Voici un ouvrage à garder au coin de son chevet et à dévorer à chaque occasion. Un livre de 200 pages qui racontent sans fard la vie d’une ouvrière qui a donné dix ans de sa vie à un site d’Aulnay à présent fermé. Une leçon donnée avec la journaliste de France Télévisions Francine Raymond. Bienvenue dans l’univers qui n’a rien de rose de Gigi la morose (Ghislaine Tormos).

Pour peu cela nous rappelle les ouvrages de Zola. Voici Ghislaine Tormos courageuse quinquagénaire, veuve, trois enfants, qui de petits boulots en travail précaire se fait une place dans une usine d’Aulnay au milieu des hommes. Puis la restructuration arrive, les 1 500 euros qui maintiennent socialement à flot sont menacé, le combat s’engage et se fait plus cruel au fur et à mesure que les illusions s’évanouissent. « Le salaire de la vie » nous apprend aussi comment naît une colère et comment elle s’ancre durablement.

« Je voulais simplement qu’on apprenne à connaître les ouvriers, ceux qui ont donné leur temps et leur vie pour construire cette usine. On n’est pas que des petits personnages playmobil devant des robots » a commenté Mme Tormos dont l’ouvrage a été publié aux édition Don Quichotte. L’icône des combats perdus d’avance. Tout un symbole.

(« Le salaire de la vie » – Ghislaine Tormos avec Francine Raymond – Éditions Don Quichotte (Janvier 2014)- 15 euros

Ghislaine Tormos

« Je voudrais bien connaître l’homme politique qui a déjà mis les pieds dans une usine, a compris la servitude de notre travail et évalué son prix réel. Celui que nous payons cash tous les jours. Le salaire de nos vies. Dans les hautes sphères, ils nous le répètent à longueur de journée à la radio, à la télévision : notre travail “coûte trop cher”. » 

« Le travail, notre seule richesse, coûterait trop cher. Ils n’ont que ça à la bouche. J’en ai assez bavé, je ne supporte plus de voir nos emplois supprimés par milliers. Je veux que la France conserve ses usines et son industrie, je refuse que mes enfants soient obligés de quitter leur pays pour trouver du travail. Si on ne réagit pas, dans dix ans, on est morts. » Ainsi parle Gigi du ferrage, ouvrière à l’usine automobile PSA d’Aulnay-sous-Bois.

12 juillet 2012. M. Varin, président du directoire de PSA, premier constructeur automobile français, annonçait la fermeture du site d’Aulnay. Après leur avoir promis que le site resterait ouvert et que la priorité était de préserver leurs emplois, les ouvriers d’Aulnay sont priés d’aller voir ailleurs. Une entreprise qui ferme, c’est presque une banalité par les temps qui courent : dans ce cas, ce sont 3000 emplois supprimés, 3000 vies bousculées, et quelques images au journal de 20h00, chassées par une nouvelle actualité.

Un emploi industriel, c’est comme un arbre après la tempête, vite déraciné mais difficile à faire repousser. Certains ouvriers seront reclassés dans le groupe, d’autres devront partir à la recherche d’un (improbable) nouveau CDI. Ghislaine Tormos, elle, a décidé de se battre avec courage. Avant ce jour de juillet, elle n’avait encore jamais fait grève. Depuis, Gigi est devenue l’un des symboles de la lutte des ouvriers de PSA.

La crise grandissant, les voitures se vendent moins, les profits de PSA ne sont plus ce qu’ils étaient, et supprimer des emplois devient la seule réponse à la crise. « On me dit que je coûte trop cher, mais pour moi depuis des années, c’est la vie qui est trop chère. » Gigi n’accepte pas que son travail, sa seule richesse, soit devenu le mal-aimé de notre économie, que l’on parle de son coût comme d’une charge pesante et jamais de sa valeur fondamentale. Elle n’accepte pas davantage que les socialistes n’aient pas tenu les promesses faites aux ouvriers d’Aulnay lors de la campagne présidentielle. Elle ne se résout pas à cette fatalité de laisser sans broncher fermer nos usines les unes après les autres.

Face aux implacables logiques financières, la voix de l’ouvrière de PSA ne pèse pas bien lourd, or elle mérite qu’on l’écoute.