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Chapitre 2 : Ryan

« Nul ne rencontre deux fois l’idéal. Combien peu le rencontrent même une fois ! » (Oscar Wilde)

J’ai commencé à échanger avec Ryan à la fin d’un mois de février particulièrement ensoleillé. A prime abord, quand j’ai vu sa photo sur mon écran, je me suis dit, « Ouais… il a l’air pas mal lui ». Voilà, c’était un constat fondé sur une image…un physique.

Le premier contact fut comme le sont en général les dialogues écrits. Aucun des protagonistes ne sait trop bien quoi exprimer ou rétorquer. Pour autant, la « discussion » était plus décalée, caustique et drôle. Cela avait un avant-gout d’intelligence. Un homme à l’esprit médiocre, n’aurait pas répondu aussi promptement, aussi « pertinemment ». Donc, apriori, Ryan ne devait pas être trop bête, bien au contraire. Et ça, c’était essentiel. En tout cas, pour moi.

C’était important, car si je devais me lancer dans une aventure aussi provisoire soit-elle, autant le faire avec panache ! Quatre ou cinq jours de dialogues écrits et quelque chose comme deux-cent messages, nous étions prêts à nous rencontrer.

Ryan n’était pas parisien au sens propre. Ainsi, le choix du lieu me fut confié. Cela me convenait, car je pouvais choisir un endroit qui me plaisait d’une part et d’autre part, trouver un lieu où il serait facile pour moi de m’éclipser si l’ennui se faisait ressentir.

Je ne compte plus les hommes qui m’ont attendu car j’allais me « rafraichir » sans jamais revenir. Je laissais hâtivement au serveur un mot que j’avais pris le soin de griffonner avant le RDV qui disait en substance « désolée, mais ça ne marchera pas. Bonne continuation ». Je sais que cela était grossier, mal élevé, lâche et sans doute, terrible. Mais je ne voyais pas les choses ainsi. En ce qui me concerne, si je m’ennuyais je n’allais pas jouer la comédie une heure. Pourquoi faire ? Redorer le blason d’une personne que jamais plus je ne reverrai ? Non, très peu pour moi. Le jour de mon rendez-vous avec Ryan, un mot similaire gisait donc au fond de mon sac.

Je ne m’étais même pas apprêtée, j’y allais sans y croire. J’y allais par curiosité. A choisir entre une séance de cinéma et ce rendez-vous, j’avais opté pour ce qui m’étais le moins routinier. Je me disais qu’au mieux, je repartirais avec une éventuelle liaison érotique convenable, au pire, avec rien et cela n’était franchement pas grave.

J’étais à mon habitude en avance, j’étais toujours en avance. Cela me donnait l’occasion de fumer une cigarette histoire de décompresser. Que ce soit pour un rendez-vous de travail ou autre, j’arrivais toujours dix minutes avant. Dans ma tête, je répétais ce que j’allais dire en « ouverture ». Issu entre-autre du Cours Florent, il m’avait été enseigné que l’ouverture d’une pièce était la clé au succès et à l’accroche du public, j’avais bien retenu la leçon.

L’heure dite étant arrivée, je me dirigeais d’un pas lent et velléitaire vers le restaurant. Quelle idée d’accepter un déjeuner ? La règle immémoriale que je m’étais fixée vingt ans auparavant était foulée au pied par moi qui plus est. D’habitude, j’acceptai un café vers 16 h 00 ou un verre en fin de journée. Un moment pas trop long, car souvent avant même de boire une gorgée, je savais que mon mot aller me servir.

Et là, j’allais déjeuner…

A l’accueil, on prit le nom de la réservation « vous êtes la première » me dit-on. En plus, j’étais la première. De là qu’il me plante … Cette réflexion faite en mon fort intérieur, je trouvai l’idée plutôt agréable, cela m’éviterai ainsi de perdre mon temps. Oui, j’étais vraiment encline à penser que tout se passerait bien…

Bref…une fois installé, je pris mon New-York Times et je commandai un café. Je lisais distraitement le temps que Monsieur se montre. Mais personne n’arriva. Entre deux lignes, je regardai ma montre et une décision se fit d’elle-même. Si dans dix minutes il n’était pas là, je lèverai le camp. Je finissais à peine ma pensée, que mon téléphone sonna.

