respiration et du système républicain : l’éducation, j’ai du renoncer à toute vie sociale et affective. Sans don ni talent particulier, j’avoue aujourd’hui qu’il faut avoir soit, une grande foi en soi soit, une grande inconscience pour s’aventurer sur cette voie académique. Il faut du temps dédié à cela, de la méthode et un esprit tranquille, ce qui n’était pas mon cas. Complexe d’infériorité ou de supériorité, je ne sais plus ce qui m’a poussé à tenir.

Je manquais absolument de méthode peut-être d’intelligence, mais pas de volonté pour apprendre et m’améliorer. Entre 2004 et 2009, j’ai gardé le cap et travaillé pour vivre autrement, en prenant le tout venant, en enseignant et en écrivant ma thèse. Je n’ai pas oublié une phrase lors d’un séminaire doctoral prononcé par un éminent professeur : ‘Progresser dans le monde académique, c’est ramper verticalement’. Heureusement, je rencontrerais plus de tolérance et d’aide de temps à autres. J’enseignais et je cherchais à mon humble niveau.

Force était de constater que mes cours étaient appréciés. J’avais en général de bonnes évaluations puisque j’ai enseigné durant toutes ces années dans les mêmes institutions dont certaines assez prestigieuses. Je suivais des mémoires, je gérais des programmes et je devais refuser plus de cours que de n’en accepter faute de temps. Néanmoins, je ne m’arrimais nulle part. J’étais toujours en orbite. Toujours décalée. Solitaire.

Force était aussi de constater que je n’étais pas douée à double titre : la méthode et la méthode. Avec peu d’écrits et pressée par l’âge et le temps, le curseur académique du recrutement s’éloignait au fur et à mesure vers des exigences toujours plus difficiles à satisfaire conjuguées à mes incapacités personnelles. J’étais trop ceci, pas assez cela, trop âgée, trop atypique et je n’avais pas développé les qualités nécessaires pour évoluer positivement dans cet environnement. J’admirais Darwin mais je commençais à détester la théorie de l’évolution.

J’avais beau prendre CDD sur CDD durant toutes ces années, donner les cours dont personne ne voulait, avoir appris l’anglais académique, prendre des missions administratives et des mi-temps pour payer et mener à bien ce parcours, cela ne prenait pas vraiment. La moindre erreur, m’excluait du jeu. Une mauvaise évaluation, sortie. Une parole dissidente, sortie. Un manque d’allégeance, sortie. Un manque féroce de droit à l’erreur comme il est mieux toléré voire promotionnel pour les parcours nobles. Parfois, une trahison et heureusement une aide.

Avec ce parcours et ce qu’il me semblait traduire politiquement et humainement, j’essayais de rencontrer des politiques pour travailler en back office sur le programme de 2007, n’ayant plus aucun appétit de pouvoir. Mon parcours pouvait-il aider à comprendre et à changer les choses pour les suivants ? N’étais-je pas une survivante en quelque sorte ? 4

Perdue comme nombre d’entre nous, j’allais à gauche, à droite ne sachant plus qui étaient ceux à même d’agir. Je défendais l’idée d’un contrat national de ‘formation d’excellence’ tout au long de la vie pour tous et j’avais l’idée de développer la responsabilité sociale des entreprises avec un emprunt national pour les créations d’incubateurs de PME sociales.

On trouvait mon ‘parcours exceptionnel’ avec soit, un désintérêt à peine masqué soit, la condescendance liée aux parcours des autodidactes comme le mien. Rien ne s’est concrétisé. Je n’insistais pas, je n’étais d’aucune obédience, je n’avais pas de réseaux et je partais dès que possible à l’étranger où je restais face à moi-même. Ce qui n’a rien de réjouissant certains jours.

A force d’entêtement et de beaucoup de travail mais aussi avec les heureuses exceptions d’une aide bienveillante, (merci Laurence S, Anne MR, Gilles P, Serge S, Yvon P, Jean K, Françoise, Liliane), je suis arrivée à être Docteur. J’ai passé le premier rite initiatique.

Avec une thèse très moyenne sur la forme ( très honorable et félicitation du jury), mais pertinente sur le fond à mon humble avis, j’ai soumis des papiers à des conférences, publier quelques articles et oups ! j’ai passé la qualification de Maitre de Conférences des Universités en 2010. Je ne voulais pas rentrer n’importe où pour enseigner n’importe quoi, dans une école où le lean management serait l’idéologie dominante. Je pensais pouvoir intégrer plutôt une faculté ou un lieu où mon expérience serait utile.

