Une tribune de Jean-Luc Ginder économiste
Il est des discours dont le poids pèse bien au-delà des mots. Celui prononcé par le Premier ministre François Bayrou, le 15 juillet 2025, appartient à cette catégorie. Solennel, martial, presque professoral, il annonce un tournant brutal de la politique budgétaire française. Sous prétexte de « sauver la France de la dette », c’est en réalité un appauvrissement généralisé de la République sociale qui se dessine. Ce que certains appellent « plan de redressement », nous devons, avec lucidité, le nommer pour ce qu’il est : une austérité imposée aux plus fragiles, dans une société déjà fracturée.
Que l’on se le dise : nul ne nie la nécessité de redresser les comptes publics. Mais encore faut-il s’interroger sur le prix à payer, sur qui le paiera, et surtout à quoi ressemblera la France après ce redressement. Le Premier ministre a invoqué le spectre de la Grèce. Mais au lieu d’en tirer les leçons, il semble vouloir en répéter les erreurs : réduire la dépense publique au moment même où la population a besoin de soutien, de stabilité, de souffle.
La France est déjà sur un fil. Près de 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, soit moins de 1 300 euros par mois. Et plus on descend dans l’échelle des revenus, plus la moindre dépense devient un risque. Aujourd’hui, une panne de voiture, un accident, un licenciement, un divorce peuvent faire basculer un foyer dans la spirale de la précarité.
quand l’État se retire, c’est l’exclusion, la solitude, l’injustice qui s’installent
À cela, que répond le gouvernement ? Le gel. L’austérité. Et la conviction que « l’État paie trop depuis trop longtemps ». Mais cet État, que l’on accuse d’être généreux à l’excès, c’est celui qui soigne, éduque, héberge, soutient. Lui retirer ses moyens, c’est accepter qu’il se retire du terrain. Et quand l’État se retire, ce ne sont pas les marchés qui s’installent : c’est l’exclusion, la solitude, l’injustice.
Le plan gouvernemental franchit un seuil symbolique en annonçant la suppression de deux jours fériés, dont le 8 mai, jour de la victoire contre le nazisme. Cette décision dépasse l’économie : elle abîme la mémoire nationale. Elle efface un repère commun au nom de la productivité, comme si les heures travaillées valaient davantage que le souvenir de la liberté reconquise.
L’effort « équitable » annoncé par le gouvernement est un mot creux s’il ne s’accompagne pas de mesures réelles de redistribution. Pendant que l’on coupe dans le barème de l’impôt sur le revenu, on gèle les prestations sociales. Où est la justice ? Où est l’équité ?
Ce que nous vivons n’est pas une fatalité. La dette est un choix politique. On peut choisir d’y répondre par l’investissement, par la relance ciblée, par une réforme fiscale ambitieuse. Mais on ne peut pas faire croire que tout cela se résume à « travailler plus », « consommer moins » et « oublier plus vite ».
La vraie grandeur d’une nation ne se mesure pas à la seule discipline de son budget. Elle se mesure à sa capacité à prendre soin des siens, à protéger les faibles, à garantir la dignité. Ce n’est pas en rabotant les droits sociaux que la République se redressera. C’est en retrouvant le sens profond de son contrat : liberté, égalité, fraternité. Et justice.
Jean-Luc GINDER


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