Il y a toujours une alternative, toujours !

Ce furent les commentaires de trop. D’abord à un ami à qui je parlais d’un proche qui allait devoir vendre sa maison perdue dans la pampa car il ne pouvait plus en payer les faibles traites, faute de revenus, à cause de Covid et qui me répliqua « ouais, mais bon, faut fermer, c’est la nouvelle norme. Ton pote devrait réechelonner son prêt ». Puis ce matin, un salarié de gros groupe, me disant « je ne vois pas d’autre option au reconfinement ». Partout, un fatalisme prédictif et sur le long terme : il n’y a pas le choix, there is no alternative. Le confinement est un TINA sanitaire…

Une pensée totalitaire, totalisante, me fait évidemment venir des références de dictatures. Soljénitsyne dit en jour de 1974, en substance que « le système totalitaire ne s’effondrerait que lorsque chaque fois que le régime prononcerait une ineptie de plus, il sortirait. Pour les premiers, c’était très dangereux, puis ils ouvriraient la voie ». Dans « Si c’est un homme » Primo Levi rappelle comment dans un hangar, il cherche à apaiser sa soif avec un glaçon collé à la fenêtre que le garde lui enlève. Levi demande « pourquoi ? » et le garde de répondre « ici, il n’y a pas de pourquoi ». Et bien il en va de la pensée de la fermeture comme de ces pensées totalisantes et plus le temps passe, plus l’état réel du pays se disloque sans qu’on ait le droit de le dire, plus je deviens fou…

« Sauver des vies » ne tient pas.

Le premier argument est : « on ferme pour sauver des vies ». C’est faux. Faux, re faux, archi faux. La Suisse a eu moins de morts en 2020 qu’en 2019 et la France aussi (j’ai pas retrouvé la source, mais elle est sur Statista). 33 000 morts du Covid, c’est terrible, mais 700 000 morts par an dans le pays, eu égard à l’âge des morts du Covid on voit bien qu’il n’y a pas de surmortalité, simplement des personnes fragiles qui meurent plus tôt. Est-ce que c’est choquant ? Oui. Oui, c’est choquant, plus nombreux que les seuls AVC, les accidents de la route (en baisse, grâce au confinement), mais c’est, hélas, le lot des épidémies que de frapper large. Encore avons-nous la chance qu’elle emporte moins de 1% de ceux qu’elle touche, contrairement à la peste, je dis ça puisqu’on nous propose la même solution… Non seulement on ne sauve pas de vies, mais on va causer des morts en pagaille : pas seulement des morts possibles, de stress, de désespoir ou de solitude (les psys ont leurs agendas remplis jusqu’en 2032) mais aussi d’incurie, d’opérations repoussées qui auraient vraiment dû avoir lieu, de dépistage de cancer. « Sauver des vies » ne tient pas.

on ne peut pas faire payer à des millions et millions de français, l’incurie de nos néolibéraux

Le second, qui s’entend plus, est : « nous n’étions pas prêts ». C’est vrai. Et il est également vrai qu’on ne peut pas recruter comme par magie des réanimateurs, ni en faire venir de l’étranger car tout le monde se coltine le virus. C’est vrai que ça va être très coton pour les soignant.es dans les mois à venir et que des applaudissements, une médaille et autres breloques ne sont pas à la hauteur. Il faut plutôt 3000 euros que 1500, et des augmentations massives jusqu’à ce que les renforts arrivent, bien sûr. Ils payent 30 ans d’abandon de l’hôpital, et que LR ferme sa gueule car c’était violent sous Bertrand/Castex, et que le PS ferme sa gueule, le plus gros plan social du quinquennat Hollande étant l’hôpital public… Mais on ne peut pas faire payer à des millions et millions de français, l’incurie de nos néolibéraux sur les soignant.es. Lesquel.les seront en première ligne pendant encore plusieurs mois d’une crise sanitaire.

