Rapport sur la pauvreté en France, édition 2022-2023

« article repris du site de l’Observatoire des inégalités, avec son autorisation »

Le Rapport sur la pauvreté en France, édition 2022-2023, vient de paraitre (le 6 décembre 2022). Il dresse un état des lieux complet et consacre un dossier à la grande pauvreté.

L’ouvrage présente un état des lieux complet et repère les principales évolutions. Il propose aussi un portrait statistique des personnes pauvres et dessine la géographie des difficultés sociales. Dans cette troisième édition, nous complétons le diagnostic par un dossier sur la grande pauvreté, qui place des centaines de milliers de personnes dans des conditions de vie indignes.

Anne Brunner et Louis Maurin, les auteurs de cette publication, vous en présentent les intentions.

Ce document a pu être publié car plus de 750 personnes l’ont soutenu lors de notre opération de financement participatif, et grâce au soutien de nos partenaires, Apivia Macif Mutuelle, le bureau d’études Compas et la Fondation Abbé Pierre. À l’heure où le débat public est constitué de tweets et de punchlines, où des responsables politiques montrent du doigt, sans honte, les prétendus « assistés », nombreux sont celles et ceux qui demeurent convaincus que pour combattre la pauvreté, nous avons plutôt besoin de politiques publiques à la hauteur. Et, en préalable indispensable, de bien mesurer le phénomène.

Pour avancer sur ce terrain, nous tenons à nous différencier de deux camps. D’un côté, de ceux qui pensent qu’en rajouter est le seul moyen de convaincre l’opinion, qui nous expliquent chaque année que la pauvreté explose, que l’on compte en France dix millions de pauvres et que notre modèle social ne vaut rien. De l’autre, de ceux qui refusent de voir la misère même si elle est parfois à leur porte. Qui continuent, alors même qu’ils ont les chiffres devant les yeux, à en vouloir « encore plus » et réclament sans cesse de nouveaux cadeaux fiscaux. Qu’ils obtiennent d’ailleurs. Pour preuve, les classes aisées (les 20 % les plus riches) ne vont plus payer de taxe d’habitation en 2023 : 1 000 euros, 2 000 euros, voire plus, iront ainsi dans leur poche. On garnit le « pouvoir d’achat » de personnes qui ne manquent déjà de rien.

Contre la pauvreté, l’information est une arme

Contre la pauvreté, l’information est une arme. L’objectif de ce rapport est de dresser l’état des lieux le plus complet et le plus fidèle possible, de manière sérieuse et accessible à tous publics. Si nous avons bien fait notre travail, le lecteur ou la lectrice de ce document devrait y trouver les éléments pour comprendre la situation et se forger un point de vue informé. Même si, en matière de pauvreté comme de richesse, les données restent lacunaires, quoi qu’en pense l’Institut national de la statistique qui estime que nous « cédons aux poncifs » quand nous alertons l’opinion sur le sujet. N’est-ce pas une lacune, par exemple, d’être incapable de dire aux Français comment évolue la pauvreté dans les communes de France ?

Vous ne trouverez bien sûr pas tout dans notre ouvrage. Notre souci de lisibilité nous impose de faire des choix parmi l’ensemble des données disponibles sur le sujet. Il y a deux ans, en pleine crise sanitaire, nous avions mis l’accent sur les jeunes. Dans cette édition, nous offrons un éclairage particulier sur la grande pauvreté.

Depuis des années, l’Observatoire des inégalités a opté pour le seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian, plus restrictif que celui qui est le plus souvent utilisé dans notre pays, celui à 60 % qui englobe une population trop hétérogène à nos yeux. Mais notre seuil à 50 %, environ 900 euros mensuels, est lui-même supérieur au montant avec lequel vit toute une partie de la population.

Bien sûr, la France est l’un des pays les plus riches au monde et l’un de ceux qui se soucient le plus de protéger les plus pauvres. Sans la qualité de notre modèle social, des milliers de familles vivraient à la rue ou dans des bidonvilles indignes. Cela n’empêche pas que la misère existe toujours bel et bien. Que ceux qui vivent avec très très peu, 300 ou 400 euros par mois, parfois moins, sont des centaines de milliers qui n’apparaissent presque jamais dans les compteurs officiels, même si cette année l’Insee a réalisé pour la première fois une évaluation de la « grande pauvreté » qui touche, selon l’institut, environ deux millions de personnes en France.

