Quand lire est un combat
Depuis fin 2018 existe normalement dans tous les collèges, le quart d’heure de lecture. Les établissement doivent faire en sorte que tous les jours les collégiens et personnels consacrent 15 minutes à la lecture de ce qu’ils souhaitent, livre, magazine, BD. L’idée est de participer à créer du calme et une habitude de lecture.
Si l’idée me semble bonne, les modalités d’organisation ne sont pas sans effet sur la réussite du dispositif. Moi qui enseigne le Français ce n’est vraiment pas un problème que ce temps empiète sur mes cours et quand bien même si cela peut contribuer à développer le goût de la lecture pour ceux qui ne l’ont pas je considère cela plus important que mon programme. Néanmoins je comprends que les enseignants qui ont les classes une heure par semaine grogne un peu du temps pris sur leur discipline qui de plus, sont souvent, à tord, jugée comme secondaires.
Contractuelle et dernière arrivée, je n’ai pas de salle attitrée, j’en change toutes les demi-journées et je ne suis jamais dans une salle de Français. Donc, je suis bien embarrassée pour pallier aux oublis, fréquents, de documents à lire par les élèves. Parfois, je propose à ceux qui n’ont pas de livre ou qui préfèrent se faire lire une histoire de le faire moi-même. Ce n’est pas tout à fait l’esprit du dispositif mais au moins ils ne s’ennuient pas et à défaut de lire ils écoutent une histoire, ce qui, je crois, peut contribuer à finir par leur donner l’envie de lire eux-mêmes.
son secret « je fais semblant »
J’ai eu l’occasion de me rendre compte que ce diagnostique (fait par bien d’autres avant moi) n’était pas erroné. Pendant ce temps de lecture je peine à avoir du silence, du coup je me promène dans la classe et j’en profite pour demander à ceux qui le veulent bien ce qu’ils lisent pour m’informer de ce qui suscite leur intérêt et me mettre à la page. Voyant D. plongé dans un gros roman je lui dit que ce qu’il lit à l’air très intéressant et lui demande de quoi ça parle. Il me répond par un très grand sourire aimable, mais ne dit pas un mot en me tendant l’ouvrage. Je lis la 4ème couverture et commence à lui en parler, mais il ne dit toujours rien. Puis il me demande de m’approcher encore et me poivre son secret « je fais semblant ». Moi « tu fais semblant de lire depuis quand ? », « depuis le début » me répond-il rigolard, sans pour autant faire le malin, autrement dit depuis le début soit un an et demi pour cet élève de 5ème.
Je lui ai dit qu’il faisait ça avec talent parce que je ne m’étais rendu-compte de rien, ce qui l’a fait sourire. Je lui ai quand même proposé qu’il essaie autre chose et nous avons discuté de ce qu’il pourrait aimer lire. Chez lui il ne lit jamais, il n’y a aucun livre. A l’école il ruse, écoute ce que disent les autres et la lecture du prof. A la télé il regarde du basket, il est venu me dire à la fin de l’heure que cela pourrait l’intéresser de lire un roman où il est question de basket. Heureusement pour lui et moi, il y a quelqu’un – merci jean-Philippe Blondel – qui a écrit un petit roman où il est question de basket et ma libraire jeunesse préférée connaissait ce livre : Au rebond. J’ai hâte de lui apporter.
J’écris régulièrement dans le journal l’Humanité (tous les mardis) une chronique qui choisit de parler plutôt de celles et de ceux dont on parle peu, qui s’expriment peu… Je vis à Besançon, dans le Doubs, dans l’est de la France. J’enseigne dans un collège avec beaucoup d’élèves en grandes difficultés, dans une prison (une maison d’arrêt) et j’échange régulièrement avec un groupe de personnes dites « handicapées intellectuelles », je suis également en contact régulier avec des personnes migrantes ou des associations qui les accompagnent. C’est de mes rencontres avec eux dont je parle, mais je ne prétends pas m’exprimer à leur place. Je suis heureuse de les partager avec les lecteurs de ce journal. Barbara ROMAGNAN
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