Le dernier est de dire « on confine, mais on sauve l’économie quoi qu’il en coûte » c’est encore plus faux. Certes l’État assure le chômage partiel et a ainsi temporisé les dégâts. Mais d’abord ça n’empêche pas nombre de plans sociaux, de carnets de commande en déroute face à l’incertitude. Ensuite, il y a des « trous dans la raquette » et on n’en parle pas assez : 25% des français se sont appauvris cette année. 25%. 1 sur 4. Et parfois des cas dramatiques. Des gens qui ont faim, qui sont expulsés ou sur le point de l’être, qui ont perdu leur boulot et n’ont aucune chance d’en retrouver…

Cette lecture sociale ne prend pas 2% du temps d’antenne consacrée à regarder les courbes de contaminations.Il fut un temps où la gauche ne pensait qu’à eux. Ou sont-ils ?

avoir vu mes revenus fondre à 500 euros par mois pendant quatre mois … m’a mieux fait voir comment tout pouvait se retourner très vite

Les salarié.es, privé.es comme public, ne parlent pas assez de celles et ceux qui sont en train de tout perdre. Personnellement, je ne me plains pas, j’ai des filets, mais d’avoir vu mes revenus fondre à 500 euros par mois pendant quatre mois quand mes cotisations continuaient m’a mieux fait voir comment tout pouvait se retourner très vite. Et je ne pense qu’à eux.

A ces musiciennes bourrées de talents, mais privées de cachets qui doivent réduire réduire réduire leurs lendemains immobiliers. A cet autre musicien qui va devoir déménager, à cette traiteure qui va vendre son appartement faute d’autre roue de secours. A ces jeunes, toujours chez leurs parents, voire rentré.es chez leurs parents comme cette chanteuse aux Etats-Unis qui sait déjà que toutes ses dates sont annulées jusqu’en septembre 2021 ; à ce fleuriste de génie qui a perdu les défilés de mode et qui maintenant ne peux plus vendre le petit bouquet offert pour un dîner. Les restos qui ferment les uns après les autres, les échoppes, les boutiques. Il n’y aura pas de place pour tout le monde, à la reprise et j’enrage qu’on ne les laisse pas vivre…

Je pense à ces étudiant.es qui se lancent à distance, sans se faire d’ami.es, sans se faire de réseau, sans se façonner l’esprit critique. Je pense à ces séniors qu’on ne laisse plus aller au théâtre, leur dernier plaisir : regardez Louis la Brocante ou Hanouna…

il faut essayer de limiter au maximum la propagation, mais pas en empêchant les gens de vivre

Si Lénine était là il demanderait « que faire ? ». Et bien tout ouvrir, n’en déplaise aux tenants du TINA sanitaire qui ne peuvent pas donner de date de fin à leurs tours de vis, qui torturent des vies sans en sauver…. Ouvrir en faisant gaffe, évidemment. En ouvrant les fenêtres partout (pas au point de choper des pneumonies non plus, même au bureau, on bossera en doudoune). En se lavant les mains, en mettant des masques, évidemment. Évidemment qu’il faut essayer de limiter au maximum la propagation, mais pas en empêchant les gens de vivre. Que celles et ceux qui peuvent bosser à distance et rentrer avant 21h n’oublient pas qu’ils ne sont pas des rôles models inspirants comme on dit en start-up nation…

Je suis allé voir mes parents cet après-midi, je ne les ai pas embrassé ni me suis approché. C’est déjà suffisamment lourd, suffisamment non naturel, vient un moment où il faut cesser d’ajouter de la douleur à la douleur. C’est une crise sanitaire, sanitaire, acceptons la comme telle. Prenons nos précautions pour nous, soin des autres, mais cessons de penser que la réclusion est un projet de société. Ça ne l’était pas en mars, ça l’est moins que jamais. Il y a toujours une alternative, surtout à la politique de l’autruche.

Vincent EDIN

Photo PIXABAY