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Chronique N° 193 du 16/10/2017 : La saison des noisettes
En ce moment je fais provision de noisettes.
C’était une expression de ma mère. Rapport à la Caisse d’Epargne et à son écureuil kleptomane… en frais de découvert. Faut dire qu’elle en avait bavé ma mère question fric ! Alors mettre de côté la rassurait, c’était même sa seule satisfaction. Toujours ça que le rongeur n’aurait pas.
Mais moi, je ne mets pas les mêmes noisettes de côté. Parce que les impôts sont passés par là et ont vite gloutonné nos salaires temporairement restaurés. Et que de toute façon, je n’ai jamais pu mettre une thune de côté. Non, ce que je mets à gauche, ce sont des petits morceaux de soleil. Du vrai déjà, comme ce week-end. Parce que le chômeur est photosensible et l’hiver a tendance à le rendre grincheux à souhait. « La misère moins pénible au soleil », tout ça… Puis je profite aussi de mon CDD, noisette à demi-grignotée, pour ne pas sentir la froidure de janvier et l’imaginer pointer son nez. Janvier : mois officiel de mon retour chez Pôlo.
Ma mère est morte il y huit ans déjà. Ecureuil planqué dans son sapin à ne jamais raconter ses problèmes. Elle en aurait fait une tête en voyant sa fille étaler les siens sur les réseaux sociaux ! Jusqu’à en faire un livre, une marque de fabrique. Elle aurait désapprouvé, sans aucun doute. Et ça m’aurait fait une noisette de moins.
En cet automne précaire, je ne fais provision que de plaisirs immatériels. Car les emmerdes continuent à pleuvoir dru sur le noisetier ratiboisé. Alors je chope un mail gentil par-ci, un tweet sympa par-là… Des mots venus des dessinateurs que je pille à chaque épisode et qui, en réponse à mes remerciements, sont plus que bienveillants. Un coucou inattendu de l’équipe de BoxSons qui revient sur mon travail effectué il y a plusieurs mois déjà, et me prouve à nouveau que je ne suis pas une ombre. Des coucous d’inconnus qui me confient que tous ces mots écrits depuis des mois n’ont pas atterri dans le vide. Qu’ils ne sont pas uniquement le reflet de mon nombril. Qu’ils sont souvent les mots de beaucoup.
Ces petits riens du tout, je les prends tous à leur juste valeur. Avec avidité. C’est grâce à eux que je passerai l’hiver. Certes ils ne me feront pas manger, ils ne feront pas sourire mon banquier. Mais ils sont mes noisettes à moi.
Des petits riens du tout, que ni Pôlo ni Jupiter ne pourront jamais venir me bouffer.
(dessin du chouette Goubelle – Dessin de presse)
Chronique N° 194 du 16/10/2017 : Gravir des sommets
Il n’y a pas à dire, ce gouvernement a le sens de la formule pour nous causer à nous, petit peuple au QI limité… Un QI inversement proportionnel au poil dans la main qu’il nous attribue.
Ainsi sommes-nous des riens, des fainéants, des cyniques, des extrêmes qui semblent n’avoir qu’un objectif : profiter au maximum des largesses financières de notre beau pays.
Dernière saillie en date, celle de Christophe Castaner qui porte la parole jupitérienne sous un sympathique accent du sud. Mais revenons-en à mes moutons et en l’occurrence, la possibilité offerte (enfin, ce n’est pas cadeau, rassurez-vous) de pouvoir démissionner de son job tout en ayant la permission de toucher des indemnités-chômage.
Car le sieur Castaner l’a précisé : faut pas tout confondre ! Et de nous dire – ânes bâtés que nous sommes – qu’il ne faut pas croire que « finalement, je vais bénéficier des allocations chômage pour partir deux ans en vacances ».
Ben oui, putain c’est con ! C’est pourtant exactement le plan que prévoyaient les trente millions d’actifs du pays ! Lorsqu’ils ont entendu les premières annonces de Macron sur le sujet, ils avaient même sorti les valises planquées sous le lit, faisant déjà leurs réservations et fourguant aussitôt les mômes chez les grands-parents. La proposition du gamin, c’était juste le Graal pour les millions de branleurs qui peuplent notre beau pays. Ces petites gens qui n’attendaient qu’une chose : toucher 57% de leur salaire brut afin de mieux s’éclater à la plage ou à Morzine…
Je suis déçue, mais déçue ! Je me disais qu’on allait tous pouvoir faire un break, nous dorer la pilule au frais de la princesse et en fait, ben pas du tout. Heureusement que Christophe Castaner nous a mis en garde. Sinon on s’apprêtait à faire une belle connerie.
Connerie qui – soit dit en passant – ne pourra être commise que par ceux qui savent déjà comment retrouver un job les doigts dans le nez. Ou alors ceux qui vont enfin trouver une manière de rejoindre un conjoint muté à 300 bornes du domicile familial depuis trois ans et qui n’en peuvent plus de payer deux loyers. Ou encore ceux qui voulaient à tout crin monter leur boite et n’osaient franchir le pas.
