Un collectif citoyen répond au Maire de Strasbourg après le dépôt de plainte de la Mairie suite à l’occupation d’un bâtiment appartenant à la ville (l’ancien siège de la Brasserie GRUBER, 91 route des Romains à Koenigshoffen). Le collectif souhaite en faire un lieu d’accueil pour les personnes sans abris et un lie de rencontre pour toutes les organisations qui interviennent dans le domaine de la grande précarité.
Monsieur Le Maire de Strasbourg,
Madame l’Adjointe au Maire de Strasbourg aux solidarités et aux affaires sociales,
Nous sommes un collectif informel regroupant des associations et personnes de multiples horizons, excédées par la misère totale causée par les politiques d’« accueil et de solidarité » – pardon, d’exclusion et de répression – et les politiques de la ville de l’État français et des collectivités locales.
Le nombre croissant de personnes en situation d’extrême précarité sur le territoire de la Ville de Strasbourg est préoccupant. Plus de 1 500 personnes, de nationalité française, ressortissants de l’UE ou immigrés sous différents statuts (« dublinés », clandestins, réfugiés, etc.), de tous âges (nouveaux-nés compris), sont aujourd’hui laissées pour compte par des services sociaux saturés par les demandes. Dans le même temps, la Ville se permet des investissements indécents (extension du tram en priorité à la Robertsau) en regard à ces situations d’urgence, qui, on le sait, risquent de s’amplifier au gré du dérèglement climatique et, en particulier, des périodes de canicules à répétition. Il y aurait encore fort à dire sur la crise du logement et la gentrification…
Strasbourg, « capitale européenne des droits de l’homme » (critère initial pour nombre d’immigrés eux-mêmes), se targue aujourd’hui de la démarche de « ville hospitalière », et pourtant tolère que des centaines de personnes vivent dans des conditions indignes, sinon inhumaines voire criminelles. Sur tout le territoire, des campements de fortune, sans accès direct à l’eau et à l’électricité, se montent, se maintiennent ou se font régulièrement démanteler (privant à chaque fois ces personnes du peu de leur matériel de survie). Les maraudes citoyennes qui s’organisent constatent chaque jour, avec dépit, la détresse de populations en manque de tout et en toutes saisons. Face à l’urgence quotidienne de tant de personnes, face au sentiment d’impuissance, suite à des mois voire des années de secours humanitaire ; considérant que nous avons, via plusieurs associations, régulièrement alerté vos services tout en proposant en vain des dizaines de solutions concrètes et « innovantes » ; nous avons décidé d’occuper un bâtiment de la Ville, sis au 91 route des Romains à Koenigshoffen, sans effraction (constaté par la police municipale, contrairement à l’affirmation de la Mairie), pour rassembler tout cela. Nous avons d’ores et déjà commencé, depuis le 22 juillet 2019, à installer plusieurs actions : hébergement d’urgence, dispensaire, école populaire, cuisine, sanitaires, bagagerie, etc. Le bâtiment en a la capacité et l’équipement puisque plusieurs appartements, dotés de sanitaires et de climatisation fonctionnelle, y étaient vacants depuis des années.
Notre démarche est aussi sérieuse que spontanée et nous souhaitons inscrire cette occupation dans la durée, pour permettre à un maximum de personnes de retrouver de l’humanité, hors des circuits habituels, de se coordonner et partager des locaux ainsi que des services et outils élémentaires. Le tout dans le respect de ce bâtiment idéal : dès les premiers instants, l’entretien ménager a été une priorité collective.
La Ville de Strasbourg aurait apparemment pour projet de réhabiliter le bâtiment que nous occupons pour y ouvrir une « maison des services » dont les modalités et les délais (≥ 2 ans selon nos sources) restent encore flous, mais qui pourrait s’avérer relativement proche de notre intention. Si bien que, connaissant le temps des collectivités, nous n’avons pas hésité à prendre les devants et à largement nous rassembler à cette occasion.
Nous avons pourtant appris, sans trop de surprise toutefois, qu’une plainte avait été déposée par la Ville suite aux premiers articles de presse. Nous en appelons au bon sens et à l’humanité de votre administration pour lever cette plainte et empêcher les expulsions et démantèlements insensés en général. Nous vous appelons aussi à mettre en place tout ce qui est possible pour soutenir la solidarité réelle qui meut une partie importante de la population strasbourgeoise, y compris dans les rangs de votre propre administration.
Le Conseil Municipal a délibéré le 25 mars 2019 en faveur de l’édition d’un « Manifeste pour un accueil digne des personnes migrantes vulnérables ». Nous avons été interpellé.e.s par le décalage entre les « principes » et « engagements » abstraits, quoique sensés, qui y figurent et la réalité que nous constatons ou vivons au quotidien. Vous avez là une occasion de démontrer à la population qu’au-delà de la communication, votre collectivité est effectivement prête à accepter les conséquences de la situation actuelle et que les citoyen.ne.s s’emparent d’un lieu public pour y auto- organiser les conditions d’une émancipation populaire et loger des sans-abris de différents campements.
En espérant que cette lettre saura vous réconcilier avec notre action,
Le collectif de l’Hôtel de la Rue
P.S. : nous rappelons aux autorités communales qu’en vertu des lois d’Empire du 30 mai 1908 sur le domicile de secours et loi d’exécution du 8 novembre 1909, toujours en vigueur, les communes doivent « apporter un secours aux personnes indigentes […] de plus de seize ans […], un abri, l’entretien indispensable, les soins et prescriptions nécessaires en cas de maladie ainsi que des funérailles décentes ».
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