Monsieur le président, madame Macron,
Si je m’adresse à vous, ce n’est pas pour me plaindre – je suis du genre battante – mais pour vous faire, si ce n’est partager, du moins toucher du doigt la situation de pas mal de gens que certains accusent à tort de ne vouloir ni travailler ni se reconvertir.

Journaliste de métier – métier ô combien sinistré depuis 2008-2010 -, j’ai subi un licenciement économique de mon poste de rédactrice en chef en 2010. Je ne me suis pas affolée au départ, pensant qu’avec mes compétences, ma volonté et mon tempérament, je retrouverais facilement, si ce n’est un poste fixe immédiat, du moins des piges suffisantes en « attendant » » mieux. J’avais alors 46 ans et j’étais donc contrainte de quitter un poste de rédactrice en chef. Je le quittais contrainte mais confiante pour l’avenir, rassérénée aussi par mes collègues et relations professionnelles qui m’assuraient que je n’aurais aucun mal à retrouver un emploi.

Mais là commença une longue descente aux enfers.

On m’expliqua souvent, ou plutôt on me démontra par un silence assourdissant, que j’avais passé l’âge. Pour l’emploi salarié, on est vieux à 42 ans, réalité cachée mais bien vivante. Pourquoi ? Parce que les employeurs partent du principe que mariage plus vieux, mariage malheureux puisque le postulant va forcément demander un salaire plus élevé qu’un jeune, eu égard à son expérience. FAUX. Nombre de mes anciens collègues de la presse – je cite la presse parce que je la connais un peu mais c’est valable un peu partout – sont prêts à travailler pour 50% de moins, voire moins mais les portes se ferment parce que les idées reçues ont la vie dure, les apparats et les apparences aussi dans notre beau pays.

Qu’à cela ne tienne ! Le travail ne voulait pas de moi, j’allais aller à lui. Je fis pendant quelques années des remplacements longs en tant que professeur des écoles contractuel, des missions difficiles quand on n’a aucune formation dans ce domaine, et je continuais à piger pour la presse psy… Puis, d’un coup, plus de missions de prof. Ne me laissant jamais abattre, je me fis un statut d’autoentrepreneur et me lançai dans le community management, métier nouveau auquel je me formai sur le tas. Deux ans et demi de collaboration avec une agence qui me donnait les missions… Et puis, entre décembre 2016 et décembre 2017, la perte progressive de 4 clients pour l’agence et donc pour moi et l’arrêt brutal des rentrées d’argent sans aucune indemnisation. L’autoentreprise, c’est tout benef pour le client, même quand il devient dans les faits votre employeur principal. Pas vu, pas pris, bye bye, sans rancune, on ne se doit rien !

Ha, j’oubliais : en plus de tout ça, j’ai pris un CDI un poste d’hôtesse d’accueil que j’occupe 25 heures par semaine pour la modique somme de 850 euros nets par mois, et ce depuis 2 ans et demi. Je pointe le matin, et si j’ai ne serait-ce qu’une minute de retard, ma super prime d’assiduité de 45 euros bruts mensuels saute ! Faire pointer les gens : une autre forme d’esclavagisme moderne. Je passe sous silence la lutte ou plutôt le lâcher-prise qu’il faut psychologiquement mettre en route pour ne jamais perdre son estime de soi et garder confiance en l’avenir.

Un emmerdement n’arrivant jamais seul parce que ces choses-là volent en escadrille comme aimait à le dire Jacques Chirac, mon deuxième mari, amour de ma vie, a choisi de ne pas être solidaire au moment où je dévissais. Il a levé les voiles, me laissant à l’éducation de ma fille, à mes tortures financières, à mon cœur brisé.

Je continue à chercher à m’en sortir, avec aujourd’hui 1 336 euros de loyer pour 52 mètres carré à Boulogne, où nous vivons ma fille de 22 ans et moi. J’ai 1 850 euros de frais fixes mensuels – hors nourriture, vêtements, pharmacie et j’en passe – pour 1 481 euros mensuels de revenus. Changer d’appartement ? Impossible puisque pour me réfugier dans un studio à 800 euros, il faudrait que je gagne en net, en CDI, 2 400 euros… Et comme je suis une bonne maman, ma fille a la chambre et moi le canapé, un convertible qui ne s’ouvre même plus. Mais je ne me plains pas. D’autres sont SDF et j’ai la chance, parce que je le vis, de mieux comprendre que n’importe qui peut se retrouver dans une telle situation, du jour au lendemain, avec plus rien. Ce qui me sauve encore pour l’instant ? Un bon tempérament, positif, et surtout la solidarité familiale et amicale. En parlant de solidarité familiale, les parents sont souvent obligés, par les temps qui courent et jusqu’à un âge avancé, de venir en aide à leurs enfants. L’augmentation de la CSG coûte à mon père de 81 ans 1 000 euros de contribution supplémentaire par an. C’est injuste aussi puisqu’il m’aide par ailleurs… Jusqu’à quand ? Je ne sais pas. Il ne pourra pas éternellement. J’ai honte, moi qui suis et ai toujours été indépendante, d’avoir besoin de lui financièrement, à mon âge !

Allez, une petite histoire pour la route, une parmi tant d’autres sur le parcours du combattant du chercheur d’emploi (il faudrait peut-être rebaptiser celui qui cherche, d’ailleurs. Il demande, mais surtout, il cherche !) : en novembre dernier, je postule pour un CDI de « rédacteur des débats ». L’entreprise me fait faire des premiers tests à distance qui se passent très bien. Ils me font ensuite passer une journée de tests en temps réel qui se passent très bien aussi. Je suis donc convoquée à un entretien trois jours après. Au terme de cet entretien, je reçois un mail pour m’annoncer mon embauche. Nous sommes en février. Après plusieurs mails me confirmant cette embauche, je ne travaille toujours pas pour cette entreprise qui « ne remet pas la qualité de ma candidature ni mon embauche en question mais attend les résultats commerciaux du premier trimestre ». SIC !

Alors voyez-vous, monsieur le Président et madame Macron, mon histoire de déclassée sociale, qui est celle de tant d’autres, je suis en train de la tricoter avec les mots -c’est tout le pouvoir qu’il me reste – pour en faire un bouquin qui j’espère permettra à tous ceux qui ne sont pas des feignasses, veulent travailler, ont souvent du talent et du dévouement à revendre mais dont personne ne veut, de continuer à croire en eux.

Et pour l’anecdote, enthousiasmée par En Marche et inscrite à ce mouvement, j’avais postulé à la députation. Là non plus, pas de réponse.

Monsieur le Président, madame Macron, je vous fais une lettre que vous lirez peut-être, si vous avez le temps… C’est une autre sorte de guerre, mais une guerre quand même, à laquelle beaucoup comme moi sont bien obligés de participer même s’ils ne veulent pas la faire.

Je vous présente mes salutations respectueuses et me permets de vous souhaiter encore et encore du courage pour la suite de votre mandat.

Anne-Claire Thérizols

  

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