Nouveau coup de gueule poéticolérique.
Coup de gueule ou alarme ou alerte ou avertissement ou juste remarque, conseil, analyse, avis : appelez ça comme vous voulez. Comme ça vous arrange pour m’écouter.

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Je pense qu’il se joue un truc important ces jours-ci et qu’on est peut-être en train de passer à côté.

Alors le « on » déjà, c’est nous, toi, moi, ma bulle Facebook, la tienne, tous les écolo-bobo-gauchos que nous sommes et qui nous inquiétons et agissons comme nous pouvons pour empêcher le merdier climatique qui nous arrive sur la tronche. Je vais nous appeler noblement le « mouvement climat ».
Et bien je pense que nous, le mouvement climat, on est en train de rater un truc majeur. Un truc du genre « tout à perdre, rien à gagner » ou toute autre formule de type ultimatum.
Vous avez sans doute entendu parler comme moi du mouvement « gilets jaunes » et des mobilisations du 17 novembre prochain. Et probablement, comme une part assez importante de ma bulle, vous ne soutenez pas cette initiative pour les plus mesurés, voire vous trouvez ça carrément débile pour les plus vénères. Et bien je pense que vous faites erreur. Et si vous vous en foutez c’est pas mieux. Vous vous plantez.
Et maintenant que je vous ai un peu énervé en vous disant que vous aviez tort alors qu’on a plutôt l’habitude que ça soit nous qui le disions aux autres, et que j’ai votre attention, je vais vous dire pourquoi.

En choisissant de ne pas nous mobiliser le 17 novembre, nous risquons de signer une fracture entre les « écolos » et le reste de la population.

Cette fracture existe déjà, on ne cesse de la pointer du doigt quand on évoque le problème de l’entre-soi militant, de la non-mixité du mouvement climat, de l’absence des minorités, etc. Elle existe et on va l’aggraver voire la rendre irréversible.
Alors certes, on peut trouver des choses à redire au pourquoi de cette mobilisation, on peut se dire que la cause n’est peut-être pas la plus urgente et on peut imaginer mille autres raisons d’être en colère. Surtout après avoir vu la Coupe du Monde remplir les rues aussi facilement et spontanément. Et surtout après avoir autant ramé pour rassembler 150.000 personnes pour les marches pour le climat.
150.000 c’est une victoire ! Mais en même temps, c’est pas beaucoup. C’est 0,22% de la population française. On est loin des 3,5% supposés critiques de Chenoweth ! Va falloir qu’on ramène des gens, beaucoup de gens. Et c’est dur. Alors va falloir qu’on fasse des alliances. Ça sonne peut-être très real-politik, mais dans un contexte d’urgence, ça me paraît pas complètement con de l’envisager.
Et puis, le monde qu’on essaie de faire advenir, on le construit pas que pour nous, si ? Il va bien falloir qu’à un moment on demande aux autres à quoi ressemble leur monde idéal, de quoi ils rêvent ? Qu’on prenne en compte leurs aspirations et aussi leurs contraintes ? (Et je parle pas des aspirations et des contraintes du PDG de Total, s’il vous plaît, jouez pas au plus con).
Et oui, là, tout de suite, leur aspiration, leur revendication nous paraît dérisoire, risible, hors de propos. Contraire au sens qu’on essaie d’insuffler. Mais la petitesse de l’augmentation du prix, l’apparente insignifiance du déclencheur n’est pas le signe du ridicule de la colère des gens, mais bien celui de leur épuisement, de leur ras-le-bol. Quand la goutte fait déborder le vase, l’imbécile regarde la goutte. Si cette pichenette est hyper violente pour eux, posons-nous des questions.
Ruffin explique bien l’intensité des réactions face à cette augmentation, objectivement assez faible, du prix des carburants : il s’agit d’un très violent sentiment d’injustice, fiscale notamment, cristallisé dans cette goutte de trop. Tandis que les gens normaux vont payer plus de taxes, les plus riches et les grandes entreprises continuent de s’en voir largement exonérées. L’incohérence est Total (lol).
L’appel d’Aurélien Barreau d’il y a quelques mois a eu beau faire forte impression, les gens n’abandonneront pas leur « confort » pour une mesure incohérente. Et je les comprends ! Je ne suis prête à sacrifier mon confort personnel que pour un objectif plein de sens. Non pas parce que je suis égoïste ou que je me fous du climat, mais parce que sinon c’est simplement du racket mal déguisé. En termes de mesures pour freiner le changement climatique, le gouvernement avait l’embarras du choix, même quand on réduit à la question des transports et même quand on restreint encore aux transports individuels.
Pourquoi par exemple ne pas interdire les publicités pour les voitures ? A la manière de l’interdiction des pubs pour le tabac dans les années 90. En bonus, ça permettrait, d’être cohérent avec la limitation à 80km/h, mesure elle aussi très impopulaire censée réduire la mortalité sur les routes. Ou taxer la viande, 1er émetteur de gaz à effet de serre, comme l’a suggéré David Chauvet ?
Bref, le gouvernement avait l’embarras du choix et il a choisi de passer celle-ci.

