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Episode 206 du 27/11/2017: Pupille de la (startup) nation
Décidément, je ne regrette pas seule une seconde d’être inscrite à la newsletter de chez Pôlo ! A chaque numéro, une nouvelle partie de rigolade. Et en même temps, ce n’est pas comme si je pouvais me désabonner… Bref. Dans le dernier numéro de novembre, un sujet dans l’air du temps : « Suis-je fait(e) pour travailler dans une startup ? »
Bonne question. Je te remercie, cher Pôlo, de me l’avoir posée ! Déjà que j’ai du mal avec le management national à la Macron, faut que je me penche sur le problème. Eh bien, qu’est-ce que nous dit ce chouette article ?
D’abord que « les startups ont le vent en poupe et beaucoup de jeunes diplômés rêvent d’y travailler ». Alors voyons… Même si je suis diplômée, il faut bien avouer que je suis, à l’heure actuelle, moyennement jeune et que cela tend à ne pas s’arranger. J’ai donc à moitié le profil.
Voyons ensuite ce que m’explique Pôlo : « Travailler dans une startup n’est toutefois pas donné à tout le monde. Management souple, code vestimentaire basique, ambiance détendue, soirées ludiques entre collègues… les startupers cultivent leur image de « coolitude ». Bon… Question fringues, disons que mon look colle encore un peu, n’ayant pas encore retrouvé mes montures Chanel. En ce qui concerne les « soirée ludiques », faudra qu’on m’explique le concept mais je veux bien tenter de me mettre à la page. Et ma foi, pour ce qui est de la « coolitude »… euh… ben… mes gosses disent que je suis une mère sympa mais je pense que ce n’est pas exactement ce qu’on me demande dans le cas présent.
C’est maintenant que l’article devient intéressant. D’abord parce qu’il te redit que bosser dans une startup est « une culture d’entreprise à même de séduire les jeunes actifs ». Soit ! On a bien compris, au-delà de 30 ans, t’as plus la souplesse d’esprit de la startup, tu es juste un vieux con. Mais surtout que : « En retour, ces derniers (les jeunes actifs, donc) doivent faire preuve de créativité, d’autonomie, de polyvalence, etc. Bref s’investir à 100 %, sans la sécurité, le niveau salaire ni les évolutions de carrière d’un grand compte ».
Si, si, t’as bien lu… Non seulement faut être d’jeun mais en prime il faut accepter la précarité, un boulot de dingue, en étant sous-payé et sans pouvoir espérer grimper le moindre échelon. Accepter de stagner, en effet, pour permettre à d’autres d’engranger le fric. Cette fois la messe est dite : c’est écrit noir sur blanc.
Tu m’étonnes, que ce truc n’est pas fait pour les vieux psychorigides qui attendent un revenu décent.
A la lumière de cet article, je crois finalement que ne suis pas si cool que ça. Sans doute même limite ringarde.
Mais tu sais quoi ? Je préfère.
(dessin du très bon Babouse)
Episode 207 du 28/11/2017 : Contre-temps
Je n’ai jamais eu le rythme dans la peau. C’est comme ça, je danse comme une bûche. Et faut bien avouer que, côté boulot, je ne suis guère davantage dans le tempo.
Ainsi voyez, je chougne depuis des mois que je suis à la recherche d’un boulot lorsqu’enfin, un CDD se profile cet été… Un contrat pour un remplacement qui court jusqu’au 31 décembre. Puis vendredi, devinez qui m’appelle : mon patron ! Objet de son coup de fil ? La nana que je remplace veut finalement prolonger et prendre un congé maternité jusqu’en mars.
Et savez-vous ce que j’ai répondu ?
Je lui ai dit : « Je vous rappelle lundi pour vous donner ma réponse ».
Je sais, y’a pas de quoi être fière. Sauf que travailler n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Et même quand tu sais qu’à presque cinquante ans, t’auras pas deux opportunités comme celle-ci pour faire un peu de gratte, ben il n’empêche que tu prends le temps de réfléchir… On appelle ça aussi : peser le pour et le contre.
