Chapitre 1
En tant qu’enfant, vivre dix ans de guerres, d’actes terroristes, de barbarie et de morts, change a jamais le regard que l’on porte sur le monde. Cela modifie la perception des choses. Renforcé d’une part, affaiblie de l’autre, on ne sort jamais indemne d’une décennie de vie sur une terre étrangère qui souffre et fait souffrir.
A force de vivre avec la mort à ses côtés, on en oublie parfois, d’être. Et on se demande souvent le pourquoi de notre existence. On ressort avec une réponse insatisfaisante dans le temps et on espère, un jour, avoir l’occasion de mieux comprendre…
C’est ainsi, qu’on est peut-être plus regardant quant à Dieu et à ses « plans ». Ou plus exactement, à l’interprétation que se font les hommes sur leurs croyances respectives. Chacun pense qu’il détient une vérité ultime, que « Son » Dieu est le vrai, le plus fort, le plus juste. Au nom de cette suprématie, les peuples se déchirent, s’anéantissent et commentent devant l’Eternel, un péché d’orgueil.
Quand on est juive baptisée chrétienne et qu’on a aussi bien été au couvent qu’en cours de judaïsme, on comprend plus volontiers le pourquoi des croisades ou de la peur de l’autre. In fine, on grandit, on apprend et on décide d’être rien des deux, tout en préservant, le meilleur de tout. Car dans toutes les lectures religieuses, dans toute la liturgie chrétienne, juive ou musulmane, la seule chose à retenir, c’est que le temps passé, n’est plus. Et qu’ainsi, les guerres, le sang, la revanche et la haine n’étaient pas le dessein de Dieu, mais de l’homme pour survivre.
Aussi, on fait le choix d’imaginer un monde meilleur. Un univers fondé sur une foi plus pondérée, moins empreinte de malveillance et de rituels dépassés. On conserve les préceptes qui semblent faire de l’humain, un humain. On annihile tout ce qui se rapporte au mal et tentant d’être toujours juste, bon et indulgent. Avec le temps, cette philosophie de vie apporte une singulière divergence. Puisque même blessée, trahie, meurtrie, on pardonne. Car tel est le fondement même, de la mansuétude.
En revenant à la civilisation, la jeune-fille saisie rapidement que malheureusement, le monde en guerre ou le monde dit pacifique, c’est la même chose. Ce ne sont pas les mêmes batailles, mais le but ultime reste inchangé ; la conquête. Pour survivre, elle se servit des armes et de sa philosophie de vie acquise dans le monde en guerre, pour ne pas se faire bouffer dans le monde pacifique. Et ce n’est pas les prédateurs qui manquaient dans le monde « nouveau ». Les armes étaient les bienvenues ! L’intelligence étant son arme la plus puissante, suivi du discernement, de l’altruisme et d’une armurerie d’espoir…
Avec ce stock d’armes, la jeune adulte se retrouva sans trop le vouloir à patienter dans un bunker. Elle attendait un allié en qui elle aurait confiance, avec qui elle pourrait inventer une alliance salutaire et apaisante. Et un jour elle découvrit horrifié, que cela faisait dix-ans qu’elle tenait le siège, sans renforts ! Sans âme qui vive, sans alliés ni espoir d’en trouver un. L’arsenal s’amenuisant avec le temps, surtout en termes d’espoir.
Elle se mit alors à avoir de la sympathie pour la légende de Joseph d’Arimathie. L’homme qui protège depuis la mort de Jésus, le Saint Graal… Millénaire le bonhomme, mais seul et abandonné de tous.
Aussi, avec toute l’artillerie d’intelligence, de discernement et d’altruisme, elle se décida de sortir du fort. Histoire de chercher de l’espoir. Car comme dirait l’autre : sans espoir, il n’y a pas de vie. L’inverse est tout aussi vrai d’ailleurs.
La jeune-femme n’était plus, la femme l’avait remplacé. Non que la vigueur manquait, bien au contraire. Mais arrivé à un certain âge, j’étais épuisée d’espérer et je me suis dit que le temps était venu de donner un coup de pouce à la chance.
