Je n’ai pas grandi dans un foyer débordant d’affection.
Certains enfants, je le sais, s’endorment chaque soir entourés de câlins, bercés par des mots doux. Moi, j’ai compris très tôt que l’affection, ça se mérite… ou pire, qu’elle n’est pas toujours au rendez-vous.
Ce genre d’absence laisse des marques silencieuses, mais profondes.
Juste pour dire …
Je ne dis pas ça pour accuser, ni pour me poser en victime. Juste pour dire ce que j’ai vu, ce que j’ai lu chez d’autres, et ce que j’ai vécu. Avec le temps, à travers mes lectures, mes échanges, et surtout mon propre chemin, j’ai compris à quel point le manque d’amour dans l’enfance façonne l’adulte qu’on devient — dans sa tête, dans son cœur, dans ses gestes.
Je suis de ceux qui veulent tout gérer seuls. Demander de l’aide me coûte. Je suis mal à l’aise quand on essaie de prendre soin de moi. En apparence, je donne l’image de quelqu’un de fort, d’autonome. Solide.
Mais cette indépendance, si on gratte un peu, elle cache une peur : celle d’être déçu, abandonné, ou de trop compter sur quelqu’un pour ensuite le regretter. Alors je préfère me débrouiller seul, même si parfois, c’est lourd à porter.
Ce comportement n’est pas un choix conscient. C’est un mécanisme de survie.
Quand l’affection est conditionnelle ou absente, on apprend à ne compter que sur soi.
J’ai aussi longtemps eu du mal à accepter les compliments ou les gestes de gentillesse. Vous savez, ce réflexe de détourner un compliment avec une blague, ou de répondre par un haussement d’épaules ? Ce n’était pas de la modestie. C’était du malaise.
Je n’ai pas grandi dans un environnement où l’on disait facilement : « je suis fier de toi » ou « tu as bien fait ». Mes parents étaient présents à leur manière. Mais les mots doux ou les encouragements ne faisaient pas partie de leur langage.
L’affection n’était ni exprimée, ni valorisée — parfois même, elle semblait déplacée.
Alors j’ai appris à me méfier de la gentillesse.
Comme si chaque marque d’attention venait avec un prix à payer.
Quand quelqu’un me faisait un compliment, je répondais souvent : « Oh, c’est rien ».
Parce qu’au fond, je ne pensais pas le mériter.
Il m’a fallu du temps pour désapprendre ça. Pour réussir à dire simplement « merci », sans malaise.
Et surtout… pour le ressentir. Pour croire que je pouvais être digne d’affection, sans avoir à la gagner.
J’ai aussi eu du mal avec l’intimité émotionnelle. Ce n’est pas que je ne la voulais pas — une part de moi en avait besoin, en rêvait même. Mais une autre part, plus silencieuse, la redoutait.
… la proximité devient un terrain inconnu. Parfois menaçant.
Quand on n’a pas grandi avec des gestes tendres, des mots rassurants ou un soutien émotionnel constant, on n’a pas vraiment de modèle. Alors la proximité devient un terrain inconnu. Parfois menaçant.
On m’a souvent dit que j’étais distant, difficile à cerner.
Mais ce n’était pas de la froideur. C’était de la protection.
Me rapprocher, c’était m’exposer. Et prendre le risque d’être blessé.
Même quand, dans ma tête, je voulais créer du lien, mon corps restait en alerte.
Mon système nerveux ne savait pas comment faire confiance.
Comme si je devais réapprendre ce que d’autres ont reçu dès le départ : la sécurité d’être aimé, sans condition.
J’ai aussi remarqué une chose troublante dans mon parcours — et chez d’autres : cette attirance inconsciente pour les personnes émotionnellement indisponibles.
C’est dur à admettre, mais quelque part, ça me semblait familier.
J’ai grandi avec un amour qu’il fallait mériter, chercher, gagner.
Alors adulte, je me suis parfois retrouvé à courir après des relations où l’autre était distant, critique ou instable… En espérant que cette fois, je serais « assez » pour qu’on reste.
Ce n’était pas rationnel. C’était un vieux réflexe. Rejouer la scène, encore et encore, en espérant que le dénouement serait différent.
cette course est épuisante
Mais cette course est épuisante. Et elle ne mène nulle part — sinon à raviver la même blessure. Mon perfectionnisme vient du même endroit.
Chez moi, l’attention n’était pas gratuite. Elle arrivait quand je réussissais, quand je faisais « bien », quand je ne dérangeais pas. Alors j’ai appris à viser haut, à ne jamais relâcher la pression. Comme si chaque erreur risquait de me faire perdre l’amour des autres.
Vouloir bien faire, c’est sain. Mais croire que c’est la seule façon d’être aimé… c’est lourd.
Et ça finit par user.
