Un nouveau texte, à partager par l’Archipel des Sans-Voix – Flora de Negroni
Alice ou le chemin de la liberté
« Alice tu es une mère et une femme, mon enfant. Tu dois te préparer à enfanter. Tu es une part de la nature.«
Alice entendait ses mots vaguement, elle était enfant. Elle courait dans le jardin, elle se cachait dans son arbre, le grand chêne, elle y restait tout le jour, et elle rêvassait enroulée dans son arbre.
« Alice tu n’oublieras pas d’habiller ton nourrisson, ta poupée, lui changer les langes. Tu dois apprendre ton métier de mère. Car tu es mère d’ores et déjà.«
Alice avait emmené des livres dans son arbre. Elle lisait Peter pan, Cyrano de Bergerac, Les travailleurs de la mer, que des textes emplis de liberté, d’aventures. Elle volait en esprit sur ces chemins aventureux.
« Alice, comment appelleras-tu ton futur enfant ? Tu dois y penser. La femme que tu es déjà doit penser à la mère que tu es déjà.«
Alice avait 12 ans, elle était sportive et aventureuse, toujours, elle n’avait rien de docile, et les mots de sa mère lui semblaient un charabia inaudible. Comme elle avait raison.
Encore moi-même aujourd’hui je me demande ce que peuvent bien vouloir dire les mots, femme, féminité, instinct maternel. Je ne sais absolument pas. Et je ne saurai jamais.
Alice avait 15 ans, elle adorait partir en bateau sur les mers, d’ailleurs lorsqu’elle eut 18 ans, elle disparut. Ses parents la cherchèrent en vain, elle avait disparu.
Elle travaillait dans une petite librairie et elle faisait des études de philosophie. Elle était partie dans un pays assez lointain pour qu’on ne la retrouve pas. Un jour elle lut Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, et elle tomba sur cette phrase : « On ne naît pas femme, on le devient. » Et soudain tout s’éclaira, ce discours elle le comprenait, c’était le sien, cela parlait de sa liberté.
La philosophie parlait de liberté. Elle aimait la philosophie.
Elle écrivit des livres.
Et rencontra un jour un homme qui était libre, et qui aimait sa liberté à elle. Ils étaient dans un rapport exactement égalitaire. Ils parlaient de philosophie et ils faisaient de grands voyages aventureux.
Alice aimait toujours grimper dans les arbres. L’endroit qui l’avait sauvée des injonctions de sa mère, l’endroit où elle avait pu, surplombante, vivre sa liberté.
Le sourire libre d’Alice était le plus beau du monde.
La femme doit se battre pour ne pas être ramenée à la nature, qui est déterminée, elle doit se battre pour affirmer sa liberté.
Il faut s’harnacher à la liberté comme à sa plus fidèle amie.
« L’histoire mondiale est le progrès dans la conscience de la liberté – un progrès que nous aurons à connaître dans sa nécessité. » Hegel
Flora de Negroni