Ayant enseigné dans nombre d’écoles, tout pour moi tendait durant ces années, vers ‘mon école’, celle de la seconde chance. J’ai pensé pouvoir y rentrer comme enseignant. Mes conférences étaient très bien évaluées toutes ces années et je pensais que là, je pouvais être à défaut d’un exemple, un réel appui pour ces étudiants. N’avais-je pas l’expérience et désormais les diplômes ? Cela ne marche pas comme cela. D’autres avaient la préférence.

Je me suis donc mise en quête d’un lieu d’enseignement fixe. Or, je ratais des entretiens cruciaux par ma double faute : les faiblesses académiques d’un cursus autodidacte rentrant aux forceps dans un cadre inconnu et une personnalité pas tout à fait ordinaire, et pas du tout exceptionnelle. Bref un vilain petit canard.

Alors un jour, il faut accepter sa véritable dimension. Mon parcours, mes efforts et mon travail n’intéressaient que peu de gens car ma pensée et mon discours n’étaient pas forts et mon pedigree pas très sexy. Je n’avais aucun talent particulier.

Je demeurai un électron libre incapable de m’adapter au-delà d’une certaine limite. Le faux-départ, le pedigree et mes carences ne me donnaient pas le droit de passer par la rue de la Paix.

Ma blessure narcissique originelle demeurait et j’étais impuissante à changer les choses pour les suivants. Jusqu’au jour où j’ai cru avoir relevé le défi

Que le sable rougisse du sang des perdants

Je rentrais dans l’un des lieux saints, voire le Saint des Saints.

Pour moi comme beaucoup d’autres, le Graal de la pensée forte, bienveillante, réformatrice et courageuse des institutions de référence qui forment les décideurs d’hier, d’aujourd’hui et de demain, dans toutes les disciplines. J’aurais souhaité personnellement une institution plus modeste, comme je l’ai expliqué précédemment. Je ne voulais pas de réussite sociale mais juste d’être d’utilité sociale. J’allais pourtant vivre l’année la pire de ma vie car je n’ai été admise dans le Saint des Saints que sur un malentendu.

Si des esprits et des hommes brillants y passaient, sous le vernis d’un discours démocratique républicain, j’ai fait l’apprentissage d’un milieu inconnu de la plupart d’entres nous, mais que nous pressentons par les représentations données. J’ai découvert le centre névralgique, la Nasa, la face à peine cachée désormais de la République.

Le monde de l’entreprise, c’est Dallas. Ce monde là, c’est les Borgia, version moderne. Ceux qui sont à l’intérieur tremblent d’en être chassés et ceux qui sont à l’extérieur font tout, pour y être admis.

J’avais face à moi et j’étais dans un système féodal où, le népotisme, la cooptation, la consanguinité, les ‘si votre ramage se rapporte à votre plumage…’, les petits arrangements de toute nature entre amis font force de pensée politique et de pratiques managériales, pour et par la prise et la rétention du pouvoir. Ils n’hésitent devant rien, car rien ne les freinent vraiment. Pour les autres, ils préfèrent utiliser ce système que de le combattre. Pire encore, ils vous trahiront pour si peu…

Par conséquent, la problématique était triple pour moi : une ex-autodidacte, sans ambition de pouvoir dans un milieu normé et endogame. J’aurais du être une Madame de Merteuil ou une Pompadour en faisant beaucoup d’efforts. Mais pourquoi ? Je suis définitivement une Madame de Tourvel.

A quelques rares exceptions, j’ai découvert un système où la condescendance, le cynisme et l’arrogance poussés à l’extrême, couplés à la défense absolue des privilèges d’une lignée d’élus, aveuglés par leurs égos, et où pouvoir et avidité, priment sur tout. Il s’agit de perpétuer et de renforcer dans le présent et le futur, la diffusion d’un discours et d’une pensée oligarchique homogénéisée, politiquement et socialement lissés, grâce aux réseaux de l’institution.

Sous un pseudo- discours humaniste et progressiste d’égalité des chances, l’usurpation, la préservation des privilèges et celles des courants d’idées et de recherches se renforcent dans une caste qui se protège, s’auto-congratule, s’auto-promeut et s’auto-exempte des lois et des conséquences de ses choix et de ses incompétences. La qualité des réseaux personnels assure le droit de se comporter n’importe comment pour certains d’entres eux, et d’être payés de manière insensée pour théoriser une justice sociale qui surtout ne passera pas par eux.

