Linda a découvert l’Archipel des Sans-Voix quelques jours avant son université d’automne des 5 & 6 octobre 2019. Elle a décidé de « monter à Paris » depuis Marseille pour y participer et pour assister aux « Causeries Publiques » du samedi après-midi. Elle raconte …


Plus palpitante que la dernière aventure de Bruce Willis

Plus réaliste que la « meilleure » des émissions de téléréalité

Plus émouvante que la dernière palme d’or à Cannes

Plus stimulante qu’une cure de vitamine C

… je suis heureuse de pouvoir dire « J’y étais » !

Où ça?

A la deuxième université d’automne de l’association « l’Archipel des Sans-Voix », à Paris, le week-end du 5 octobre dernier.  En prenant l’ascenseur ce samedi-là, pour monter au 5ème étage de l’Ecole Normale Sociale qui, pour 2 journées, offrait un toit aux Sans-Voix, je ne savais pas vraiment à quoi j’allais assister. Après un contact par téléphone et quelques échanges par mail avec le président de l’association, à peine quelques jours plus tôt, c’était mon premier contact réel avec les membres et participants de cette jeune association. Je ne connaissais donc personne.

… il y a malheureusement bien plus de « sans-oreilles » que de « Sans-Voix » en France.

Non, la salle n’était pas comble, elle ne bruissait pas d’un public innombrable. Les nombreuses chaises vides étaient une illustration bien trop flagrante qu’il y a malheureusement bien plus de « sans-oreilles » que de « sans-voix » en France. Mais quelles voix ! Quelles voix que celles de ces personnes d’âges, de régions et d’univers personnels et professionnels si divers, réunies pour témoigner de parcours et de situations à la fois différentes et proches.

A peine posée sur ma chaise, j’ai été spontanément, immédiatement captivée. Des témoignages sidérants de deux « bénéficiaires » du RSA venus d’Isère, en passant par les mésaventures socio-abracadabrantesques poétiques d’une Clio 5 portes bretonne, la vie en mode « Koh Lanta » assumée d’une famille d’Alsace,  la résistance désespérée de deux agricultrices de Nantes et Laval , le parcours sidérant et bouleversant d’une toute jeune femme Sdf en région parisienne ou la réflexion désarmante d’un vosgien sur les femmes et les hommes, comment ne pas être emportée par ces vies plus intenses que des thrillers, plus poignantes et impressionnantes que les meilleurs best-sellers ?

… la « vraie vie » s’était invitée ce jour-là, …

Car la « vraie vie » s’était invitée ce jour-là, dans cette salle simple et claire et à écouter ces récits teintés d’indignation, d’angoisse, de poésie, de désespoir, de dignité, de courage, de révolte, d’humour, de générosité, d’imagination, de colère, de rêves, je me suis demandée pourquoi les gens allaient encore au cinéma ou achetaient encore des romans.

Peut-être justement,  dans la sécurité et le confort apportés par la distance que met entre nous et le réel une œuvre artistique, jouée par des acteurs ou racontée par des auteurs, pour découvrir parfois certaines de ces histoires de vies le plus souvent ignorées, tenues bien cachées sous les tapis épais de la république des invisibles ? Presque toujours ignorées par qui a une vie à peu près « normale », sauf, bien sûr, aux moments où les médias mettent en scène, coup de buzz organisé ou irruption imprévue du réel, quelques drames, les plus « photogéniques », de cette « France d’en bas » sur laquelle ceux « d’en haut » ne se penchent qu’aux heures électorales. Comme si le reste du temps, ils souffraient de vertige, une sorte de mal des sommets, des sommets de l’indifférence, de la cupidité, de l’égoïsme où se cantonnent ceux dont le cœur s’est rétréci à l’extrême, entraînant d’étranges conséquences pathologiques pour nos élites autoproclamées :  aveuglement, surdité, déni cruel et absurde du réel.

Pierre-Louis, Alain, Anne, Claire, Agathe, Karine, Laurence, Olivier, il me suffit d’écrire vos prénoms pour éprouver la même émotion que samedi dernier. Je vous vois comme des héros, réellement, les seuls qui vaillent, car vous ne fabriquez pas artificiellement vos épreuves pour vous mettre en valeur ou gagner des millions, comme certains sportifs casse-cou célébrés dans notre société du spectacle à tout prix. Vos épreuves à vous, elles vous sont imposées par la vie, par ces fameux « accidents de la vie » pour lesquels il n’y a pas de sens interdit, de limite de vitesse et bien peu de radars préventifs.  Je vous remercie de m’avoir fait visiter un peu de vos vies, avec simplicité, gentillesse et générosité. Certaines de vos paroles ont réveillé, surprise et choc, plusieurs souvenirs de ma propre vie, moments difficiles  dont la mémoire, entre déni et protection, s’était bien profondément enfouie sous les tapis de mon propre oubli.