Cette mesure aggrave les inégalités réelles par un sentiment d’abandon dons nous deviendrons, malgré nous, complices.

Depuis le début de son mandat, Macron crache sur les plus pauvres en suçant les plus riches. Les premiers se révoltent : quoi de plus normal ? L’injustice est flagrante, nous la dénonçons nous aussi quotidiennement. Alors pourquoi diable ne prendrions-nous pas la rue avec eux samedi ? Est-ce qu’on va vraiment rester chez nous alors que les gens osent faire de la désobéissance civile, remettre le pouvoir en question ? Ils vont faire des blocages, qu’ils se préparent à tenir dans la durée ! C’est hyper courageux ! Et radical ! Et s’il ne suffit évidemment pas d’avoir des tactiques communes pour faire front commun, cette similarité incite quand même à faire le parallèle entre eux et nous !
Et ce qu’ils appellent de leur vœux n’est pas fondamentalement différent de ce que nous on souhaite. Une certaine Isabelle demandait dans une vidéo adressée à Macron du pouvoir de vivre. Est-ce que c’est pas magnifique comme expression ? Est-ce que c’est pas exactement pour ça qu’on se bat nous aussi ?
Notre surprise et notre exaspération devant l’intensité des réactions attestent d’une réalité à laquelle on est visiblement totalement étranger. Ce qui s’est joué et ce qui se joue se trouve très en dehors de notre bulle. C’est le signe d’une déconnexion. Qu’elle soit issue d’une sociologie particulière (écolo blanc, cultivé, diplômé, urbain, plutôt aisé) ou le fruit du hasard (ajoutez toutes les nuances qui vous plaisent), ce mouvement spontané nous a surpris. Il me semble qu’on devrait y être d’autant plus attentif qu’on y est étranger et d’autant plus à l’écoute qu’on ne le comprend pas.
Et est-ce que c’est pas ça l’intersectionnalité, le fameux concept mi-obscur mi-génial qui permettrait enfin de faire enfin converger toutes ces putains de luttes ? Se battre pour des causes qui ne nous touchent pas directement, qu’on ne comprend pas complètement mais qu’on pense légitimes parce qu’on fait confiance aux gens que ça concernent et qui en chient le plus ?
Alors qu’on exige des autres, de tous les autres, de rejoindre le mouvement climat, il me paraît à la fois difficile et dangereux de passer à côté de l’occasion qu’on a de faire un premier pas ce samedi. Nous en avons la possibilité, alors pourquoi pas ?
Et puis, on passe notre temps à chercher des occasions de parler à tout le monde et on bouderait celle-ci ? Wtf ? Par peur de faire de la récupération, de l’instrumentalisation ? Alors déjà, ne confondons pas tentative de convergence des luttes et récupération, les mobilisations n’ont pas de monopole (ce serait un comble). Et ensuite, est-ce que c’est ce qu’on dira à nos enfants ? On aurait pu faire quelque chose de ce moment mais par crainte d’avoir l’air de récupérer la mobilisation, on n’a rien fait. Déso.
Quelle légitimité aura-t-on auprès des gens si on ne les soutient pas samedi ? Si on se moque d’eux ? Si on les traite de beaufs, de débiles, d’ignorants qui n’ont rien compris aux vrais problèmes vraiment urgents ? D’autres fractures au sein d’une population ont abouti, dans les urnes, à des choix électoraux déplorables (Hongrie, USA, Brésil…). Se moquer, humilier et oublier une partie importante de la population sont-ce des erreurs tactiques que nous voulons vraiment commettre ?
Du haut de mon culot de trois pommes, j’aimerais que toutes les assos et ONG écolos, environnementales, alternatives, radicales, résistantes, engagées appellent à rejoindre les mobilisations du 17 novembre. Nous qui aimons les actions symboliques, ç’en serait une vraiment belle. Et au pire, ça nous fait un entraînement.