Une ouverture homéopathique socialement correcte, réservée à quelques dizaines de bons élèves des minorités, ne demandant qu’à être partie prenante de ce système (qui a souvent exclu leurs parents), souligne la négation des spécificités sociales, intellectuelles, culturelles : ‘Une belle brochette de jeunes diplômés à l’allure typique, s’exprimant avec aisance’, voilà ce qu’on attend d’eux. Reconnaissance et allégeance d’avoir été choisis, repêchés, sauvés.

Sous ce discours cosmétique et le jeté de paillettes, c’est pourtant davantage le mépris, l’agonie et désormais une certaine haine de la démocratie, voire une honte pour la république qui se perpétuent dans le silence feutré des cabinets. 6

J’ai découvert que déplaire à l’un d’eux, ou à une baronnie c’est déplaire à tous, sauf à ses ennemis, qui finiront par se réconcilier poussés par des intérêts communs et futurs. Il faut se soumettre à cette loi du ‘on achève bien les chevaux’ pour que la poignée ‘d’élus’ se créé ses lois et continue la grande vie. Le mépris social y prenait tout son sens.

Pour y survivre, j’aurais du reconnaître leur talent et leur supériorité. J’aurais du rester à ma place, taire les écarts moraux et financiers, les dérives comportementales, en me soumettant aux pratiques en cours, y être une petite main à fonction diverse et variée, corvéable à merci, rendant ainsi mon parcours du combattant et mes aspirations caduques. Mais je n’ai pas pu passer une certaine limite.

Dès lors, je devais être napalmée, enterrée vivante, atomisée, pire lobotomisée et réduite au néant par tous les moyens et notamment une direction inhumaine des ressources. Ils ont presque réussi. Mais finalement, j’ai fait comme le renard pris dans un piège. Pour survivre, je me suis mangé une patte pour survivre.

C’est là que j’ai compris bien tardivement, que nous étions revenus aux Jeux du Cirque. La méritocratie n’est qu’une épreuve sacrificielle visant à légitimer le système, en mettant en exergue les ‘cas’ exceptionnels, pour mieux nous laisser nous entretuer désormais, nous les gladiateurs contemporains.

Si la méritocratie a fonctionné un temps pour certains qui en connaissent le tribu, elle détruit aujourd’hui la démocratie, la république et les individus. Il faut repenser et refonder le mérite républicain.

Vous vous demandez sans doute pourquoi nous a-t-elle raconté tout cela ? J’y viens.

Le parcours que je viens de décrire démontre une certaine forme de résilience et de volonté et aussi de naïveté, de bêtise et d’un peu de courage.

Toutefois, si j’assume comme je le peux mes carences et mes erreurs, il me semble que cela raconte, en dehors de mon cas personnel, quelque chose des déviances de la société française et du problème de sa survie.

Quoi précisément ?

Les experts de la république et la république des experts : OPA sur la démocratie et la république

La démocratie et la politique reposent sur l’idée comme le souligne Jacques Rancière, que certains seraient plus compétents que d’autres notamment grâce à leur formation. Or, c’est l’assèchement intellectuel, social et politique à tous les niveaux, la déroute intellectuelle et morale.

J’ai retenu une chose de la pensée scientifique dans mon éducation tardive. Celle-ci se forge et se renforce si elle va voir ce qui se passe dans les marges, s’y confronte, ouvre et accepte le débat, la contestation et la remise en question. Ce n’est pas dans un mainstream dominant, la pensée unique et le renoncement à la pensée critique, que la pensée scientifique avance et nous permet d’avancer. Elle doit donc sous peine d’agonie, s’ouvrir, se régénérer, favoriser la différence et la confrontation des points de vue. Par celle-ci il sera possible de penser la démocratie, le vivre ensemble et la république.

Contrairement à l’idéologie dominante, la démocratie n’est pas fondée sur la rente d’une minorité éclairée pour maintenir la paix sociale. En tout cas, ca ne marche plus. La différence nous renforce biologiquement alors que la consanguinité nous affaiblit. Alors ?