J’avais donné dans les relations aussi durables que pénibles. Finalement, à un certain point de ma vie, j’avais décidé de ne plus côtoyer d’hommes. Cela faisait dix ans que je vivais vertueusement au sens strict du terme.
Cela peut sembler long, mais à vrai dire, après les douze premiers mois, on vit très bien sans. Je m’étais promis une chose, un serment qui devait être inviolable ; la prochaine fois que j’embrasserai quelqu’un, cela ne serait pas insignifiant. La prochaine fois que je coucherai avec un homme, cela aurait, pour la première fois en presque trente ans, un vrai sens !
Non que je cherchais à me caser, à me marier ou à fonder un foyer. Rien de tout ça, même si tout restait open. Je voulais seulement vivre autre chose. C’était plutôt primaire, je ne souhaitais ne plus sentir chez l’autre qu’une simple attirance physique à mon égard. Je voulais être désirée dans mon ensemble et non en partie.
Ma relation avec les hommes a toujours été complexe. Ils m’adoraient mais par excès d’appétence. Il est lassant de constater que c’était ma plastie qu’ils recherchaient et non autre chose. Surtout pour une femme comme moi, une personne qui ne faisait pas cas de son apparence, une femme qui n’a nullement joué de son physique.
Ce rapport équivoque avec la gent masculine, je l’octroie dans les grandes lignes, à mes lectures. Parmi mes auteurs favoris, on pouvait trouver un peu de tout. A à peine dix ans, je dévorais du Edgar Allan Poe, à douze, je lisais en cachette Le Moine de Matthew Gregory Lewis. Dans cet ouvrage peu connu en France, il est question des transgressions et perversions du moine Ambrosio. Dans un premier temps, il transgresse ses vœux de chasteté, la narration prend alors, peu à peu, des effets de plus en plus pervers. J’étais captivée par ce livre. Ce style littéraire dit Gothique a été à partir de ce livre, mon préféré. J’ai ensuite découvert dans le désordre ; Le Fanu, Anaïs Nin et Henry Miller, le marquis de Sade, Kierkegaard, Maturin, Yeats, Keats et tant d’autres.
Etant formatée comme je l’étais à force de lectures « païennes », la vie réelle avait du mal à me persuader de ses charmes à certains niveaux de l’existence. Non, je ne me projetais pas dans un livre ou adaptation cinématographique, mais je cherchais le frisson ressenti à la lecture de pages blanches submergées de ferveur. Et je m’arrangeais pour inlassablement vivre dans l’exaltation, non dans l’insuffisance de sensations.
C’est peut-être cette notion d’absolu qui m’aura valu d’être perçue comme je l’étais des hommes. C’est un peu comme dans l’histoire de Peter Pan. Moi, j’étais comparable à la fée Clochette. Mais les hommes épousaient invariablement, la garce de Wendy ! Wendy, avec qui au demeurant, à terme, ces hommes étaient déçus et insatisfaits. Ils côtoyaient alors Clochette pour la passion que cette dernière savait susciter, pour l’érotisme qu’elle prodiguait, pour la douce folie qu’elle savait si bien entretenir dans leurs vies vides et monotones. Mais Clochette ne fut jamais la promise de Peter Pan, non. Peter cherchait le quotidien réconfortant et blafard d’une vie ordinaire. Tandis que Clochette, ne pouvait lui transmettre que ce qu’elle possédait ; une vague éternelle de poussière de fée.
Aussi loin que je me souvienne de moi, on me dit différente. J’ai en effet, ce don ou cette malédiction nommé communément « l’extravagance ». Je suis, je suppose, car à vrai dire je ne m’en rends pas vraiment compte, une originale, une curieuse créature. Cette singularité m’a occasionné des moments de grâce comme de disgrâce. Etant « divergente », je ne colle pas forcement aux attentes des autres. Je ne revendique pas cet état de fait. Pour moi, chacun est original, singulier et unique. Je fais simplement partie de ceux, qui ne s’en cachent pas.