Quelques hypothèses

Si tout ce que je vous ai déjà dit ne vous a pas convaincu ou au moins ébranlé, j’y ajouterai 2 hypothèses de lecture des actions du gouvernement qui me semblent vraiment inquiétantes et à ne pas prendre à la légère.
La première est la classique mais toujours efficace stratégie de diviser pour mieux régner. Et si cette mesure ne servait qu’à nous diviser ? Qu’à provoquer cette fracture entre « écolos » et « gens normaux » ? Alors en boudant dans notre coin, persuadé d’avoir raison, on ne ferait que jouer le jeu du gouvernement. Et ainsi que je l’ai déjà évoqué, on creuserait l’écart ressenti entre les gens et les écolos et on grillerait notre légitimité/crédibilité pour un bon bout de temps.
La seconde, plus exotique, pourrait être d’y voir une stratégie pour mettre la fiscalité écologique hors-jeu en la rendant insupportable à l’opinion publique. Le gouvernement pourrait donc ne rien faire encore plus longtemps sous prétexte d’écouter le peuple.
Crédibles ou pas, ces hypothèses constituent des énormes risques où on a tout à perdre et rien à gagner. J’ai pas du tout envie de faire ce pari et de prendre ces risques.

Quelques idées

Et si malgré tout mon blabla, la mobilisation de samedi a toujours peu de sens pour vous, mettez-y le vôtre ! Il y a plein de choses à imaginer (comme le suggère Nantes révoltée) : pourquoi ne pas bloquer un lieu symboliquement important pour la cause qui vous anime ? La police sera fort occupée, profitons-en ! Ou bien soutenir la mobilisation mais avec des revendications différentes ! Et avec un accessoire ou une tenue différente ! Avec une des pancartes qu’on a utilisée pendant les 2 dernières marches pour sensibiliser les gens autour de nous ! Pour ma part, j’ai bien envie de descendre dans la rue, en combi blanche et masque d’Ende Gelände, avec ma pancarte sur les insectes écrasés disparus de nos parebrises !
Et puis on pourrait contribuer à leur lutte, à leur mobilisation ! Plutôt que de nous plaindre ou de nous moquer d’eux en disant qu’ils n’ont rien compris, identifions ce qui manque dans le discours selon nous, et complétons-le ! Apportons les nuances qu’on n’a pas lues, vues, entendues (les taxes carburants sont mises dans le même sac que de nombreux autres impôts alors que certains ont une réelle utilité sociale, par exemple). Amenons-y notre culture militante, nos références révolutionnaires, nos idées alternatives, nos expériences résistantes et constructives. Empêchons que le gouvernement les prennent pour des cons et ne leur fassent gober des mesures d’apaisement tout aussi pourries que celles qui ont suscité leur colère au début. Résistons à la récupération politique, ensemble, en ajoutant nos réflexions aux leurs, nos mécontentements et nos indignations aux leurs !
Ne faisons pas l’erreur de croire que ces différentes indignations s’opposent ! Ça c’est ce que le gouvernement et les élites et le capitalisme essaient de nous faire avaler à tout prix !
Nos indignations s’ajoutent les unes aux autres, elles se cumulent ! Elles se renforcent !

Sûrement que ça demandera de modifier un peu nos objectifs premiers, à tous. Mais je vous rappelle, on arrête pas de le répéter à tout bout de champ dans nos manifs à nous : on n’y arrivera qu’ensemble.

Antony Hamon Garrou énumérait mille autres raisons de s’indigner et d’aller dans la rue, allant jusqu’à dire qu’on en a suffisamment pour justifier de bloquer la planète ! Mais oui, absolument ! Faisons comme ça.

La Meuf avec les mots  @laMeufaveclesMots

 

 

 

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