Nous sommes dans l’un de ces moments historiques où il faut s’efforcer de parler clair et bref. D’où les cinq thèses qui suivent :

1* – Depuis le 9 juin, 21h et quelques, les bavardages sur le sens à donner au « coup élyséen » se sont multipliés sans que l’une des interprétations possibles soit simplement indiquée : c’est en (in)digne « fondé de pouvoir du capital » que Macron a choisi la dissolution dans le but, délibéré, d’ouvrir les portes du pouvoir à l’extrême droite. Depuis des années que nous vivons, non plus en démocratie, mais en démocrature, nous savons bien que la caste dirigeante a besoin d’un État toujours plus fort, autoritaire, violent pour faire perdurer un capitalisme productiviste sans justice et sans limite. Voilà l’essentiel à retenir de la « surprise du chef », le reste n’étant le plus souvent que simagrées, écrans de fumée, égarements volontaires ou involontaires des esprits dans le commentaire de la politicaillerie.

2* – Il importe également de faire preuve de lucidité sur le sens à donner au vote RN. Il n’est plus, loin s’en faut, un vote sanction, uniquement protestataire, que certains s’entêtent toujours à invoquer. Sous les effets dévastateurs des politiques néolibérales, à cause des calculs politiciens de Mitterrand à Macron, plus récemment attisée par les médias de type bolloréen, l’extrême droite n’a cessé depuis 40 ans d’infuser dans la société française au point qu’elle a – pour l’instant ! – gagné la bataille idéologique, culturelle. Grâce, entre autres, à ces trois leviers-clés : la (fausse) promesse sociale, le goût de l’Ordre et du chef, l’étranger bouc-émissaire. Le tryptique s’applique d’ailleurs à bien d’autres pays.

On ne convainc pas « contre », … , on doit toujours s’efforcer de réunir « pour », …

3* – C’est dire que, quoi qu’il advienne au soir du 7 juillet, la reconquête des mentalités perdues va être rude, longue. Elle exigera d’abord bien autre chose que ces slogans d’opposition au FN qui ont servi de « prêt à (ne pas) penser » à tant de collectifs, manifs ou colloques. On ne convainc pas « contre », c’est-à-dire en demeurant sur le terrain de l’adversaire, on doit toujours s’efforcer de réunir « pour », en inventant un présent, un avenir souhaitables, désirables, atteignables. De même il ne suffira pas d’aligner « les propositions concrètes », d’allonger « les programmes-catalogues » censés tenir lieu de politique. La politique, même sous le capitalisme, n’est pas un inventaire de propriété : elle est un projet de vie et de société, un récit général, où se mêlent forcément raison et passion. Ces remarques valent aussi, soit dit en passant, pour l’action syndicale.

4* – Il faut, quelles que soient les critiques qu’on puisse lui adresser, se féliciter de la création du Nouveau Front Populaire. C’était, dans le moment historique, la seule option possible et lui avoir donné naissance en 4 jours (+ les nuits !) représente une incontestable prouesse qui devrait rester dans l’Histoire. Si le NFP ne remet pas en question les structures de la société capitaliste, il vise à rééquilibrer le rapport de force Capital-Travail, et il affiche une prise en compte ô combien urgente et salutaire de la triple question sociale, écologique et démocratique. Il constitue donc, au delà du fameux « barraaaaaaage » (1), un choix alternatif au projet de l’extrême droite et, cerise sur le gâteau, il devrait « en même temps » accélérer l’effondrement du bloc macroniste.

5* – Il importe enfin de se préparer à des temps qui pourraient être bouillonnants. Quelle que soit l’issue des élections, les motifs de révolte et de mobilisation sont là depuis longtemps et ils vont continuer à se manifester, avec sans doute plus de profondeur et d’acuité qu’auparavant du fait même de cette énième « crise ». Faire échec au chantage des « grands argentiers » (UE, marchés financiers, etc.), s’opposer aux réformes antisociales, xénophobes et liberticides de l’extrême droite et consorts, batailler pour une application pleine et entière du programme du NFP, s’attaquer aux structures même du capitalisme productiviste en révolutionnant le sens du « progrès », les formes de la propriété, les modes de décision et de gestion publics et privés, voilà, entre autres, de quoi s’engager et nourrir d’autres moments historiques. Pour aider au rapport de force, pour reprendre nos vies en main et décider ensemble des moyens et des fins de l’action collective, il serait d’ailleurs bien venu de créer enfin la CGG, la Caisse de grève générale…(2)

Par Ariane Randeau et Pierre Bitoun

Notes

(1) Voir ou revoir à ce sujet l’hilarant « Moment Meurice » d’avril 2022 repris ici : https://www.lantivol.com/2022/06/les-breves-du-satirique-juin-2022.html

(2) On pourrait, en l’espèce, s’inspirer de l’exemple de la « Caisse de Solidarité », qui existe depuis 2016 et peut être étendu, généralisé. Voir https://www.caisse-solidarite.fr/


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