Avec moi, c’était toujours « diffèrent ». « Avec toi, c’est différent, ce n’est pas comme avec les autres ». Cette phrase que j’avais tant entendue, voulait dire quoi au juste ? Cela ne voulait rien dire ! Si avec moi c’était différent, cela exprimait plutôt une propriété positive ou négative ? Je n’eue jamais de réponse concrète à cette question.
En mon fort intérieur, je soupçonnai que cela ne devait pas jouer en ma faveur, car si le différent en question était positif, je n’aurais pas été la femme de personne. En bref, j’avais la sensation d’être toujours ou « trop » quelque chose, ou pas « assez » autre chose.
Un de mes ex amants auteur-acteur ou inversement, écrivit à mon sujet « Rien n’y fait, tu es constamment tourmentée, avide de vivre, vivre pour le pire comme pour le meilleur. Avec toi on doute de tout ce qu’on a déjà connu. Tu es l’Eden tout en étant l’enfer, un paradoxe que même toi tu n’arrives pas à t’expliquer. À tes yeux, la vie est simple, elle doit être exaltante, passionnée et tumultueuse ! Et tu penses que tout le monde voit les choses comme toi. Bah non, même si on devrait ! Je suis épuisé de toi, je t’aime, je déteste, je me méprise de penser constamment à toi. Tu ne devrais pas être humaine, mais être un personnage de fiction, car tu es TROP. Je te veux, F ».
Quelques temps après avoir écrits ces mots, je l’avais quitté un matin de décembre après une nuit blanche à lui expliquer les raisons qui me poussaient à partir. En fait, il n’y en avait qu’une seule ; je ne l’aimais pas. Je ne le lui dis pas les choses de cette façon, je ne voulais pas le blesser. Nous avions eu une histoire de six mois, j’avais fait le tour de sa personne. Il ne pouvait pas m’apporter le bonheur que je recherchais et je ne pouvais pas être la fille qu’il désirait avoir à ses côtés, une vie entière. Suite à cela, F décida de se marier avec une Wendy ! Il avait rencontré une comédienne politiquement correcte avec qui il pouvait se projeter dans une vie à deux. Je l’avais recroisé des années plus tard et comme beaucoup d’autres avant et après lui, il regrettait son choix. Il m’incita à entamer avec lui une liaison. Me connaissant plutôt bien il ne fut pas étonné de ma réponse négative.
Quand je vois des couples dans la rue, je me demande… Sont-ils parfaits ? Fréquemment, l’un des deux dépasse de loin l’autre en termes de beauté, d’intelligence et de fonction. Alors pourquoi eux arrivent-ils à se trouver ? Pourquoi font ils l’impasse sur les défauts de l’autre ? Pourquoi ces imperfections deviennent-elles aux yeux de l’autre des qualités ?
Je crois que cela doit avoir quelque chose avec l’amour que l’un porte à l’autre. Et c’est en cela que tout est différent justement. Car quand on aime, les imperfections se gomment comme par enchantement et deviennent des actes ou des caractéristiques touchantes, attendrissantes.
Quand je m’accordais le temps de la réflexion, j’arrivais à un constat, un seul : on ne m’avait jamais véritablement aimé ! Triste ? Oui, mais je savais faire avec cela. Cela m’a été transmis par mon éducation dans le monde en guerre. Je possède une bonne dose de courage. Sans cette bravoure, je ne serais plus depuis longtemps.
Cela étant dit, même si j’acceptais, je ne comprenais pas. Je n’étais pas belle au sens strict du terme, mais j’avais du charme. Indubitablement instruite, vrai cordon bleu, d’humeur agréable même si opiniâtre, j’adorais les enfants, les miens comme ceux des autres. On me disait érotique et charnelle. Certains hommes me courtisaient des années…Tous admettaient que j’étais unique et irremplaçable dans mon genre. Pourtant, je ne reflétais pas l’image que l’on se fait de l’épouse. Bizarre comme logique de fuir ce qui en toute vraisemblance, vous attire.