Pour comprendre le problème posé à la démocratie française, il suffit d’une part, d’analyser les formations suivies, les trajectoires, les liens ou les postes des ‘décideurs et des faiseurs’ et, d’autre part, d’observer le taux de mixité sociale des débateurs, pour comprendre la nature des débats, des combats en jeu et des actions futurs. Il n’y a plus précisément ni débat, ni combat idéologique ni courage politique pour proposer une vraie rupture de modèle républicain et démocratique.

Il suffit d’écouter la parole et la pensée politique et managériale qui doivent nous éclairer. Ils parlent de ‘nous’, expliquent ce qui cloche pour nous, ou chez nous et éventuellement proposent quelques fausses solutions. Les intouchables c’est un terme à double sens. Les invisibles et intouchables, ‘on’ pense pour eux, ‘on propose’ pour eux et on parle pour eux avec une dimension anthropologique qui devient insupportable.

Tout est fait et laissé sur tous les plateaux audiovisuels et en pratique opérationnelle, pour et par un système institutionnel fondé sur une reproduction sociale de castes devenue caricaturale, et l’une des pires observables en Europe. Les chiens de garde n’ont pas tort.

Les experts de la république répètent à l’infini les mêmes incantations, sur tous les plateaux télé, (sauf Taddéî… bof !), débattent entre eux et décident des schémas d’une société future dont le Tiers Etat et désormais le Quart-Etat est exclu. Par cela, j’entends tous ceux dont les droits s’amenuisent, dont l’identité, la dignité, la reconnaissance et la parole sont niées, négligées ou confisquées.

La stérilisation et l’uniformisation de la pensée individuelle et intellectuelle, de profils issus des mêmes souches embryonnaires, homogénéisés et stérilisées sous peine d’échec individuel, conduisent aujourd’hui les élites à jouer volontairement ou non contre la démocratie et la République comme le disait Alain Garrigou et à faire le jeu des partis d’extrême droite.

Or, il n’est plus possible de se contenter des prime-time ou de la télé réalité comme étant la représentation de ce que nous serions ou de ce que nous voudrions. La république et la démocratie sont trop importantes pour que nous continuions à les laisser seules à des élites qui pour certaines d’entres elles n’en sont plus dignes. Ceux qui enterrent le rapport Perruchot ou entérinent le ‘secret des affaires’ se réclament de toutes sortes d’hommes d’Etat. Or, ‘le futur n’est pas ce qui arrivera, mais ce que nous en ferons’.

Il ne suffit plus de proclamer le renouvellement générationnel qui n’a d’autre effet que de remplacer les plus anciens par les mêmes plus ‘jeunes’. Il faut arrêter cette pathologie nationale couplée et liée à celle d’un capitalisme qui serait devenu irresponsable. Il ne s’agit pas de catastrophes naturelles. Il s’agit des choix ‘de civilisation’.

Ce n’est pas ou plus à Jacques Attali de questionner les hommes politiques mais à tous, sans que nous devions nous grimer, nous travestir ou renier nos origines. Tout ce mépris ou cette ignorance est une insulte à notre intelligence. 8

En ces jours où les hommes des réseaux ‘d’excellence’ veulent accéder ou garder le pouvoir, au-delà de mon cas personnel mais néanmoins symptomatique, demain les dernières remarques de conclusion, avant de retourner au silence.

Asphyxie et agonie démocratique : que la Force soit avec nous

Le constat est partagé semble-t-il. La société française parmi d’autres, est épuisée, asphyxiée et écoeurée par plus de 30 ans de régimes autocratiques et endogènes et la pathologie nationale, que j’ai tentée de raconter à travers mon parcours, sous forme volontairement narrative et non scientifique. A cela s’est ajouté un quinquennat délirant qui restera dans l’histoire.

Encore passive, la France vacille sous une République dont on peut se demander si les représentants sont irresponsables, aveugles ou suicidaires. Une république qui oscille entre immolation, prises d’otage, attentats, suicides, communautarisme, et gronde désormais au nationalisme. Cela rappelle une histoire particulièrement dangereuse d’une société et ‘d’une foule qui ne réagit que sous l’émotion ou la haine’. Les historiens reconnaitront l’auteur.

Il ne suffit plus de parler de justice et d’égalité sociale aujourd’hui sur les plateaux de télévision, dans les journaux ou à l’assemblée entre soi. Plus personne n’est dupe. Désormais, une fausse république participative le temps des élections ne suffira pas cette fois à nous sauver.

