L’association Les Elles de la Terre rassemble toutes les femmes qui ont un lien de près ou de loin avec le monde rural ainsi que l’agriculture. Le but de l’association est de pouvoir s’exprimer sans jugement, de respecter le choix de vie de chacune avec bienveillance, d’élargir les connaissances mutuelles pour trouver des solutions ensemble et pouvoir avancer sereinement. Nous avons ce qu’il y a de plus vrai aujourd’hui, la parole. Parler pour ne plus être seule, parler pour éviter le pire, parler pour exister. Présente à la 1ère Journée de Printemps des Sans-Voix à Paris en mars 2019, les ELLES de la Terre se sont tout naturellement reliées à l’Archipel des Sans-Voix pour un combat commun. Toute seule on va plus vite, ensemble on va plus loin.
** Je viens de lire le billet des elles de la terre « ne pas se taire ! » et pourtant je ne fais que ça : me taire.
Pourtant je fais partie de ces agriculteurs qui sont au fond. Que l’on juge sans savoir leur histoire. Que l’on fait passer pour des incapables alors que les épaules sont déjà chargées, le cœur vide et la tête baissée. Ceux qui arrivent à afficher un sourire et dire « ça va bien », on vous dira qu’ils ne vont pas si mal en fait. Alors qu’une fois la porte close, le chaos est pourtant bien là.
Entre le sentiment d’échec, la fatigue morale, la tristesse, la déception, l’incompréhension et l’abandon.
Oui l’abandon, pas que les autres vous abandonne. Mais vous vous abandonnez vous même. Vous ne devenez qu’un porte-monnaie vide incapable de payer ses factures, un éleveur sans passion qui délaisse ses animaux, une mère sans ses petits.
Vous n’avez plus rien à perdre. Vous avez perdu vos enfants (par
choix en plus !), vous avez perdu votre rêve, votre passion, votre goût
pour la vie. Vous êtes seule. Même si vous êtes entourée, vous êtes
seule. Seule parce que vous avez cette sensation que personne ne
pourrait vous comprendre. Mais vous n’en parlez pas.
SURTOUT PAS.
Vous avez honte. Vous savez que les gens vous jugent. Et même si avant vous ne vous souciez pas du regard des autres, il devient maintenant un coup de poignard en plus en plein cœur. Et vous n’en parlez toujours pas. Vous faites même le mort. Vous restez enfermée, vous n’allez plus à la boite aux lettres, vous ne répondez plus au téléphone. Jusqu’à vouloir mourir. Parce que ça y est, vous êtes la proie acculée que le prédateur va dévorer sans même l’avoir achevé. Vous voudriez juste que tout s’arrête. Net. Et parce que vous y voyez la solution économique la plus appropriée pour protéger vos enfants. Mais pour les autres, vous souriez. Vous ne voulez pas paraître faible. D’autant plus qu’en tant que femme vous en avez entendu déjà pas mal sur votre incapacité à vous en sortir seule.
Et vous vous levez tous les jours. A contre cœur. Et vous vendez tout sur un coup de tête parce que de toute façon vous vous sentez incapable. Et fatiguée. quand tu es décidée à avoir la paix éternelle, le repos, vos amis vous secouent. Parce que ceux qui vous connaissent, même si vous leur parlez peu, ils savent que ce sourire est vide, qu’il n’est qu’une façade. Et quand vous parvenez à vous raisonner un peu, vous accepter de l’aide, discrète, mais quand même. Mais la dépression est toujours présente. Et même si vous vous faites aider, vous vous sentez honteuse. Honteuse de ne pas avoir réussi à être forte, à trouver la ressource pour vous battre. C’est comme si tous les jours votre corps fonctionnait mais que votre âme l’avait déjà quitté. Vous êtes détachée de vous-même. Et vous jouez bien le jeu de la personne épanouie qui va bien. Alors que dans votre tête c’est toujours le néant. Ah vous pleurez, beaucoup, parce la fatigue psychologique se mêle au manque de sommeil. Parce que se coucher le soir ça veut dire être obligée de faire face à une nouvelle journée au réveil suivant.
Et un beau jour, on vous secoue encore plus fort. Vous vous ouvrez un
peu plus. Comme une plaie infectée, on finit par y voir la profondeur
et l’état. Et ceux qui vous aiment sont le pansement, l’antibiotique et
les médecins. Alors vous vous réveillez, un peu, et vous voudriez hurler
au monde entier que c’est pas ça que vous vouliez. Vous ce que vous
vouliez c’était vivre, vivre de votre rêve de gamine, vivre tout
simplement. Et vous aimeriez réussir à redire un jour que la vie est
belle. Mais le chemin est long. C’est long de se défaire de la honte de
l’échec.
Mais vous décidez de tenter le chemin parce qu’avec ce qui
est déjà parcouru, finalement vous serez peut-être endurant. Et vous
finissez par échanger avec des personnes qui vivent des situations
similaires, et ce sentiment de solitude se dissipe petit à petit. Très
lentement. Il faut repartir de zéro. Se reconstruire, pierre après
pierre.
Mais s’il y a une chose que j’ai enfin compris après plus
d’un an de descente aux enfers, c’est que je ne suis pas la seule dans
cette situation. Pas la seule à ressentir toute cette honte. Pas la
seule à vouloir arrêter de vivre pour être en paix. Et qu’il faut en
parler. Parler parce que pour encore de trop nombreuses personnes dans
la même situation, l’issue finale est fatale. Et que la honte n’est pas
justifiée. Surtout quand vous travaillez dans un milieu gangrené.
J’ai essayé de réaliser un rêve. Est ce un crime de rêver ? Est ce un crime d’essayer ? Est ce un crime d’échouer ?
N’échoue pas que celui qui n’essaie pas…
Je n’écris pas ce pavé pour me lamenter. Ni avoir votre compassion.
Ni que vous soyez désolés. Bien au contraire. Je ne suis ni fière de
moi, ni courageuse.
Mais parce que pendant que vous entendez aux
infos que les gens se demandent si le droit du travail leur permet de ne
pas aller travailler passé une certaine température, d’autres se
crèvent le cul par tous les temps pour vous nourrir, et 7 jours sur 7.
C’est leur choix de vie. Mais à quel prix ?
Et je vous écris aussi
parce que tous les 2 jours, en France, un agriculteur se suicide. Un
chiffre plus important que dans toutes les autres catégories
socio-professionnelles…
Et parce que la dépression c’est une maladie
invisible. Elle n’a pas forcément d’enseigne lumineuse au-dessus de la
tête de celui qui la vit. Et que ça peut être n’importe qui autour de
vous.
Je remercie les Elles de la Terre pour leur soutien. Pour m’avoir fait comprendre que je ne suis pas seule. Et que dans ce milieu, certains ont encore des valeurs humaines bienveillantes et saines.
Et merci à tous mes amis et à ma maman qui endurent mes humeurs et me relèvent à chaque chute. Et félicitation à mes enfants d’être aussi géniaux avec tout ce qu’ils vivent depuis 2 ans.
« Si on comprenait, on ne pourrait plus juger » André Malraux
Claire
Merci 🙏 #LesElles
Si vous souhaitez réagir à cet article, n’hésitez pas à laisser un commentaire (tout en bas de cette page). Vous pouvez aussi lancer un débat sur un sujet de votre choix sur le Forum de ce journal.