Un article publié le 11/12/2017 sur focusrh.com

C’est sur le thème du vieillissement au travail que s’ouvrait le colloque organisé par le Conseil d’Orientation des Retraites (COR), le 30 novembre dernier. L’occasion pour les intervenants de revenir sur la notion de « vieillissement actif ».

Au-delà de la nécessité économique d’équilibrer le système des retraites, maintenir les seniors en emploi implique une réflexion plus globale sur les conditions de travail et la politique de santé. Mais surtout, il s’agit d’amorcer un changement de paradigme tant dans les représentations que les pratiques managériales.

« La jeunesse n’est qu’un mot » disait le sociologue Pierre Bourdieu. La formule vaut tout au autant pour l’autre bout de la ligne avec la difficulté d’y placer un curseur. Pour les entreprises, le senior est une personne âgée de 45 ans. Pour Pôle Emploi, il est de 50 ans et, pour les organismes tels que la DARES, il est de 55 ans. C’est dire le flou dans sa définition même.

La France en dessous de la moyenne européenne

S’il fut un temps où la séniorité était gratifiée comme symbole d’expertise, de savoir et de maturité, désormais, elle semble exclue des valeurs sociétales plus que jamais versées dans le jeunisme, comme des cabinets de recrutement dans nombre de secteurs d’activité. Une tendance qui se manifeste par les chiffres. En France, le taux emploi des seniors à 49,8 % est l’un des plus faibles d’Europe, en deçà de la moyenne européenne à 55,3, loin derrière la Suède, la Norvège, l’Allemagne, le Danemark et les Pays Bas. Si ce taux a néanmoins progressé de 15 points depuis 2003, cette progression est le fait du repli des politiques de retraite anticipée et du report de l’âge de la retraite.

En revanche, le taux d’emploi opère un réel décrochage à compter de 60 ans. Globalement, d’après les chiffres de la DARES, en 2015, 52,6 % des personnes âgées de 55 à 64 ans sont actives en France : 48,7 % ont un emploi avec un recours massif au temps partiel choisi ou subi et 3,9 % sont sans emploi. Mais les seniors restent plus durablement au chômage. 63,5 % des chômeurs âgés de 55 à 64 ans le sont depuis au moins un an. Autrement dit, lorsque la perte d’emploi touche cette population en fin de carrière, la reprise sur le marché du travail s’avère plus complexe.

Enfin, un chiffre mérite d’être souligné : l’âge moyen de sortie définitive de l’activité – emploi ou chômage – est de 59,4 ans (le plus faible d’Europe), alors que l’âge d’ouverture des droits à la retraite est de 62 ans. Ce différentiel pour ne pas dire cette distorsion entre ces deux âges explique le phénomène de précarisation des fins de carrière. Il semblerait que là aussi, ce soit une spécificité française, les politiques publiques ayant fait le choix d’axer leurs efforts sur les jeunes, contrairement aux Pays du Nord.

Un emploi de qualité pour bien vieillir

Les critères qui permettent de définir la qualité de l’emploi tiennent en l’application d’indices tels qu’une moindre exposition aux risques physiques, aux postures pénibles et à une forte intensité du travail, un management de qualité, un soutien social, une autonomie, des perspectives de carrière, la sécurité de l’emploi et un certain niveau de revenu (liste non exhaustive).

Des études pointent aussi du doigt la coopération, l’existence de marge de manœuvre et la possibilité d’apprendre au quotidien comme conditions de qualité du travail.

Ce qui nous surprend à la lecture de l’enquête européenne sur les conditions de travail détaillée lors du colloque, c’est qu’à la question « Vous sentez-vous capable de faire votre travail ou un travail similaire après 60 ans ? » la France en disant non, arrive en tête du classement européen, tout juste derrière la Slovénie. Une réponse imputable, semble-t-il, au type de postes, le niveau de postes « sous pression » étant plus élevé que la moyenne européenne, tout comme ceux exposés à des risques physiques ou de la violence à l’origine de problèmes de santé.

Ce phénomène signe le retour du french paradoxe formulé par Dominique Méda ou du moins en illustre une facette. Les Français, tous âges confondus, demeurent ainsi ceux qui accordent le plus de valeur au travail, mais ceux qui veulent aussi voir sa place diminuer dans leur vie. C’est à l’aune de ces déclarations que l’on mesure la nécessité de prendre en compte l’équilibre vie privée vie professionnelle dans un contexte d’individualisation de la société. Car cela participe aussi du bien vieillir au travail.

Quid du « vieillissement actif » ?

Parmi les indicateurs qui soutiennent la définition du vieillissement actif, on retiendra aussi la participation sociale qui consiste à s’occuper des proches et s’impliquer dans du bénévolat. Une vision holiste s’impose de fait doublée d’une approche développementale. « Parler vieillissement, c’est parler développement et transformation. Le vieillissement n’est pas daté à un moment donné, mais il suit un processus tout au long de la vie durant laquelle, les compétences s’enrichissent, l’intelligence progresse et les pratiques changent. S’il peut s’appuyer sur une qualité de vie au travail, ce développement devient alors un processus cumulatif et innovatif », indique Catherine Delgoulet, maître de conférence HDR Laboratoire Adaptations Travail  à l’université Paris-Descartes. De quoi faire sauter les verrous des stéréotypes sociaux.

C’est désormais à un changement de paradigme que l’Europe appelle de ses voeux. « Elle nous pousse défendre une vision positive contre celle qui a dominé jusqu’ici et qui visait à faire du vieillissement un coût et un poids pour la société. En clair, il s’agit d’optimiser le potentiel de ressources que représente une vie plus longue plutôt que de rester sur une pure gestion des individus segmentés par l’âge », souligne Anne-Marie Guillemard, professeur de sociologie. Il en va de la solidarité entre les générations, de la synergie des âges. Au lieu de cela, sur le terrain de l’emploi en France, force est de constater que la tendance est plutôt à la ségrégation.

Nathalie Raut

L’archipel des Sans-Voix porte un projet dénommé « Génération 5.0 » qui a pour but de remettre au gouvernement en févier 2018 un manifeste émanant de personnes directement concernées, de propositions concrètes pour lutter contre le chômage des « seniors » et la précarisation inéluctable qui en est la conséquence, ceci dans le cadre de la préparation de la nouvelle loi sur l’indemnisation du chômage prévue pour l’été 2018. Une fois le manifeste remis au Ministère du travail, il s’agira au printemps 2018 de diffuser et faire connaitre ce manifeste et ses propositions auprès de tous les parlementaires.

Si vous êtes concerné ou si cette cause vous motive, rejoignez « Génération 5.0 » pour participer à nos réunions et travaux. Contactez-nous par mail : generation5.0@adsv.fr ou par tel : 07 67 313 304