Pierre-Louis et Alain, guides hélas bien trop expérimentés, merci de m’avoir fait découvrir un pays inouï, trop méconnu du grand public qui, fort et fier de son ignorance, n’hésite pas à juger si stupidement, souvent avec mépris et sans aucune compassion, les valeureux détenteurs d’un visa pour RSAland. Car, tels des Orphées de la paperasse et des règlementations sociales, vous franchissez régulièrement le fleuve des enfers administratifs, pour en ramener, non pas une Eurydice rescapée, mais le droit de poursuivre encore un peu votre combat quotidien pour vivre, juste ça, vivre. Votre compréhension fine de ce système tortueux et absurde jusqu’à la cruauté m’a bouleversée tant on perçoit  qu’elle est le fruit d’années de batailles à la fois minuscules et titanesques en milieu hostile, contre les – parfois inconscients et involontaires – bourreaux des bureaux d’aide sociale de notre pays.

Anne, merci à toi pour ce voyage en Clio vieillissante et un poil déglinguée sur les côtes bretonnes et dans ton imagination. Sisyphe moderne et modeste,  avec une pugnacité et une douceur exemplaires, tu montes et remontes inlassablement tes dossiers de demandes d’aides sur les pentes vertigineuses d’une administration kafkaïenne dont les agents, de moins en moins formés et disponibles, entretiennent, peut-être à l’insu de leur plein gré pour nombre d’entre eux, l’inhumanité croissante. Avec talent, avec humour, tu as mis en scène pour nous, ce samedi d’octobre, une autre belle tranche de vie : « Alice au pays des aides sociales », dessinant le portrait paradoxal de ces gendarmes cherchant tant bien que mal comment tu pourrais financer le contrôle technique et les réparations de ton carrosse trop âgé, tout en étant obligés de t’infliger une amende. Tant de gens semblent ainsi être piégés entre le désir sincère d’aider et la soumission à des lois et des règlementations absurdes !

Claire, merci pour cette visite au royaume de la précarité et de la débrouillardise dignes. Avec tes deux petits « atypiques », comme tu le dis joliment, tu restes coquette,  vive et pleine  d’humour, malgré ton combat héroïque quotidien contre le frigo et les placards des Danaïdes qui restent éternellement à remplir. Alors, tu fais un pied de nez au consumérisme imbécile qui ruine nos âmes autant que notre planète et tu inventes d’autres chemins de vie, sur lesquels tes enfants apprendront bien d’autres choses , et combien plus vitales, que dégommer le énième alien sur la dernière console de jeux dernier cri. Tu as ravivé en moi le souvenir de certaines périodes difficiles de ma propre vie, un temps où mes vêtements devenaient prodigieusement légers à force d’usure, où chaque jour était rempli de comptes défaits et refaits sans fin, un temps d’inventivité et de débrouille sans répit pour que mon propre garçon « atypique » trouve de quoi nourrir sa sensibilité, son imaginaire, ses intérêts, ses passions et pas seulement son estomac. Arrivée ces dernières années, grâce à l’aide de quelques amis merveilleux, de « l’autre côté » de cette ligne qui sépare une vie vraiment précaire d’une vie seulement modeste, j’ai envie de te faire coucou, de t’envoyer un petit signe de fraternité et d’espoir supplémentaire, à toi qui n’en manque pas, sans doute, tant tu sembles courageuse et positive.

Agathe, merci de m’avoir involontairement rappelé, par ton témoignage,  que moi aussi j’avais vécu dans la rue entre 18 et 20 ans, même si j’avais habillé cette période des beaux habits multicolores de l’épopée hippie.  Comment  ai-je pu oublier à ce point combien si souvent j’avais eu faim et froid et peur, combien je m’étais sentie si souvent seule, perdue, désespérée, malgré les instants de joie, de liberté que peut aussi procurer cette vie. Cela m’a permis de me sentir encore plus proche de toi, de ton parcours cassés et si courageux. Agathe, il n’est pas envisageable qu’une personne comme toi n’ait pas d’autre perspective que le bitume. Il est incompréhensible, inacceptable que ton chien magnifique puisse être pour toi à la fois source d’affection et de sécurité dans la rue et un obstacle insurmontable dans les lieux d’accueil et d’aide. En repensant à ton histoire, la rage revient. Car j’ai encore à l’oreille les « bons vœux » de notre président pour  l’année 2018 : « Je veux que nous puissions apporter un toit à toutes celles et ceux qui sont aujourd’hui sans-abri. […] Nous continuerons donc l’effort indispensable pour réussir à pleinement respecter l’engagement que j’ai moi-même pris devant vous ». 4 mois plus tard, l’effort du  gouvernement en faveur des centres d’hébergement et de réinsertion sociale a surtout consisté à lancer un plan d’économie de 57 millions d’euros en quatre ans sur l’accueil des sans-abri.