Car en effet, il y a vingt ans en arrière, j’aurais pu assumer cette lourde charge de travail sans peine. Quatre pages par semaine à remplir, articles, photos, reportages, et couvrir seule un département… A l’époque c’était trop fastoche, les doigts dans le nez, même en jonglant avec le quotidien !
Aujourd’hui, disons que je n’ai plus vraiment l’âge de mes artères. Et que malheureusement pour moi, elles ont vieilli assez prématurément. Alors chaque matin, je me lève déjà crevée avant même d’avoir commencé, la carcasse de guingois.
En résumé, je ne peux plus suivre.
Parce que dans la réalité – celle qui existe en dehors de la sphère Jupiter – tout job se cumule à la vraie vie. Une vraie vie, criblée de fausses notes et de larsens, qui fait que la partition est parfois si mauvaise que tu renonces, même malgré à toi, à entrer sur la piste de danse.
J’ai réfléchi tout le week-end. Me disant que je pourrais peut-être tirer encore un peu sur la corde. Trois mois, ce n’est pas grand-chose. Peut-être que je n’y laisserais pas ma santé. Sauf que – depuis un an – la santé est devenue une denrée rare à la maison. Des emmerdements estampillés MDPH ou ALD 30. Sous notre toit, on est deux sur quatre à tenir, sinon la route, la distance. Et faut bien avouer que ma fille de six ans a un peu plus la pêche que moi…
Alors j’ai téléphoné à mon patron. Je lui ai dit que « non merci c’est gentil mais je ne vais pas rester ». Je vais juste remplir ma part initiale du contrat, et basta. Je vais surtout m’occuper un peu de moi. Puis un peu des miens. De mon mari, de mon fils. Ensuite, j’essayerai de trouver un chausson de danse plus confortable, un mirage de mi-temps.
Ce n’est pas si grave. Une chose après l’autre.
Choisir, des fois, entre l’illusion et l’essentiel.
Après tout, y’a pas mort d’homme.
(dessin du chouette Xavier Lacombe pour Urtikan.net)
Episode 208 du 01/12/2017: Porteurs de toutes les fautes
Alors que le gouvernement ne nous parle que de prévention de la violence, je me rends compte que celui-ci, mais aussi l’Etat dans sa globalité, et toute la société, bref… le système dans son ensemble, est en réalité un dangereux pervers-narcissique.
Si vous avez déjà fréquenté un pervers-narcissique, je sais que vous comprenez ce que je veux dire.
Pour les autres, permettez que j’explique…
Au départ, le PN vous veut du bien. Tout comme Jupiter, Pôlo, Jobijoba, Linkedin et les coaches en bien-être. Et vas-y que je te motive, que je te soutiens ! Mais en même temps – l’air de rien – le PN te passe quelques messages subliminaux : « Tu n’y mets pas assez du tien ; Faut te remettre en question ; Faut changer, arrêter de te plaindre ». Puis, petit à petit, les rapports se dégradent, le ton monte. Plus le temps passe, plus le pervers te méprise ouvertement. Ce que fait le PN en mode national : il se lâche, t’explique à longueur de JT que tu es une feignasse, un parasite qui fout le bordel ou au contraire, n’en fait pas assez. Comme David Balcain, conseiller chez Pôlo, qui partage son quotidien dans un blog pour les colonnes du Point (choix éditorial cohérent) et qui nous dit : « Tous les demandeurs d’emploi ne le sont pas (paresseux). Mais bon, tout de même, j’en croise tous les jours »… Chaque matin donc, le PN trouve un nouveau moyen de te dire que tu fais mal les choses, que tu n’es qu’une merde. Dans les couloirs du pouvoir, dans les médias, sur les réseaux sociaux… la société perverse finit par dézinguer l’estime du chômeur. Qui désormais s’angoisse chaque jour davantage, craignant d’être radié, ayant peur de ne pas avoir correctement réactualisé son CV même si rien n’est à réactualiser… Un beau jour, le chômedu moyen finit par avoir la trouille et se sent coupable de tout.
