ADSV.fr > Un Sans-Voix nous a adressé cet article que nous publions avec plaisir. Paru en mai 2010 dans la revue « Convergence » du Secours Populaire, il a (malheureusement) conservé 8 ans plus tard toute sa pertinence et éclaire s’il en était besoin la nécessité de développer le présent Journal de l’adsv pour IMPOSER DANS LE DEBAT PUBLIC la voix et la présence des Sans-Voix.
Sois pauvre et tais-toi…
PAROLE D’EXPERT – Revue Convergence Mai 2010
Par Henri MALER, co-animateur d’Acrimed ** (Action-Critique-Médias), observatoire des médias.
La plupart des médias (mais il faudrait distinguer) sous-représentent les gens issus des milieux populaires les plus durement frappés par le chômage ou le travail précaire et sous-payé, par l’absence de domicile et les expulsions, par des problèmes de santé et la renonciation aux soins. Quand ils en parlent (et ne la réduisent pas à des chiffres désincarnés), ils ne voient trop souvent dans la misère que la misère : des victimes et non des sujets, des porteurs de témoignages ou des assistés, mais qui – on ne sait comment devraient se prendre en charge. Ce sont une source de « problèmes » – les « problèmes sociaux » – qui relèvent moins de la solidarité que de la compassion : cette compassion que les télévisions servent occasionnellement, mais qu’elles exhibent en même temps pour leur propre compte.
Le « problème de l’immigration »
Quant aux pauvres eux-mêmes, selon les représentations dominantes, il en est de « bons » et il en est de « mauvais ». Les premiers « essaient de s’en sortir » (et méritent un regard charitable) ; quant aux autres, ils sont encombrants ou dangereux, à tel point que s’ils basculent dans la délinquance, même mineure, celle-ci ne sera plus mise au compte de leur pauvreté, mais de leur « origine ethnique ». On l’a compris : ce que les médias appellent le « problème de l’immigration », ce ne sont pas les problèmes que rencontrent les immigrés, mais ceux que l’on impute à l’immigration en tant que telle. Il paraît même que, Français, on peut être « immigré » sur plusieurs générations.
La parole des gueux est soigneusement filtrée
Plus généralement (mais là aussi il faudrait être en mesure de distinguer plus précisément), les milieux populaires sont moins représentés pour ce qu’ils sont ou ce qu’ils font que pour ce qu’ils n’ont pas. Au mieux, ils sont « pittoresques » ou simplement « démunis » ; au pire, ils sont menaçants. Ainsi vont les stéréotypes, reproduits dans et par les médias : points de vue des classes dominantes qui sont reconduits dans les milieux populaires eux-mêmes quand ils sont minés par la concurrence et l’impuissance. De surcroît, la parole des gueux est soigneusement filtrée. Une enquête sur les plateaux de près de 400 débats télévisés diffusés entre 1958 et 2000 montrait qu’en 1989-1990 ces plateaux ne comptaient que 10 % d’ouvriers et d’employés invités à s’exprimer, alors que ces deux groupes représentaient plus de 60 % de la population active.
*Et quand les gueux ont accès aux médias dominants, c’est en qualité de simples témoins : des exemplaires de la souffrance invités à exhiber leurs plaies devant les dépositaires du savoir chargés de les soigner.
*Sébastien Rouquette, « L’Impopulaire Télévision populaire (1958-2000) », L’Harmattan, Paris, 2001
**http://www.acrimed.org
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