« Je suis perdu »… C’était là, son ouverture de pièce… Perdu comment, perdu ou ça ? Il me baragouina qu’il était je ne sais plus où et qu’il ne savait pas comment rejoindre l’établissement. Etant piètre navigatrice, je lui passais un serveur pour qu’il puisse être guidé par GPS humain. Je le gardais au téléphone ensuite et fit le trajet avec lui en ligne. « Je suis toujours perdu au coin de X et de Y ». Je sorti pour guetter l’individu égaré en plein Paris… Et je le vis avec son bonnet de bucheron rivé sur sa tête.

Arrivé à sa hauteur, une bise de circonstance vint celer un bonjour teinté de timidité et d’embarras…

Que dire de Ryan ? Entre deux âges, il pouvait sans grande peine se revendiquer comme un bel homme pour la plupart des femmes. Et aussi commun que cela puisse paraitre, je n’étais pas différente des autres sur ce point en tout cas. Toutefois, ayant dans mon « palmarès » de conquêtes quelques acteurs et mannequins aux allures fantasmagoriques, je ne fus pas émue plus que de raison. Il était beau, c’était un fait indéniable, mais bon, je n’étais pas au bord de l’évanouissement non plus.

Installé enfin à notre table, il commanda un alcool fort et moi, un verre de vin. Il m’inspira de la sympathie pratiquement instantanément. Aussi, je pris la partie de le faire parler. Un truc chez lui m’indiqua qu’il en avait besoin. Je ne me trompais pas le moins du monde. Et il commença à se raconter. Au début, du bout des lèvres, pour s’ouvrir un peu plus sous l’effet de l’alcool et de mon regard profondément captivé. Je ne feignais pas l’intérêt, je l’étais véritablement. Et croyez-moi, cela était une vraie première !

Père d’une petite tribu, Ryan travaillait dans une agence de communication. Même s‘il n’en parla pas vraiment, il était flagrant qu’Il était dans une situation financière plutôt confortable. Il se dit pratiquer du sport le plus souvent possible pour compenser le fait qu’il fumait plus que de raison, qu’il buvait a s’en dévaster et qu’il dormait peu voire, pas du tout.

Les choses commencèrent à se corser quand il m’avoua être sous antidépresseurs. La question tombait sous le sens : pourquoi ? Il m’expliqua que sa prime-enfance ne fut pas des plus simples. Suite au décès de sa mère quelques années auparavant, il commença à développer une forme d’hypochondrie. 

Au départ, il arriva plus ou moins à maîtriser ses angoisses de maladies et de mort. Mais plus le temps passait, plus cela devenait ingérable. Je présume que son entourage et famille eurent à partager ce lourd fardeau. C’est ainsi que courageusement, il entama un traitement doublé de rendez-vous chez un psy.

Durant toute cette anthologie non exhaustive, pas un mot sur la mère de ses enfants… Cela attira forcement mon attention. C’est pourquoi, assez sure de moi je lui lançais, « et bien entendu, tu es toujours en couple ? ». « Pas tout à fait » me répondit-il… Pour vous la faire courte, d’après Ryan, lui et sa femme vivaient sous le même toit tout en étant séparés. Ils vivaient ainsi pour les enfants, pour les commodités de vie et très probablement pour des raisons économiques également.

Je me doutais que cette explication n’était pas le reflet limpide d’une vérité exacte…Mais bon, cela n’avait pour l’instant que peu d’importance. Cela n’était pas grave étant donné que je ne savais pas encore si oui ou non je comptais le revoir. Je ne faisais pas dans les hommes mariés. Etre la maitresse d’un époux m’écœurait au sens propre du terme. Déjà, on contribue à la trahison d’une femme qui se fait bafouer du matin au soir par son salaud de maris. Ensuite, la maitresse en question passe après la famille, le boulot, le chien, le golf et la voiture. Être celle qui comblera le vide ressentis par des hommes trop trouillards pour partir, est par définition une belle connerie. On livre sur un plateau d’argent à ces messieurs tout ce qu’ils désirent. Ils ont le confort de leur douillette maison avec les enfants et leur épouse et à côté, la demoiselle qui sert à leurs pulsions libidinales. Et après, les pauvres écervelées qui couchent avec des hommes unis par les liens sacrés du mariage se demandent pourquoi ils ne quittent pas leurs épouses… Pourquoi faire ? Le mec a tout ce qu’il veut, c’est un plan parfait. Une stratégie de maître !

