Article paru le 5 avril 2018, repris du site de l’Observatoire des inégalités
Qu’est-ce qu’une inégalité ?
Les inégalités occupent le débat public, mais de quoi parle-t-on au juste ? Dans un texte extrait de notre ouvrage à paraitre, Comprendre les inégalités, Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, propose une définition. À débattre.
Ce texte est extrait de notre ouvrage Comprendre les inégalités, à paraître si notre opération de financement participatif est un succès. Nous avons besoin de votre soutien pour cela.
Définir les inégalités est une opération complexe et un exercice rarement pratiqué, ce qui est assez étonnant vu l’ampleur du débat sur ce sujet. Le dictionnaire nous dit qu’ « une inégalité est ce qui n’est pas égal ». Et qu’une égalité (aequalis en latin) est ce qui est uni, de même niveau. « Semblable en nature, en quantité, en qualité, en valeur », note le dictionnaire Larousse. On reste sur sa faim. À l’Observatoire des inégalités, nous proposons la définition suivante : on peut parler d’inégalités « quand une personne ou un groupe détient des ressources, exerce des pratiques ou a accès à des biens et services socialement hiérarchisés », sous-entendu « et qu’une partie des autres ne détient pas ». Que voulons-nous dire par là ? Cette définition mérite quelques explications.
D’abord, pour parler d’inégalités, il faut que l’accès aux biens, aux services ou aux pratiques puisse se classer, être valorisé de façon hiérarchique ; sinon, il ne s’agit plus d’inégalités, mais de différences. Une différence ne devient une « inégalité » que lorsque ce dont on parle peut être hiérarchisé. Prenons un exemple : posséder un chat ou un chien. D’accord, pour les adorateurs des chats (ou des chiens) ça fait une grande différence, mais ce n’est pas une « inégalité », sauf si le chat ou le chien a en soi une valeur spécifique dans la société dont on parle.
On peut décomposer la question des inégalités en deux : « des inégalités de quoi ? » et « des inégalités entre qui et qui ? ». « De quoi ? » : la question des inégalités, souvent réduite aux revenus, est bien plus large que cela. Elle s’étend de l’éducation à l’emploi, en passant par la santé et les loisirs, etc. Nous appellerons ces champs des « domaines ». Ces derniers permettent de décrire le fonctionnement de la vie en société. Selon ses valeurs, ses préoccupations, chacun accordera un intérêt plus ou moins grand à tel ou tel de ces domaines. À l’Observatoire des inégalités, nous en avons retenu cinq principaux : « revenus », « éducation », « emploi », « lien social et politique » et « conditions de vie ». À l’intérieur de chacun d’entre eux, on va trouver des sous-ensembles comme : « niveaux de vie », « salaires », « patrimoine », pour le domaine « revenus » par exemple. Vous retrouvez ces domaines en cliquant sur la liste des « thèmes » dans le menu principal de notre site.
« Entre qui et qui ? » : les inégalités s’observent entre des personnes que l’on peut comparer et donc regrouper, par exemple, par âge, par genre, par métier (les milieux sociaux), etc. Nous appelons ces groupes des « catégories de populations ». Là aussi, tous les regroupements sont possibles. À l’Observatoire des inégalités, nous avons retenu quatre grandes catégories qui se distinguent par le sexe, l’âge, le milieu social et l’origine ethno-culturelle (que nous avons baptisée « Français et étrangers » par souci de lisibilité [1]). Ce qui ne nous empêche pas de traiter, mais en tant que sous-ensembles, le handicap ou l’orientation sexuelle, par exemple.
Pour comprendre les inégalités, il faut croiser les domaines avec des catégories de populations pour répondre à la question : « des inégalités de quoi, entre qui et qui ? ». Le travail de l’Observatoire des inégalités consiste, depuis 2003, à croiser des « domaines » (la famille des « quoi ? ») et des « catégories de populations » (la famille des « qui ? »). Mais au fond, le croisement est encore plus complexe car il doit se faire de façon complète, entre toutes les dimensions (et pas seulement deux par deux). Ainsi, on peut observer le taux de chômage (un domaine) par âge (une catégorie de population), mais aussi par sexe ou catégorie sociale (deux autres catégories de populations).
Comprendre les inégalités, c’est saisir comment elles constituent un système d’ensemble où des facteurs s’entrecroisent. On est une femme, mais aussi d’un âge particulier, d’un certain milieu social et d’une certaine couleur de peau. Qui veut observer et comprendre les inégalités doit analyser les relations entre ces domaines et ces catégories de populations, et démêler leur poids respectif.
Ces choix de domaines et de catégories de populations influencent l’analyse des inégalités. L’important est de comprendre qu’il n’existe pas une lecture objective et simple des écarts. Choisir certains domaines et certaines catégories de populations est une construction qui repose sur des valeurs et sur une expérience personnelle de la société. On comprendra facilement, par exemple, qu’une personne handicapée soit en désaccord avec notre choix de ne pas considérer la catégorie « handicap » comme une catégorie de population principale. Autant le dire d’emblée : il s’agit de mettre ces valeurs sur la table, de les soumettre à la critique et de voir si elles résistent au débat [2]. Nos critères ont pour l’instant bien tenu : ils sont les mêmes depuis la création de l’Observatoire des inégalités, il y a quinze ans.
Photo / © adisa – Fotolia
[1] Tout en sachant que l’expression n’est pas très heureuse puisqu’il ne s’agit pas vraiment de nationalité… Les domaines et les catégories de populations retenus sont discutés plus longuement dans Comprendre les inégalités, à paraître.
[2] Voir par exemple la critique de Pierre Boisard de notre publication de 2007 : « Un ouvrage inégal : l’État des inégalités en France 2007 », 7 novembre 2006.
Si vous souhaitez réagir à cet article, n’hésitez pas à laisser un commentaire (tout en bas de cette page). Vous pouvez aussi lancer un débat sur un sujet de votre choix sur le Forum de ce journal.