Le 3 janvier 2019, à peine finie la trève des confiseurs, la Direction Générale de Pôle Emploi a diffusé à ses services une instruction nommée : « Manquements aux obligations des demandeurs d’Emploi et sanctions applicables »

Le titre lui-même est tout un programme. Il a au moins le mérite de ne pas se cacher derrière une sémantique hypocrite telle que la  » Loi pour la Liberté de choisir son avenir professionnel  » qui fait hurler de rire quand on connaît l’environnement économique dans lequel des millions de personnes de ce pays se battent pour ne pas sombrer tout-à-fait dans la misère et le désespoir.

Retraité depuis 15 ans, je bénéficie d’un  revenu régulier et garanti à vie, donc je suis à l’abri de la torture la plus répandue dans notre société actuelle, l’incertitude du lendemain. Je suis engagé, comme bien d’autres bénévoles, dans une association qui tente de venir en aide à de plus en plus de gens tourmentés par des difficultés matérielles et psychologiques de tous ordres, dans un système bureaucratique qui à force de tripatouillages hasardeux, échappe à la compréhension de ses acteurs, qu’ils soient du « bon » ou du « mauvais » côté du guichet.

Parmi toutes les mesures prises à l’encontre de « ceux qui ne sont rien », celle-ci est, à mon avis la mesure de trop. Elle vient aggraver les conditions d’accès à l’indemnisation des demandeurs d’emploi, en espérant que la majorité de l’opinion approuvera ce durcissement envers ces « fainéants de chômeurs »,en vertu du principe que « la raison du plus fort est toujours la meilleure » et que « celui qui a déjà tout doit aussi avoir le reste à condition qu’il me laisse une miette car je le vaux bien »…
Evidemment, je ne partage pas du tout cette vision, moi qui me bats depuis 15 ans pour l’union et la solidarité entre toutes les catégories sociales, ( à l’exception évidemment des prétendus premiers de cordée, qui ne sont en réalité que les premiers au râtelier )

Il faudrait un doctorat pour s’y retrouver dans le labyrinthe des formalités administratives appliquées aux malheureux « assistés ». Assistés dont beaucoup pourraient en remontrer à de nombreux premiers de cordée qui ne peuvent rien faire dans la vie sans être « assistés » par une armée de domestiques pour les tâches quotidiennes et de spécialistes de l’optimisation fiscale pour l’évasion du même nom.

On voit par là que l’économie est une science exacte quand il s’agit d’augmenter les profits d’une toute petite minorité, quels que soient les aléeas de la vie économique, mais devient une invraisemblable usine à gaz pour tout ce qui touche aux besoins du reste de la société, par exemple pour loger correctement l’ensemble de la population, combattre le chômage de masse, ou faire marcher les services publics, ou …, ou …, ou …

Y aurait-il de la part de nos élites, une ignorance crasse de ces questions, ou une improbable mauvaise volonté ? Tout cela coûte un « pognon de dingue », comme le dit si bien le premier dingue d’entre nous. Mais pas pour les raisons qu’il croit : il pense, en bon banquier, que l’argent ne sert qu’à s’accumuler dans des coffre-forts et que moins on s’en sert pour faire des choses et mieux c’est pour l’ensemble de la société. A un tel phénomène et à ses semblables, un bel alignement de zéros sur un papier a plus de charme qu’un pays prospère et exempt de malheureux dormant dans la rue.

Il s’ensuit que chaque fois qu’il faut payer quelqu’un pour le travail qu’il fait, on a l’impression qu’on lui arrache les tripes, au premier des encordés. Vous remarquerez qu’eux sont payés au rendement, et que plus ils suppriment d’emplois, plus ils sont payés… Et plus ils en suppriment, des emplois, et plus Pôle Emploi reproche aux chômeurs de ne pas en trouver, des emplois… Etonnant, non ?

Cette règle géniale pour économiser l’avoine pour faire avancer la bête de somme ne s’applique évidemment pas au maître de l’écurie et de l’Elysée, qui lui a des besoins, notamment de vaisselle mais pas seulement, contrairement au chômeur attaché à son Pôle Emploi comme l’âne à sa stalle d’écurie.

De même, on sent que les progrès en science comportementale n’ont pas été perdus pour tout le monde, et qu’une fine connaissance du comportement des foules permet de pousser le harcèlement économique de plus en plus loin avant qu’elles ne se révoltent… Les Gilets Jaunes montrent que quelquefois les exploiteurs poussent la provocation un poil trop loin, mais si on gère bien la crise, tout devrait rentrer dans l’ordre après quelques mesurettes annoncées à l’issue d’un pseudo-débat dont les conclusions sont déjà décidées… C’est ce qu’espère le pouvoir, mais j’espère, moi , qu’ils ne se laisseront pas prendre à ce piège grossier…

Dans notre association (Mouvement National des Chômeurs et Précaires ) nous rencontrons régulièrement depuis plusieurs années les responsables de Pôle Emploi pour tenter de trouver ensemble les moyens de sortir les chômeurs et précaires de leur situation, le plus vite et le mieux possible. Tâche ardue mais gratifiante, tant que nous avions un interlocuteur soucieux d’aider vraiment les chômeurs à trouver du travail.

Mais depuis la sortie de cette « instruction » qui ne laisse aux agents de Pôle Emploi, quel que soit leur niveau hiérarchique, que le choix entre le knout et le bâton, sous peine d’être eux-mêmes accusés de manquer de zêle dans l’application de cette « chose » qui détaille sur 16 pages toutes les manières possibles de pousser les gens au suicide ou à la violence, je ne joue plus.

Contrairement à ce que croient certains décideurs qui décident de tout mais ne sont responsables de rien, je ne sais pas à quoi ressemblerait notre société sans le bénévolat des retraités d’aujourd’hui, mais ça ne serait pas joli-joli.

Il est plus que temps de sortir de l’ère de l’économie punitive, où les besoins de base de chacun sont niés et bafoués au nom d’une soi-disant compétitivité qui ne sert qu’à augmenter les profits des gros actionnaires… Un peu de retour à une certaine justice sociale et de bienveillance envers les gens « qui ne sont rien » ne me semblerait pas superflue, et c’est un euphémisme…

J’espère un sursaut de la société tout entière, notamment en étant un peu plus exigeants sur le choix des élus censés défendre l’intérêt général, et non quelques gros mangeurs de soupe, ( les ennemis de la finance en carton pâte reconvertis dans l’édition, merci, on a déjà donné ! )…

Recevez mes plus désabusées salutations.

André BARNOIN dit Dédé, de Mulhouse (68)

(Je mets à votre disposition ICI avec ce lien le texte immortel intégral de « l’instruction à propos des manquements aux obligations des chômeurs », qui va contribuer de façon décisive à faire baisser le chômage dans ce pays… Le détail des dispositions qui y sont énoncées n’ont rien de vraiment choquant en elles-mêmes, mais prises dans leur ensemble, elles concourent à créer un climat de contraintes difficilement supportable, tant par la minutie de leur énumération, que par le doute systématique de la bonne foi potentielle du privé d’emploi. La sécheresse du propos, la dureté des sanctions envisagées à l’encontre d’un citoyen placé dans une situation économique défavorable pour celles et ceux qui n’ont que leur travail pour vivre, contraste singulièrement avec l’aménité qui prévaut envers les éventuels donneurs d’ordre qui reçoivent de l’Etat des aides de toutes sortes sans qu’il soit exigé d’eux la moindre contrepartie autre qu’un vague engagement moral )

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