Une partie importante de ces personnes les plus pauvres sont d’origine étrangère, notamment du fait des difficultés qu’elles ont pour obtenir le droit de travailler. Plutôt que de les y autoriser – ce qui, au passage, créerait de la richesse et augmenterait les recettes de la protection sociale –, on les laisse dans des conditions indignes, travailler au noir et vivre en partie du soutien de leur famille, d’amis ou des associations. Une autre composante de la population la plus pauvre – les deux ensembles se recoupent – est constituée d’une France très populaire, peu diplômée, avec peu de réseau social, qui souvent n’a pas trouvé la « bonne » place à l’école et sur le marché du travail. Certains ont subi le choc d’une rupture – notamment des femmes avec des enfants – ou une difficulté de santé. D’autres ont perdu pied très tôt à l’école et ont fini par décrocher d’un système conçu pour la réussite des enfants de catégories favorisées.

ils demeurent à l’écart des normes de consommation du reste du pays

Au-delà de la grande pauvreté, plus de cinq millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian, soit 8 % de la population. Depuis plusieurs années, y compris pendant la crise sanitaire, ce taux s’est stabilisé. Cela veut dire que la même proportion de personnes vit avec moins de 900 euros par mois. Que les inégalités n’augmentent pas, ni ne diminuent, au bas de la distribution des revenus. Concrètement, le nombre de pauvres augmente en proportion de la population. Ces cinq millions de pauvres ne souffrent pas tous de la faim et ne vivent pas tous sous les ponts, mais ils demeurent à l’écart des normes de consommation du reste du pays alors que la société pousse à acheter toujours plus. C’est le cœur de la France populaire. La « sobriété » et la « fin de l’abondance » préconisées par le président de la République ne leur parlent pas : ils voudraient bien contribuer à un mode de vie plus écologique, mais ils ont aussi, et avant tout, besoin de vivre un peu mieux. Juste comme les autres.

La pandémie de coronavirus a servi de révélateur. Elle a mis au jour la nécessité de créer des places d’hébergement d’urgence, d’augmenter les capacités de distribution d’aide alimentaire. Elle a révélé l’urgence de soutenir les étudiants sans ressources et les travailleurs très précaires, et celle de relever les allocations des familles très modestes. Ces aides ont été apportées ponctuellement. Mais la plupart de ces situations préexistaient à la crise sanitaire. Elles sont toujours là aujourd’hui.

Pourtant, la période qui suit une élection présidentielle devrait être propice à prendre des mesures d’ampleur, structurelles. Elles tardent à venir tant les pouvoirs publics ne semblent pas mesurer la hauteur de l’enjeu. La montée des prix grignote les revenus. Notre pays devrait se mobiliser pour éviter que l’envolée des factures, de l’alimentation à l’énergie, ne fasse sombrer les plus pauvres. Mais, à la place, on finance collectivement des rabais sur les tarifs qui subventionnent les ménages tous azimuts, y compris les plus riches qui n’en demandaient pas tant. Ce sont eux qui consomment le plus d’essence et de chauffage. Ils bénéficient massivement du bouclier tarifaire. Le sens de l’effort collectif semble avoir disparu du langage politique.

un soutien à toutes celles et ceux qui se mobilisent

Ce rapport veut apporter un soutien à toutes celles et ceux qui se mobilisent, dans les associations, les collectivités locales et les entreprises, ou simplement individuellement, pour que les choses changent. Ils réalisent un travail de fourmi, peu visible, en partie grâce à de très nombreux bénévoles qui œuvrent dans toute la France. Sans eux, des centaines de milliers de personnes dormiraient chaque soir à la rue. Nous espérons que le lecteur trouvera dans ce rapport des éléments, dénués de misérabilisme, pour mieux comprendre la société dans laquelle nous vivons, et qu’il y puisera la volonté d’en débattre et de faire pression pour que la justice sociale progresse. Tel est le projet, depuis bientôt 20 ans, de l’Observatoire des inégalités

Anne Brunner et Louis Maurin

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