Un article paru le 27 avril 2020 sur le site de l’Observatoire de inégalités
En prolongeant la prime actuelle destinée aux plus modestes et en l’étendant aux jeunes, notre pays a la possibilité de faire un pas en avant majeur dans la lutte contre la pauvreté. Encore faudrait-il en avoir la volonté politique.
Le point de vue de Noam Leandri et Louis Maurin, président et directeur de l’Observatoire des inégalités.
Source : © Observatoire des inégalités
La pandémie liée au Covid-19 a plongé le monde dans une crise économique et sociale sans précédent. En urgence, le gouvernement français a débloqué des dizaines de milliards d’euros. Il a annoncé une aide exceptionnelle de 150 euros pour les ménages les plus pauvres, à laquelle s’ajoutent 100 euros par enfant. Cette nouvelle prime ne doit pas demeurer exceptionnelle. Maintenue, elle permettrait d’éradiquer la grande pauvreté. Un choix politique décisif.
150 euros, ce n’est pas rien. Cela permet de mieux manger, de faire quelques achats supplémentaires. Cette prime porte temporairement les minima sociaux à un niveau très proche du montant du Revenu minimum unique (RMU) que nous avons proposé il y a quelques mois (« Pour la création d’un revenu minimum unique », Notes de l’Observatoire des inégalités n° 5, juillet 2019).
Ce qui semblait impossible hier est devenu possible. En juillet 2019, nous proposions de relever le RSA de 150 euros par mois et de l’élargir aux jeunes de moins de 25 ans en mettant en place un « revenu minimum unique », socle de base commun à tous. À l’époque, le gouvernement étudiait alors les contours d’un futur « revenu universel d’activité » fusionnant les minima sociaux et les allocations logement, sans dépense supplémentaire, ce qui revenait à prendre à certains pauvres pour donner à d’autres pauvres. Avec la prime qui vient d’être décidée, tout peut changer. Il ne manque plus que de la prolonger et de l’accorder aux jeunes de 18 à 25 ans pour en faire un véritable revenu minimum unique.
La montée massive du chômage dans les mois qui arrivent appelle un effort de solidarité nouveau. Les jeunes en particulier vont être dans la tourmente. Ils n’ont pas le droit aujourd’hui à un minimum social. Faute de « petits boulots », un grand nombre d’entre eux est déjà aujourd’hui confronté à d’énormes difficultés financières. L’immense hypocrisie française, qui consiste à permettre à un jeune de 18 ans de voter mais à lui refuser le droit à un minimum, doit enfin cesser. La crise actuelle en est l’occasion.
La prime exceptionnelle décidée par le gouvernement va dans le bon sens. Les mesures financières prises jusqu’ici laissaient de côté les chômeurs non indemnisés et les personnes sans ressources. Comprenons bien ce que veut dire notre proposition de maintenir ce supplément de revenu : la grande pauvreté serait alors éradiquée. Plus personne ne vivrait avec moins de 900 euros par mois pour un adulte, 1 350 euros pour un couple, soit la moitié du niveau de vie médian, c’est-à-dire le seuil de pauvreté que l’on appelle « à 50 % ». La mesure élèverait le niveau de vie de cinq millions de personnes. Elle marquerait l’histoire sociale de notre pays.
Notre proposition n’est pas une solution miracle. La pauvreté disparaitrait d’un point de vue statistique car aucune personne ne toucherait moins que le seuil de pauvreté. L’argent ainsi dépensé irait directement alimenter l’activité économique de proximité puisque le niveau d’épargne des plus démunis est quasiment nul. Mais l’argent ne règle pas tout, nous le savons bien. Les problèmes profonds de logement, d’emploi, de formation, de santé, d’éducation persisteront. La lutte contre la pauvreté appelle des politiques structurelles pour aider ceux qui en ont le plus besoin. Notre proposition est simplement une réponse concrète et efficace qui permettrait une vie moins indigne, notamment pour ces jeunes qui sont condamnés à quémander de l’argent ici ou là, aux petits boulots et au mal-logement.
Au fond, le projet de RMU vise à établir un minimum social unique quand aujourd’hui certains n’ont droit à rien et que les minima sociaux vont quasiment du simple au double. Le débat public devrait bien davantage porter sur le niveau de vie sous lequel la société estime que personne ne doit tomber que sur un hypothétique revenu dit « universel » versé à tous, riches ou pauvres. Encore davantage dans une phase où les plus pauvres risquent de l’être encore plus.
« Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier » a dit le président de la République le 13 avril dernier. Dont acte. Nous transmettons donc ce message à l’Élysée : le revenu minimum que nous proposons ne coûte pas « un pognon de dingue » mais sept milliards d’euros par an. Un fétu de paille dans l’ensemble de ce qui est décidé aujourd’hui. La France va dépenser exactement autant pour soutenir Air France. Il serait totalement incompréhensible qu’elle ne fasse pas au moins le même geste pour supprimer la pauvreté.
Par Noam Leandri et Louis Maurin, président et directeur de l’Observatoire des inégalités.