J’ai aussi longtemps eu du mal à donner la priorité à mes propres besoins. Refuser une invitation, m’offrir du repos, faire quelque chose juste pour moi… venait souvent avec une pointe de culpabilité.
Je me suis souvent donné sans compter. Parce que j’étais convaincu que c’était ça, être quelqu’un de « bien ».
Mais dès que je ralentissais, que je me choisissais, j’avais l’impression d’être égoïste ou de déranger.
Avec le recul, je comprends pourquoi.
Enfant, on m’a appris — parfois subtilement — que mes besoins passaient après ceux des autres. Qu’il fallait être sage. Serviable. Discret. Alors j’ai appris à m’effacer. Et cette habitude, je l’ai gardée.
Même adulte, me prioriser reste un apprentissage.
Ce n’est pas encore naturel. Il y a cette voix qui chuchote que je n’en ai pas le droit.
Mais aujourd’hui, je la reconnais. Et j’essaie de l’apaiser.
Je passe aussi beaucoup de temps à réfléchir à la façon dont les autres me perçoivent.
Après une conversation, je rejoue tout dans ma tête :
« Est-ce que j’ai dit un truc de travers ? »
« Est-ce qu’ils m’en veulent ? »
« Peut-être que j’ai trop parlé… ou pas assez. »
C’est épuisant.
Mais c’est devenu un réflexe.
Quand l’amour dépend du comportement, on apprend à tout surveiller. Chaque mot. Chaque geste.
Comme si, en étant irréprochable, on pouvait éviter d’être rejeté.
Ce n’est pas que je n’aime pas les gens. Au contraire.
Mais souvent, après une interaction, je suis vidé. Pas à cause des autres. À cause de ce qu’il se passe dans ma tête, après.
J’ai appris très tôt à gérer mes émotions seul.
À les contenir. À sourire même quand tout bouillonnait à l’intérieur.
on finit par ne plus laisser entrer personne
C’est ce qu’on appelle l’autonomie émotionnelle.
Et oui, elle m’a sauvé plus d’une fois.
Mais elle a un prix : celui de la solitude.
Parce qu’à force de ne jamais rien montrer, on finit par ne plus laisser entrer personne. Même ceux qui voudraient sincèrement être là.
Aujourd’hui, je réalise que parfois, le vrai courage, ce n’est pas de tout porter seul.
C’est d’oser dire : « j’ai mal » sans s’excuser.
C’est de baisser la garde, un peu, pour qu’un lien vrai puisse exister.
J’aspire à une connexion profonde, même si je prétends parfois le contraire. Je fais souvent comme si tout allait bien. Je souris. Je gère. Mais au fond, j’ai ce besoin silencieux d’un lien vrai, d’un regard qui va au-delà des apparences.
Je n’ai pas toujours reçu l’affection dont j’avais besoin.
Alors aujourd’hui, même si je ne le dis pas à voix haute, j’aimerais qu’on me demande comment je vais — sincèrement. J’aimerais des câlins qui durent, des mots qui réconfortent, des échanges qui touchent.
Je ne cherche pas à combler un vide n’importe comment.
Je veux du vrai. Du doux. Du profond. Et tu sais quoi ? Il n’y a aucune honte à ça.
Ce besoin ne me rend pas faible. Il me rend humain. Il montre que, malgré tout, mon cœur continue d’aimer… et d’espérer.
On m’a souvent dit que j’étais très empathique. Je le suis, oui. Mais ce que peu de gens savent, c’est d’où ça vient.
J’ai grandi avec un manque d’affection. Et ce vide m’a appris à voir les autres autrement.
À percevoir les silences, les regards, les inconforts que personne ne dit.
À écouter. À ressentir. À comprendre.
Cette empathie ne vient pas des livres. Elle vient de la vie.
Et même si elle m’a parfois épuisé, elle m’a aussi offert une chose rare : la capacité de voir l’autre dans ce qu’il vit profondément.
Mais il m’a fallu du temps pour comprendre que je méritais aussi cette douceur. Que la compassion que je donne, je dois apprendre à me la donner aussi.
Je suis encore en chemin. Mais j’ai compris que manquer d’amour ne fait pas de moi quelqu’un de « trop ». Ni de « compliqué ». Ça fait juste de moi quelqu’un qui a appris à survivre sans ce qui est essentiel.
Et aujourd’hui … je choisis d’honorer mes besoins.
Et aujourd’hui, je choisis autre chose.
Je choisis d’honorer mes besoins.
De me donner ce que j’ai longtemps attendu.
Alors je me pose cette question — et peut-être que toi aussi, tu peux te la poser : « À quoi ressemblerait ma vie si je m’offrais enfin l’affection que j’attends depuis toujours ?«
Parce qu’il n’est jamais trop tard pour se sentir aimé.
Et jamais trop tard pour apprendre à se tenir la main.
Michel Catoire Fariello – 4 Août 2025

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