Ryan feint de ne pas très bien comprendre ce qui venait de lui arriver… D’après lui, peu de gens savait ce qu’il venait très spontanément et ouvertement de relater. Je ne pris pas ses mots sérieusement, le coup du « tu sais, tu es la première à qui je dis ça », je l’avais mainte fois entendu… C’était la ruse classique des hommes pour démontrer qu’avec moi, il pouvait se révéler, s’ouvrir et me faire confiance. Cela était supposé instaurer une forme d’accointance, une intimité qui n’existait absolument pas dans les faits.

Malgré cela, bien qu’il était plus marié que pas marié, force est de constater que je passai finalement un très agréable moment. On rigola de tout, de rien. D’une voisine de table qui rebutait Ryan, et moi qui plaidait sa cause en lui affirmant que même si elle était un peu ronde, elle était très jolie. D’une serveuse au postérieur plus que généreux, d’une anecdote dans la presse, d’une publicité idiote et infructueuse en termes d’impact…

Mais il devait déjà partir… Nous avions passé trois délicieuses heures ensemble. Je le raccompagnais à son métro et avant de le quitter, je déposais un timide baisé sur ses lèvres. Il resta la, à m’appeler pour que je revienne, mais moi, j’avais déjà disparu…

En le quittant et en me dirigeant d’un pas rapide hors de son champ visuel, je pris conscience d’une chose que durant tout le repas j’avais feinte de ne pas révéler en moi-même, j’avais eu envie de lui. Sans la bienséance et l’honneur et surtout, sans ma promesse, j’aurais très probablement possédé ce type. Enfin, je pense qu’il aurait été serviable sur ce point en tout cas. Ce n’était pas son physique qui me poussa à le désirer, non, c’était autre chose qui me faisait le vouloir. Une chose inidentifiable à ce moment précis.

J’avais eu le temps de faire peut-être dix minutes de marche, qu’un message sur mon téléphone indiquait « pourquoi es-tu parti comme ça ? ». Et un autre dans la foulée, « j’ai envie de te revoir, tu veux me revoir ? ». Je ne répondis pas au premier, mais au second « oui ».

Sur tout le chemin du retour, il m’écrivit. Il se disait amoureux, il se disait déjà en manque de moi. De mon côté, je relativisais ses propos, en lui rétorquant que bien sûr, que tous les hommes tombaient amoureux de moi à la première frite dégustée dans une brasserie…Mais aussi étrange que cela puisse paraitre, plus les messages s’enchaînaient, plus j’avais comme le sentiment qu’il ne plaisantait pas complètement. Et s’il avait eu un coup de foudre ? Cela pouvait arriver ! Après tout, des choses bien plus étranges étaient déjà arrivées dans l’histoire de l’humanité…

Il me fallait chasser cette idée, car entre vous et moi, cette éventualité me transportait. Et ça m’énervait, après à peine trois heures, l’idée que Ryan soit séduit par moi, me rendait folle de joie.

Pour couper court aux fantasmes éventuels, je me dis que cela devait être son modus operandi pour mettre les filles dans son paddock ! Oui, cela devait être ça et uniquement cela ! Il me faudrait donc redoubler de vigilance, car ce mec s’avéra plus dangereux que prévu.

Nous n’avons pas arrêté de nous écrire de la soirée. Il s’endormit vers une heure du matin, et moi je relisais nos centaines de messages pour être certaine de ne pas avoir imaginé cette journée. De ne pas avoir imaginé Ryan, de ne pas l’avoir inventé.

J’avais à nouveau seize ans, j’avais des papillons dans le ventre…C’était exaltant tout en étant paralysant de trouille.

