La chronique de … Fabienne DESSEUX – (182) Marche ou crève

Pour ceux qui me suivent, vous savez que j’ai bossé vingt ans dans le service public. Et qui dit public dit humain. Des êtres en général ayant deux bras, deux jambes mais pas toujours beaucoup d’humanité. Car si l’on reproche aux gouvernants, aux institutions de nous malmener, chaque individu possède sa part d’égoïsme.

Celle qui fait – peut-être – qu’on vit dans un monde bien pourri.
Celui du marche ou crève.

A l’époque, je bossais à l’accueil d’un centre des impôts. Ce jour-là, y’avait du monde. La salle était bondée et l’agacement à fleur de peau. Et alors que je tentais de dépatouiller un gars de ses problèmes de taxe, j’ai entendu crier depuis l’escalier qui montait à notre service… Je me précipite et découvre une femme assez âgée, étendue sur le sol. Elle a glissé, elle saigne à la tête. Elle voudrait se relever mais je lui conseille de rester tranquille, de ne pas bouger. Accroupie à ses côtés, ma main sur son épaule, je tente de la rassurer.

Les secours, appelés dans l’intervalle, n’ont pas tardé. Dix minutes tout au plus. Intervention, brancard, je les laisse agir et remonte vers mon poste. Arrivée à mon pupitre, je retrouve mon usager et son dossier. Il me toise… puis me dit : « Et alors, vous allez enfin pouvoir vous occuper de mes problèmes ? » En réponse, je lève mes mains tachées du sang de la veille dame, lui jetant au passage : « J’arrive… le temps de me laver les mains ».

J’ai réglé les tracas du bonhomme. Une semaine après, on apprenait le décès de la veille dame.

Alors certes, ce n’est pas de la faute du type. Ni de la mienne.
Mais lui, ben il a continué à marcher pendant qu’elle crevait.
Ce qu’on fait tous en détournant notre regard de la misère ou du malheur des autres.

Une belle façon, à terme, de tous y laisser notre peau.

(dessin du trop mort Chimulus Dessinateur . Tiré du livre « Chimulus – Dessins malfaisants » aux Editions Iconovox)