Ainsi, ce sont écoulés presque quarante-six ans quand ce récit débute. J’allais sur cette date avec calme, vieillir ne m’a jamais tourmenté. Apres tout, comme disait si bien ma mère, « une fois le corps usé par le temps, que reste-t-il si ce n’est l’esprit ? ». C’est pourquoi, tant que mon esprit était vivace, ma carcasse… Je n’en avais rien à faire.
Malgré cela, je ne peux pas dire que je n’étais pas fascinée devant ce chiffre « 46 ». Comment était-il possible d’avoir autant ? Il devait y avoir maldonne, mais le temps terrestre étant formaté comme il l’est, je devais m’incliner. Cette extraordinaire confusion quant à mon « grand » âge, devait avoir raison, je présume, de ma vigilance. Car comme une idiote, je m’étais décidée à revivre comme avant. Vous-vous demandez comment était-ce avant ?
Eh bien, il y a une petite éternité, je vivais dans cette perspective morbide mais ô combien salvatrice, que chaque jour était peut-être le dernier. Je ne comptais plus les soirées, les amoureux, les restaurants, les after et autres occupations parisienne de toute personne normalement constituée de vingt ou trente ans. Je vivais au rythme de mes envies aussi passagères soient-elles.
Sur la totalité de mes conquêtes, je me souviens peut-être de dix prénoms. Pour chacun ou presque, j’étais le temps d’un échange charnel qui ils voulaient. Ainsi, je fus rebaptisée par des prénoms tels que Carla, très à la mode dans les années 80, Diane, cela tombait sous le sens, ou encore Lindsay, qui était familier pour les Anglo-Saxons.
En ce qui me concernait, peu m’importais que le Monsieur se prénomme Pierre, Paul ou même Jacques, ce qui comptait, c’était l’ivresse du moment. Il ne faut pas confondre nymphomanie avec convoitise du beau et du bien-être. Ma divergente morale me dictait que j’étais un homme dans le corps d’une femme. Et si ces messieurs étaient des « vrais hommes » quand ils collectionnaient des conquêtes, pourquoi n’aurai-je pas eu moi aussi ce privilège ? Je savais dissocier l’amour du sexe, je ne mélangeais pas les genres. Je ne m’en ventais pas et non, je ne gardais pas de petit calepin noir avec des numéros de téléphones d’urgence. Je n’ai pas eu mille amants, loin de là. Mais je suppose que j’ai connu plus d’hommes que la plupart des femmes. N’étant vraiment pas une romantique désespérée, ni dans l’attitude ou le caractère, j’avais par conséquent une vie libre de toute contrainte morale, enfin, en ce qui concerne mes relations intimes.
Aussi paradoxale que cela puisse paraitre, dans mes péripéties amoureuses, j’ai toujours étais entière. Je pouvais m’oublier totalement dans les bras d’une personne, mais jamais je ne me suis sentie avilie ou dégradée. Je n’ai jamais eu de tabous sur certaines pratiques jugées par la morale comme répréhensibles. Je ne m’attendais pas une fois l’affaire accomplie devenir la « petite amie » de la créature. Je ne faisais pas l’amour, ce terme devait être réservé à celui avec qui, un tel acte serait possible. Je couchais dans une certaine ingénuité motivée par des pulsions primitives. Quand on y songe deux secondes, la notion cérébrale qu’on veut bien allouer à un acte qui se résume à la jouissance du corps, n’est-il pas qu’un moyen pour les gens de taire leurs culpabilités quant à leur bestialité primale ?
Ainsi, à l’aube de ma quarante-sixième année, j’allais sortir livrer mon ultime bataille. Une action pour retrouver un espoir perdu, un espoir usé par le temps. J’allais entreprendre ce que dix ans durant, j’avais oublié de faire…vivre.
A suivre… Le chapitre 2 sera publié le lundi 13 avril 2020
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