Quelle était la probabilité pour que toute cette histoire n’ait pas pris tout simplement racine dans mon esprit avide de sensation ? Je m’étais dit à cette époque, qu’il était possible que c’était moi qui souhaitais voir dans ses propos de la sincérité. Que j’avais besoin d’une véritable histoire d’amour. Que c’était pour moi d’une nécessité absolue pour ne plus me sentir aussi seule que je l’étais. Et c’était peut-être cela qui me poussais à presque admettre comme paroles d’Evangile ce que je lisais de cet homme à peine rencontré…

La solitude est une curieuse chose. Je la recherchais tout en la rejetant. J’ai toujours aimé être seule. Cela me permettais de remettre mes idées en place, de mieux voir ce qui m’entourait, de mieux appréhender les évènements. Mais des fois, mon corps tout entier souffrait de cet exil des autres. J’avais besoin de contacts, de toucher un autre, d’être troublé par lui. Cela était compliqué, car mon choix de vie chaste, était contraire à ce que j’étais. Certains disent aimer l’art, la gastronomie ou les voyages. J’aimais tout ça mais par-dessus tout, j’aimais la volupté. 

Certaines études universitaires renseignent sur la différence qu’il y a entre les hommes et les femmes sur ce sujet si délicat qu’est le sexe. D’après plusieurs professeurs les hommes seraient envahis d’une pensée coupable dix-huit fois par jour en moyenne pendant les quelque seize heures par jour de leur temps de veille. Quant aux femmes, ces derniers y penseraient approximativement dix fois. Je vous le dit du fond du cœur, je ne suis ni un homme et encore moins une femme ! De tous les moments, je préférais et de loin le moment où le corps s’abandonne à un plaisir plus fort que la raison, que l’étiquette ou le simple respect de soi…Etre dans un état primaire ou nulle conscience ne vient perturber l’archétype animal, voilà ce que j’aimais et ce que je voulais ressentir ! 

Le jour qui a suivi notre déjeuner, Ryan et moi-même étions dans l’incapacité de nous rencontrer pour diverses raisons familiales et obligations dominicales. Nous avions convenu, cela étant dit, de nous retrouver pour le petit déjeuner du lundi. La journée du dimanche passa mollement, sans grand entrain de ma part. Moi qui d’ordinaire adorais les dimanches, celui-là était gris, terne et monotone. Nous passâmes notre journée et soirée à nous écrire, à nous téléphoner. Bref, cela n’était pas simple de gérer le quotidien avec un sms toutes les trente secondes.

Dès les premiers instants, j’avais remarqué qu’il était assez susceptible. Quand je ne répondais pas assez promptement à son gout, il pouvait être désagréable, m’accuser de ne pas penser à lui, de ne jamais être celle qui écrit. Aussi étrange que cela puisse paraitre, cela m’apaisait. Il était comme ombragé du temps que je ne pouvais lui accorder. D’ordinaire, je fuyais littéralement devant les hommes trop possessifs ou jaloux. Mais avec lui, je trouvais cela naturel, pire encore, indispensable.

Lundi arriva lentement, mais il arriva.

Je lui avais demandé à quelle heure il devait être à son travail, mais il avait répondu qu’étant au poste qu’il occupait lui conférait certains privilèges. N’empêche que pour pourvoir me voir à neuf heures du matin, il du inventer une indigestion doublée d’une nuit blanche.

Deux heures à parler, à se regarder, à se taire et se contenter le plus naturellement du monde de savourer l’instant présent. Ce matin-là, j’avais cherché la petite bête. Je lui demandais avec combien de femmes était-il en contact sur l’application ou nous nous étions rencontrés ? Il répondu ; aucune. Je ne trouvais pas cela crédible. Je pense qu’il dut lire dans mon esprit, car il prit son téléphone, alla sur l’application en question et me demanda de l’effacer de son portable. Je lui dis que cela ne changerais rien, qu’il pouvait toujours la réactiver quand il le voulait. Il se mit alors à me dévisager comme-si j’avais offensé sa franchise. Je fis donc ce qu’il me demandait et moi aussi j’effaçai cette application.

C’était sa façon de me dire qu’il ne voulait voir personne d’autre que moi. Même si je trouvais ça rapide, c’était d’un romantisme impressionnant. Mais une fois de plus il devait me quitter. Je le raccompagnais à l’arrêt de bus au coin de la rue et nous échangeâmes notre premier vrai baiser. Le bus s’éloignant, il m’écrivit « je pourrais passer ma vie sous cet abri de bus ».