Karine, Laurence,  j’ai pleuré avec vous, bouleversée par ce que vous nous avez raconté de vos vies d’agricultrices amoureuses de la terre et de leur métier qui est tellement plus qu’un métier. Voilà ce que fait ce système délirant ! Il transforme un travail merveilleux, celui qui permet de nourrir les gens, celui qui est à la source de toute vie humaine, en une activité ambigüe et de plus en plus mal perçue par les citadins, à juste titre en grande partie mais pas seulement. Après des décennies de transformation de la terre en usine de production industrielle, après des décennies  d’empoisonnement des sols et des récoltes par les pesticides, promu par l’industrie agro-alimentaire et les pouvoirs publics, la poignée de paysans et paysannes qui tentent encore vaillamment de travailler sainement, dans le respect de la nature et des consommateurs , souffre terriblement de conditions de vie, de survie plutôt, incroyablement difficiles auxquelles s’ajoute une image publique si négative et décourageante du monde agricole. Alors, chaque jour, des tragédies endeuillent nos campagnes. Pas une journée sans qu’une ou plusieurs exploitation ne soient fermées. Pas un jour sans qu’un ou deux agriculteurs ne mettent fin à leurs jours,  après des années de résistance héroïque pourtant. Mais la lutte est tellement inégale. Nous avons tous, cependant, voulu vous rendre un peu d’espoir, Karine, Laurence, en disant combien les modes de consommation étaient en train de changer, que de plus en plus de gens et de structures, comme les cantines scolaires par exemple, se tournaient vers leurs petits paysans locaux et souvent bio ou en agriculture raisonnée.  Nous rêvons tous que les Elles de la Terre puissent continuer de battre, longtemps, dans un environnement redevenu plus sain où  travailler la terre ne serait plus source d’anxiété, d’épuisement  et de mort mais de fierté, de sérénité.  Où se nourrir de ce que la terre peut nous donner grâce à vous ne serait plus source de méfiance, de peur mais de santé, de plaisir, de gratitude.

Olivier. Cette journée s’est terminée sur les « chemins d’Olivier », ce cheminement pensif sur les femmes, les hommes, de la différence à l’indifférence, ces chemins où nous avons tous pu nous égarer parfois, au long de nos vies. Etre femme. Etre homme. Etre femmes et hommes en relation. Des questions sans début ni fin, dans lesquelles tu nous as emmenés en promenade, errant d’un point d’interrogation à un autre. Parfois, il semblait que la question était déjà en elle-même une sorte de réponse.  Chaque réponse pouvant générer aussi une nouvelle question.  C’était comme une ronde, triste et grave aussi, car hommes, femmes, il y a la joie, l’amour, l’intimité, le partage, la vie. Mais aussi l’incompréhension, la frustration, la haine, la violence, la mort. Femme, homme, oui, des différences, qu’il nous faut peut-être comprendre, accepter, apprécier pour y retrouver les 2 faces d’une même humanité ?

… un tel voyage en humanité que je me sentais à la fois moi-même … et un peu vous tous.

A mon arrivée ce samedi 5 octobre, 14h, au 5ème étage du 2 rue de Torcy, je ne connaissais personne. Quand les échanges se sont achevés, en fin de journée, j’avais fait un tel voyage en humanité que je me sentais à la fois moi-même, bien plus intensément que d’habitude et un peu vous tous.

Linda (13 – Marseille)


 

Ce récit personnel de la 2e Université d’Automne des Sans-Voix est complété par la publication des « Regards croisés » où d’autres participants, dont certains évoqués par Linda, expriment leurs impressions et ressentis. Publié le samedi 19/10.

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2 Commentaires

  1. Merci Linda d’avoir rejointe l’Archipel, et de témoigner ainsi de cet évènement. A chacun de relayer autour de lui par tous les moyens cet article (et le suivant), car « porter la voix » c’est aussi cela : RELAYER … (Christian WODLI – Président de l’ADSV)

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