Car la culpabilité et la peur sont les deux mamelles de la soumission. Le PN l’a bien compris. L’Etat aussi.
Enfin, il y a un trait de caractère important chez le PN : sa propension à retourner la situation à son avantage. Ainsi, David Balcain explique : « Lors de rencontres organisées par les conseillers à l’intention des demandeurs d’emplois sur des thèmes essentiels comme une présentation de nos services numériques ou les techniques de recherche d’emploi, certains s’endorment, d’autres montrent leur désintérêt. Je me souviens particulièrement d’une dame qui, volontairement, a tourné sa chaise face au mur ! »
Euh… comment déjà ? Ah oui, des thèmes essentiels….
Alors vois-tu, cher David, je vais te dire : J’aurais pu être cette dame qui a retourné sa chaise contre le mur. J’aurais pu être cette personne qui s’est endormie ou cette autre qui a manifesté son désintérêt ! Parce que ces belles formations pour apprendre à se servir du site de Pôlo – ou apprendre comment poster une candidature virtuelle – les chômeurs n’en peuvent plus ! La poudre de perlimpinpin envoyée à la gueule des DE (en effet David Balcain écrit « DE » dans son blog quand il parle du Demandeur D’emploi. Trop long à écrire sans doute puis il est vrai qu’une dose de mépris supplémentaire ne peut pas faire de mal)… Mais voilà, cet écran de fumée nous pique les yeux et nous fait tousser.
Va falloir arrêter de faire croire au monde entier que quand Pôlo propose 550.000 annonces aux 7 millions de demandeurs, c’est la faute des chômeurs ! Que quand Jupiter sort le tapis rouge aux grands patrons destructeurs d’emplois, c’est encore la faute des chômeurs ! Que quand les entreprises ferment, que les dividendes se barrent dans les paradis fiscaux, c’est toujours la faute des chômeurs !
La seule faute de la majorité des chômeurs, c’est d’y croire.
Et pour ceux que ça amuserait, voici le lien vers le blog du sieur Balcain. Enjoy !
(dessin du trop bon Gilles Lasserpe)
http://www.lepoint.fr/…/carnet-de-bord-d-un-conseiller-de-p…
Episode 209 du 04/12/2017: Ich bin ein Berliner
Cela fait un sacré paquet de temps qu’on nous bassine avec le « modèle allemand ». Comme quoi il est trop bien. Et que, pourquoi donc on n’arrive pas ici – en France – à calquer ce modèle si parfait qui donne du boulot à la majorité du pays.
En effet, avec un taux de chômage inférieur à 6%, on a raison de se sentir un peu cons de ne pas vouloir prendre l’exemple de Mame Merkel. Et pourtant…
Petit résumé des faits. En 2005, le pays de la dame de fer applique Hartz IV, quatrième loi de modernisation du marché de l’emploi. Gerhard Schröder (ancien chancelier social-démocrate) le résumait ainsi : « Celui qui peut travailler, mais ne veut pas, n’a aucun droit à la solidarité. Il n’y a pas de droit à la paresse dans notre société. »
Ah, c’est marrant, ce genre de phrase sonne assez familier…
Pour faire court, voilà ce que cela a changé : d’abord l’indemnisation-chômage est passée de 26 à 12 mois. Non mais ! Ensuite – et c’est là que le truc devient intéressant – ces indemnités sont transformées en aides sociales gérées par un seul organisme, le Jobcenter. Lequel étant un joyeux gloubiboulga des allocs’ chômage et des aides qui correspondent à nos CAF. Au passage, on passe de 53% du salaire à une allocation de 409 euros par mois et par personne (plus deux trois trucs pour payer ton loyer et ton gaz). Puis tu n’as pas intérêt à cracher dans la soupe ou de tenter de refuser une offre d’emploi quelle qu’en soit la nature. Sinon c’est -30% de baisse le premier coup puis -60% la fois d’après. Un graphiste peut ainsi recevoir une convoc’ pour se présenter à 4h du mat’ sur un chantier… et gare à lui s’il tente de négocier.