La tête me tournait, je ne savais plus très bien ou je devais aller pour me rendre chez-moi. Du coup, je me suis retrouvé à l’opposé de mon domicile. Sur le trajet à pied de plus de deux heures, le monde semblait un endroit plus beau que d’ordinaire.

Vous devez me croire quand j’écris que j’ai vraiment tout fait pour rationaliser et dépassionner. J’ai pris le soin de considérer très sérieusement que Ryan n’était qu’un tombeur possédant une méthode plutôt bonne et productive. Je n’étais pas dupe, je n’ai jamais été naïve ou manipulable. J’ai envisagé qu’il ne cherchait qu’à me mettre dans son lit. Que tout ceci n’était rien d’autre qu’un jeu entre deux adultes un peu attardés émotionnellement parlant.

De fait, je peux promettre à qui voudra l’entendre, que non, je ne suis pas tombée amoureuse de lui le jour du déjeuner, ou le jour du petit-déjeuner. Mais je ressentais une forme de…Et là je vais employer un terme que j’exècre, une forme de lien mystique avec cet homme. C’est comme-si je l’avais toujours connu et qu’après une longue absence, enfin nous nous retrouvions.

Avec lui, tous les romans, tous les Heathcliff, Darcy ou encore les Ambosio n’étaient que de pâles ombres d’eux-mêmes. Ils ne reflétaient plus une forme de perfection narrative. Ils ne suscitaient plus de regrets quant à leur non existence réelle dans mon cœur submergé d’abandon. Avec lui, j’existai comme pour la première fois, je ne respirai plus le même air, je ne pensai plus de la même façon. J’étais transporté hors de moi vers une chose que je pouvais sans crainte du ridicule nommer ; extraordinaire.

A en croire son attitude et ses propos, mon sentiment était pleinement partagé. Quand je relatais nos moments ou nos échanges épistolaires à des amies, elles étaient sceptiques. Ca paraissait trop beau pour être vrai. Elles me mirent en garde, d’après certaines, il voulait ce que tous les autres souhaitaient, coucher un point c’est tout. La tête sur le billot, je n’aurais jamais pu autoriser que l’on dise cela de lui. C’était tout simplement impossible. J’avais rencontré des acteurs dans l’âme, des manipulateurs, des tireurs d’élite, des vampires sentimentaux. Ryan n’était pas comme eux. Nop… Il ne l’était définitivement pas.

Je passerais la suite de la journée du lundi, ou mon téléphone me brula les mains tant j’écrivais a Ryan et tant lui m’écrivait. En plus des SMS, on s’appelait entre deux réunions, en pose cigarette, avant le déjeuner, après le déjeuner…On ne faisait que cela ou presque. Il m’avoua qu’il avait vraiment du mal à se concentrer dans son travail et en ce qui me concerne, ma société naissante était totalement à l’abandon.

Nous avions convenu de nous voir le jour suivant, le soir. Je connaissais un bar que lui ne connaissait pas. On y servait les meilleurs Cosmopolitan de Paris, un cocktail qu’il ne connaissait pas non plus. Le mardi soir arriva et j’étais dans un état proche du coma vestimentaire. Que mettre ? Aucune toilette n’allait, rien, je n’avais rien dans mes placards. C’était une catastrophe. A force de fouiller dans mon dressing, je tombai sur une relique d’une autre vie. Une robe noir simple et de circonstance.

J’étais angoissé quant à ce rendez-vous. Toute la sainte journée, Ryan avait cherché des raisons de querelles. Il m’avait reproché de ne pas avoir voulu le voir au déjeuner, quand il me l’avait proposé à l’heure même du déjeuner. Ensuite, il m’accusa de ne pas penser à lui, de ne pas écrire, de ne jamais l’appeler. Et c’était vrai, je n’écrivais pas spontanément et je ne téléphonais pas, sauf quand il me le demandait.

Ayant un poste plutôt important, je ne voulais pas le déranger d’une part et ensuite, je ne souhaitais pas donner le sentiment que seul lui existait dans ma vie. Je venais de lancer ma société, j’avais moi aussi des choses à faire et d’expérience, je savais qu’une femme inlassablement disponible faisait peur aux hommes actifs.