Il faut la faire et se donner les moyens de stopper ce système en s’opposant aux individus qui jouent contre la république et en abrogeant ou en réformant les institutions qui les ont formés. Plus que jamais Bourdieu qui ne dérange finalement que les héritiers doit se retourner dans sa tombe. Pourtant rien ne change, surtout pas dans les grands media, ni en politique qui alimentent le FN par leur incapacité et leur manque de courage.

Nous sommes des millions à nous sentir inutiles, impuissants et englués dans un système caduc, malgré tous nos efforts et ceux de nos parents, pour nous former, exister et contribuer au renouveau d’une société désormais sclérosée, moribonde et déprimée. Nous voulons monter sur le pont.

Encore une fois, je suis partie du ‘nous’, bien que désormais surdiplômée, Maitre de conférences des Universités (sans poste et pour cause), parlant trois langues et connaissant le monde. N’ai-je pas un devoir ? Juste celui de l’exemple à ne pas suivre semble-t-il. Comment arrêter ce gâchis national ?

Tout cela appelle plus que jamais au changement de république, à la résistance de tous, (merci Joey), non seulement de la société civile, mais à la résistance contre les imposteurs pour la conquête d’une démocratie ouverte, libérée des réseaux qui nous amputent des forces vives nécessaires pour nous remettre sur nos pattes.

ll faut reconstruire pour tous, une dignité et un sens à notre vie individuelle et collective.

Ne pourrait-il pas être de proposer à l’Europe et au monde, dans ces temps qui laminent les sociétés et les individus, un modèle néo-social économique et politique alternatif qui se ne sera ni le capitalisme carnassier ni le communisme dictatorial et suicidaire. Un nouveau modèle démocratique et républicain passant par les Français qui doivent en être les parties prenantes Ils doivent en être les actionnaires et toucher les dividendes car ils en sont le capital social, pour employer des termes à la mode.

Les Jeux du cirque mondialisés ont commencé depuis longtemps et les gladiateurs sont en phase de se révolter. Il faut arrêter ce carnage international. L’histoire ancienne et plus récente montre que ‘le plus rien à perdre’, conduit au suicide individuel ou collectif, à des guerres civiles, à des révolutions, ou à des dictatures.

Nous avons accepté le Léviathan et renoncé à la violence en croyant que la démocratie nous sauverait tous ou le plus grand nombre. En abolissant tous ces systèmes du passé, et en repensant la relation aux autres et des modalités des choix de notre futur, tous ensemble c’est tout un pays que pourrait se remettre en marche et vous soutenir. Ensuite tout est possible (comme on nous l’a dit en 2007). D’autres modèles et d’autres choix. Alors appuyez-vous ou méfiez- vous de notre résilience.

En adaptant quelque peu ‘Que ceux qui nous aiment, nous aiment. Et que les autres, le temps leur retourne le coeur. Et si le temps n’y fait rien, qu’ils se foulent la cheville, pour que nous les reconnaissions à leur boitement’.

Epilogue

Je termine presque comme j’ai commencé. On peut choisir une lecture narrative d’un parcours, ou une lecture politique et sociale centrée sur un individu, ses capacités, ses manques et le système dans lequel il évolue. Je vous laisse tirer vous-même les analyses qui en découlent.

Pour information l’institution en cause n’a pas voulu aller aux Prud’hommes et j’ai obtenu 4 mois de mon petit salaire mais qui traduit que je ne mentais pas sur les pratiques.

Cette lettre est égale à ma frustration, à mon moral et pourtant à mon envie de futur fortement compromis. Même si tout ce chemin est difficile, et que je suis à pole emploi où l’on nous traite parfois comme de la chair à canon, je ne regrette pas…. Si d’autres veulent m’aider à continuer ce chemin pour comprendre, expliquer et changer un peu le monde, je prends. J’enseigne, j’écris et je pense, (en général mieux que cela), je parle plusieurs langues, je connais beaucoup de pays et je dois travailler encore vingt ans au moins. Je peux écrire des discours, analyser , travailler sur des dossiers … Je pointe à Pôle emploi depuis 1 an, j’essaie de monter un projet entrepreneurial car à 53 ans … sans grand espoir car seule encore et encore. Que faire, attendre la mort …. ?

« De grands pouvoirs appellent de grandes responsabilités » ( Spiderman)

Valia (pseudonyme) – 75