Mais si je vous cause de l’Allemagne, c’est surtout à cause d’une info lue il y a quelques jours. Un type d’une cinquantaine d’années, considérant sûrement à tort qu’on ne peut pas vivre avec ce genre d’indemnités ou un paresseux qui ne veut pas bosser, a décidé de faire la manche. Résultat : l’administration a considéré qu’il s’agissait d’un travail et a réduit ses allocs de 300 euros ! Le Jobcenter ayant calculé que cette « activité » rapportait en gros 10 euros par jour, 30 jours par mois.
Alors ça a un peu gueulé. Une avocate sympa s’en est mêlée et finalement, le Jobcenter n’a gardé que la somme de six euros par jour. Mais en Allemagne, on ne lâche pas aussi facilement l’affaire. Et le centre, dans un nouveau courrier, a ordonné au gars de tenir un journal de cette fameuse activité et à se rendre au bureau du commerce afin de savoir si faire la manche relevait… du « travail indépendant ».
Finalement, je crois comprendre pourquoi ces crétins de français – rétifs à toute réforme – ne veulent pas du « modèle allemand ».
Taux de chômage inférieur à 6% ou pas… faut quand même pas trop nous prendre pour des cons.
(Dessin du chouette Wingz)
Episode 210 du 05/12/2017: Ne s’use que si l’on s’en sert
Cinquante ans, ben non, ce n’est pas vieux. Je ne les ai même pas encore. Bientôt. Mais pas encore.
A la télé, je vois des quinquas qui sautent partout, qui voyagent, font du sport, consomment cinq fruits et légumes par jour, travaillent…
Depuis quelques jours, comme assez régulièrement, j’ai le cou coincé. Minerve ressortie du tiroir, le regard en biais pour ne pas me manger les portes. J’ai l’habitude. Comme plein de gens, j’ai la rate qui se dilate, j’ai le foie qu’est pas droit. Hernie cervicale, fissure du tendon de l’épaule, bref je possède nombre de bobos disséminés un peu partout. Tendinite dans les deux bras, j’enfile mes pulls en faisant la danse du ventre. Un pied pas d’aplomb aussi, qui nécessiterait une nouvelle opération. J’ai mal au dos et la vue basse. Rien de bien méchant. La machine est juste un peu usée même si elle fonctionne encore.
Je fais partie de ce qu’on l’on appelle la classe moyenne. J’ai travaillé régulièrement. Je bénéficie d’un toit chauffé et d’un confort que l’on peut m’envier. A côté de ça, en trente ans, je n’ai jamais fait « pause ». J’ai fréquenté la violence. Vécu avec un salaire pour cinq. Divorce, remariage, deux salaires, la paix. Une paix relative. J’ai connu des week-ends tranquilles mais jamais de voyage. Des congés payés mais jamais de vacances. Aucune proximité familiale pour faire garder mes gosses. Un cinoche trois fois par an, le resto à l’avenant, une charge mentale de ministre, une hygiène de vie déplorable.
Ce n’est pas l’enfer. C’est un genre de vie. Celle d’une foultitude de gens. Rien de vraiment grave en comparaison avec ce que vivent les SDF, les migrants, les civils sous les bombes. Un entre-deux qui nous impose de fermer nos gueules, parce qu’il serait honteux – pour ne pas dire vulgaire – de se plaindre devant la télé achetée chez Confo.
Cette télé où tu vois des quinquas qui sautent partout.
Seulement, en attendant, j’ai le cou coincé. Je rame pour terminer mon CDD, je tire sur le moteur qui tousse. Y’a des boulons qui sautent, des courroies qui lâchent. Je ne finirai pas centenaire et c’est tant mieux.
En attendant oui, faudra faire avec un corps qui n’est plus sous garantie. Pas assez esquinté pour être déclaré hors service. Pas assez en bon état pour retrouver la force d’aller et d’avancer le pied léger.
Mais au moins, même avec la minerve, même les épaules voûtées, je garde encore un peu la tête haute.
(dessin de mon chouchou Rodho)