Pour ne rien vous cacher, secrètement, sans jamais l’avoir formellement avoué, mon rêve le plus illustre était d’être femme au foyer avec une ribambelle d’enfants et un mari. Ce rêve était la part de moi qui croyait avoir le droit à ce genre de vie. Mais voyant avec le temps que je n’étais pas tout à fait comme tout le monde, j’avais endossé le rôle de la femme libre, forte et indépendante…

Quand il faut admettre que je n’étais rien de tout cela. Pour moi, l’homme était un homme et la femme, oui, c’est exact, une femme ! Mais, étant tombée quasiment que sur des assistés incapables de gérer quelques situations que ce soit, c’était tout l’inverse qui se produisait. C’est moi qui gérais tout, tout le monde et tout le temps. Et après on me demandait pourquoi je partais ?

L’équation est élémentaire : l’amour est mort, le désir n’est plus, le couple également. Toutes les raisons du monde, les meilleurs, les plus fondées, comme rester pour les enfants, ou pour l’histoire de toute une vie à deux, ou les pires, comme conserver un confort financier, ne pourront ressusciter un amour tué par le temps. A rester dans ces conditions, on se condamne soi-même et sa famille a la torture. Il reste quoi finalement pour oublier ce cauchemar plus ou moins bien vécu ? Tromper ! Tromper pour taire un temps ce désastre, tricher et mentir pour tenter de vaguement vivre.

Pourquoi tant de médiocrité ? La conclusion qui semble la plus crédible est que ces gens ont tout simplement peur. Peur de la solitude, peur de mourir seul. Si vous voulez mon sentiment, on vient au monde seul et on meurt seul. Vous pourrez être entouré de dix-mille personnes le jour fatidique de votre mort, cette expérience, vous et vous uniquement l’expérimenterez. Personne ne saura vous sauver de ce fatal moment, personne n’atténuera votre angoisse quand vous vous apprêterez à quitter ce monde familier pour l’inconnu des nimbes.

Je trouve triste de vivre une vie de peurs et de regrets. Quand on y pense, quand tout va bien, on vit sur terre approximativement soixante-dix ans, un peu plus, un peu moins. Quelque chose comme huit-cent-quarante mois ! Une fraction de temps dans l’infini. Et on perd un temps inestimable à se gâcher la vie avec des considérations de crainte et d’effroi. On a peur de tout, du travail qu’on a et qu’on pourrait perdre, de la maison qu’on n’a pas encore à un âge ou la plupart des autres sont déjà propriétaires. On a peur de la maladie, alors, on fait attention à tout ce qui est « toxique », quitte à se priver de ce que l’on aime. On craint la vieillesse qui est inéluctable. On balise devant la mort que finalement, on ne connait pas. On a la peur au ventre du matin au soir. Tout ça pourquoi déjà ? Ah oui, pour savourer une vie heureuse, sereine et prospère !

Pour en revenir à Ryan qui était de forte mauvaise humeur visiblement ce jour-là, je redoutai de passer une mauvaise soirée. Un peu plus tôt dans la journée, j’avais même spéculé qu’il faisait exprès de chercher la petite bête pour ne pas me voir. Aussi, je lui avais envoyé un SMS pas très sympathique en lui disant que « si tu ne veux pas ou ne peux pas me voir ce soir, dis-le plutôt que de chercher des excuses a deux balles ». De là, cela avait été qu’une longue suite de messages plus désagréables les uns que les autres. Et ce, des deux côtés.

En arrivant en taxi devant le lieu de notre RDV, je vis Ryan. Il était à l’extérieur, il fumait en m’attendant. Si je vous disais que de son fameux bonnet émergeait de la fumée de rage, me croiriez-vous ? Il faisait les cent pas au coin de la rue. Il avait une tête colérique. En le voyant par la fenêtre de la voiture, je demandais au chauffeur de ralentir un peu, je voulais l’observer un moment. Ouais, c’était certain…La soirée s’annonçait pas trop bien.

Aussi, une fois devant lui et pour couper court à toute tergiversation sur la journée morose que nous avions passée par SMS interposés, je l’ai étreinte et embrassée et son sourire revint aussitôt.