Alors je veux rassurer Christophe Castaner. Les agences de voyage ne vont pas se renflouer avec les salariés qui serrent les fesses depuis des années de peur que leur entreprise ne délocalise. Ni même avec les salariés qui vivent dans des zones où l’emploi est aussi rare que la truffe. Et je ne parle pas des précaires qui ne peuvent de toute façon pas miser sur deux ans d’allocs !
A moins que cela ne permette de nous mettre à l’alpinisme… jusqu’à devenir premier de cordée.
Mais franchement j’en doute.
(dessin du très bon Babouse)
Chronique N° 195 du 19/10/2017 : Pierrot le fou
Pierrot, il a toujours des idées.
Pierrot, c’est Pierre Gattaz. Vous savez bien, le gentil patron de Medef ? Celui qui, notamment, avait fait la promesse il y a trois ans de créer un million d’emplois d’ici 2017, à condition que les prélèvements baissent de 100 milliards d’euros. Qu’est-ce qu’on avait ri !
Bref, vous voyez de qui je veux parler.
Donc le Pierrot – après la sortie de Castaner sur les deux ans de vacances aux frais de Pôle emploi – nous explique maintenant que le chômeur fait désormais de…
« l’optimisation ». Si, si, c’est le mot utilisé. Comme quand les grosses entreprises se démerdent à échapper à l’impôt en faisant de l’optimisation fiscale. Et bien pour l’ami Pierrot, y’a plein de chômeurs qui font dans le montage compliqué pour bosser le moins possible.
Alors il a eu une idée. Il a toujours plein de chouettes idées not’ Pierrot.
Voilà qu’il propose un suivi journalier de ces branleurs de chômeurs. Un truc entre le bracelet électronique pour récidiviste et le pointage au commissariat. Un genre de fiche S. Non pas pour « atteinte à la sureté de l’Etat » mais plutôt une fiche P comme « atteinte au porte-monnaie de Pierrot » !
Comme ça a un peu gueulé après cette déclaration, gentil Pierrot a un peu temporisé. Arrondissant son propos en disant : « C’est un contrôle qui est important (…) Journalier, hebdomadaire ou mensuel c’est un truc qu’il faut débattre ». Avant d’ajouter, en prenant l’exemple du Canada, que là-bas les chômeurs qui partent en vacances… ne reçoivent plus d’allocations. Méfiance, bientôt il va sans doute nous dire que les congés payés sont aussi une mesure d’optimisation pour échapper au travail.
Je ne sais pas pourquoi mais j’ai idée que Pierrot ne nous aime pas.
Et si le Code du travail a pris les médicaments des ordonnances Macron, c’est bien aussi à cause de ses réflexions.
Une purge qui va continuer avec les bonnes idées de l’inénarrable Pierrot.
Parce que lui, quand il en a une en tête, c’est que nous, on va l’avoir dans le c…
(dessin du topissime Gilles Lasserpe)
Chronique N° 196 du 23/10/2017 : Tenir la route
Mon CDD m’oblige régulièrement à faire de la route.
Pour ceux qui ne connaissent pas la Nièvre, tu mets vite une heure pour faire cinquante malheureux kilomètres. Routes départementales où tu peux passer vingt minutes sans croiser un seul véhicule à moteur. Et comme mes reportages sont souvent perdus au milieu de nulle part, je branche systématiquement le GPS.
Je n’aime pas beaucoup conduire.
Au début, ces trajets me pesaient un peu. Et puis au fur et à mesure, j’ai appris à les apprécier. Durant un moment, ils me permettent de m’extraire du monde. Plus besoin de réfléchir, de faire face, d’assurer. Je n’ai qu’à suivre monsieur GPS. Je lui laisse la main, il sait où mène cette putain de route.
Pendant ces trajets je suis seule. Seule dans ma bagnole. Seule sur le chemin. Je ne suis plus que spectatrice, hors du monde. Lorsque je traverse un village ou que j’aperçois une ferme au loin, j’imagine les vies qui s’y jouent. A l’instant où je passe, peut-être qu’un couple s’embrasse. Peut-être qu’un vieillard apprend qu’il est malade. Peut-être qu’une femme déménage pour l’autre bout du monde. Peut-être aussi qu’un brave homme reçoit une lettre de licenciement.
Aujourd’hui je suis presque déçue d’arriver à destination. J’aurais bien fait quelques kilomètres supplémentaires loin de tout ça. A la fin décembre, le GPS s’arrêtera. En même temps que mon contrat. Je n’aurai plus de but à atteindre. A nouveau, il me faudra prendre les choses en main sans certitude, sans direction. Avancer à l’aveugle, en ignorant si je tourne au bon croisement ou si mon choix débouche sur une impasse. Replonger les mains dans le cambouis. S’apercevoir qu’il n’est que sable entre mes doigts.
Ces derniers mois, en parallèle à cette vaine course à l’emploi, les coups durs s’accumulent sous notre toit. Tout comme ils doivent s’accumuler dans les maisons que j’aperçois, dans les hameaux que je traverse. Trop nombreux à mon goût. Et sur la route du destin, aucun GPS n’est fourni pour trouver une issue.
Malgré tout, il faudra bien reprendre les commandes. Vaille que vaille.
En espérant que tout ceci n’aboutisse pas dans le mur.
(dessin du chouette Jiho dessins de presse)