À la fin de sa vie, mon père est allé aux urgences plus souvent qu’à son tour. Pour des vilaines chutes, des pertes de conscience et autres problèmes qui ne laissent pas le choix, ne vous permettent pas d’attendre sagement. D’ailleurs, il y était souvent emmené par une ambulance et pris en charge rapidement. Mais pas toujours, j’ai souvenir d’avoir attendu quelques heures debout, lui assis bien sûr, au milieu d’un chaos d’attente et de soignant.es épuisé.es. Et ceci dans le monde avant Covid qui les a essoré encore plus.
Je n’ai donc pas une passion pour les urgences, ne m’y rends pas « par confort » comme l’expliquent doctement les experts en économie de la santé qui nous expliquent que l’engorgement aux urgences est lié à « de la bobologie ». Et si je peux tout à fait me raisonner pour ne pas aller à l’hôpital quand je suis malade, mais les enfants, c’est différent. Ma fille à plus de 3 ans et n’y était allé qu’une fois à quelques mois, pour une otite qui lui faisait souffrir le martyr. Une seule fois.
Hier, elle a eu un pic de fièvre vertigineux en fin d’après-midi et une perte d’énergie folle. Elle tremblait, sa peau marbrait et elle était sans énergie aucune à tel point que je lui répétais « parle moi, j’appelle le docteur ». SOS médecins, pas dispo avant 24h, ce qui fait long le SOS. Urgences Médicales de Paris, idem mais à l’écoute du fait que sa peau marbre, me renvoie vers le SAMU. Le SAMU prend note, m’envoie un SMS grâce auquel un médecin la prend en visio. « Si elle est encore comme ça dans 1/4 d’heure, allez aux urgences ». Les tremblements se raréfient, la peau s’éclaircit mais elle est mal mal, j’envoie un SMS à sa pédiatre qui me rappelle dans la foulée, un vendredi à 19h30 en s’excusant de ne pas être au cabinet. Elle est tout sauf bilieuse, mais me confirme « c’est probablement un virus, mais allez aux urgences, tant pis ».
Puisqu’il n’y pas d’alternative, je me résigne à y aller. Elle dort bouillante dans le taxi, je me dis que je fais bien. L’infirmière qui nous prend vite en charge est compréhensive, mais voilà que ma fille retrouve un peu de vivacité et d’appétit. Le médecin, lui, n’a pas cette compréhension. Je vois à son regard noir comme un black-out qu’il m’accuse d’avoir cédé à la panique, je lui explique que le SAMU m’a dit de venir « c’est normal, ils paniquent dès qu’ils entendent pédiatrie ». Trente secondes après, le verdict tombe « angine virale, rien d’autre que du Doliprane. Bonne soirée ». J’ai pris une place inutile aux urgences, fait attendre encore un peu d’autres plus amoché.es, épuisé un peu plus des soignant.es déjà éreinté. En rentrant, pour ne pas me laisser avec trop de mauvaise conscience, ma fille a repeint mes fringues de vomi. Que j’ai l’impression d’avoir vécu un truc, quand même.
Paris a le record de densité médicale, de moyens financiers avec des centres médicaux, des hôpitaux, des maternités, dieu sait que nous ne sommes pas à plaindre. Et pourtant, aucun des systèmes d’urgences pour les plus fragiles n’a pu venir à domicile, me forçant à aller encombrer notre Sisyphe à jamais malheureux, les urgences. Je n’ose penser à la banalité de ce que j’ai fait hier pour celles et ceux qui vivent à 20 bornes de Brest, de Pontault Combault ou de Sarlat. Les Urgences sont sans doute le premier réflexe, puisqu’il n’y pas d’alternative après 30 ans de politiques de TINA.
Ce matin, je ne décolère pas et je ne comprends pas que près de 70% de français aient choisi des candidat.es proposant moins de service public, au premier tour de la présidentielle. Combien d’urgences chargées comme un péage un week-end de grandes vacances leur faudra-t-il ? Combien de job dating immondes à Versailles à Amiens pour recruter des profs parmi les recalé.es des concours, des déprimé.es ou lassé.es de leurs boulots avec des contrats précaires ou sous-payés qui auront la même charge de boulot que les autres profs ? Comme si prof n’était pas un métier, qu’on ne se formait pas tout au long de sa vie. Quelle expression de mépris pour ceux qui, naguère, occupaient « le plus beau métier du monde », renvoyé.es au rang de boulot à portée de tous, « puisque tous les parents l’ont fait pendant le Covid ». Mais qui sont-ils, ces 70% qui votent pour des hôpitaux plus surchargées, des classes avec des titulaires de BAFA et des tribunaux où les prochaines audiences disponibles sont après les JO de Paris ?
Je sais que l’antimétabole est une figure de style facile, mais il faut remplacer les colères aux urgences par une urgence de la colère et ça tombe bien, on peut l’exprimer dans les urnes dimanche prochain. Le seul bulletin pour plus de service public, c’est celui de la NUPES.
Vincent EDIN