Il m’expliqua les raisons à son humeur maussade, il voulait me voir mais je n’étais pas disponible. Il aurait aimé être avec moi pour s’acquitter en ma compagnie des choses je devais faire ce jour-là, mais cela n’avait pas été possible. En résumé, il m’expliquait à sa façon qu’il n’était pas de bonne humeur car finalement, il ne m’avait pas vu ce jour-là.

Et c’est à ce moment précis, c’est exactement là, pendant qu’il était penché sur son téléphone à me montrer mes sms, ses sms, qu’il disséquait chaque mot dans notre correspondance, c’est précisément à cet instant où j’ai basculée. Avant de l’accepter, avant de me laisser être, je devais lui demander ce qu’il pensait réellement de moi. Je cherchais une raison pour ne pas m’enliser, un regard tricheur, un mot qui ne soit pas juste, un signe qu’il jouait avec moi, de moi…

Sa réponse fut courte, à vrai dire, je ne me souviens que de la chute « j’ai eu un coup de foudre en te voyant et oui…je t’aime ». En exprimant ce « je t’aime », sa voix devint plus délicate, ses yeux se baissèrent puis se relevèrent en fin de phrase, comme pour juger si j’approuvai ou si je trouvai cela absurde. Rien ne pouvait induire au mensonge, sa façon d’agir à ce moment précis, ces mots, sa manière d’être, tout était empreint d’une profonde vérité.

Tout était dit, enfin, pour moi. J’étais assise devant un homme qui se disait m’aimer, et moi, je venais d’accepter la réalité de mon état second depuis quelques jours, j’étais éprise. Ça me prenait au corps, à l’esprit et à l’âme… J’étais submergée et ravagée d’une inclination folle et d’une passion indomptable pour cet homme.

Quand ma fille devint assez grande pour qu’on puisse avoir une véritable conversation ensemble, je lui dis qu’elle était exactement comme je l’avais rêvé. Si j’avais su dessiner, j’aurais pu faire un croquis de son visage à la ligne prés. Avec Ryan, c’était la même chose. Il reflétait tout ce que j’avais imaginé être « l’homme parfait », mon idéal. Ce n’était pas uniquement son visage ou son corps, qui au demeurant étaient délectables. C’était lui, dans son intégralité.  Son humeur changeante, son caractère, ses défaillances, son sourire ravageur, son mental si vaste. Sa mélancolie aussi, cette forme de vulnérabilité dissimulée dans une vigueur sans bornes.

D’habitude, je trouvais toujours un « mais »… Là, il n’y en avait pas. Pour moi, Ryan avait été fait pour moi et je pense en toute humilité, que j’étais faite pour lui. Une très belle légende indoue prétend qu’à la naissance, suite à la douleur ressentie, une partie de l’âme de l’enfant part se loger dans le corps d’un autre nouveau-né du sexe opposé. Si vous rencontrez celui ou celle qui possède cette partie d’âme perdue, vous serez à nouveau complet. C’était peut-être vrai au regard de ce que je ressentais vis-à-vis de Ryan.

Nous devions diner, mais nous priment trois Cosmo et quelques canapés comme seule nourriture. Assis au départ l’un en face de l’autre, nous devions changer de place dans la soirée pour nous retrouver à coté l’un de l’autre. Même si je ne comptais absolument pas consommer notre relation à peine naissante avant un certain temps, voire même un temps certain, ma main s’aventura sur sa peau. Chemin faisant, je repensais au Marquis, de Sade « L’érotisme est un pouvoir sexuel sans bornes, illimité, démesuré. Il faut le craindre. », disait-il… Comme il avait raison !

Seulement, je ne voulais pas être comme toujours. Je ne désirais pas contrôler tout et tout le monde comme à mon habitude. Je voulais être ce que je suis fondamentalement, intrinsèquement. Une femme qui espère depuis une éternité un amour déchaîné, pas pratique, bouleversant, envahissant, absolu et impérissable.

C’est très probablement l’alcool et cet état qui eurent raison de ma raison… étant donné qu’en sortant fumer une cigarette, je lui dis une chose que je regretterai toujours, « ne brise pas mon cœur car je te briserais les deux jambes ». Il me promit de ne jamais le faire.

A suivre… Le chapitre 3 sera publié le lundi 20 avril 2020

Le chapitre 1 est à retrouver ICI.

M.G.

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