En janvier 2017, j’écrivais à François Hollande pour l’interpeller sur l’état des chômeurs en France. Dix-huit mois plus tard, me voilà à nouveau en train d’écrire une lettre à l’actuel occupant de l’Elysée. Cette fois, le sujet est la dégradation sociale en France, la pauvreté et les réformes en préparation par le gouvernement. Réformes qui vont très probablement causer plus de dégâts humains et sociaux qu’autre chose. Si réponse il y a, elle sera mise en ligne.
Bonne lecture.
Monsieur Le Président de la République,
« Il y a presque deux ans de cela, j’ai, par mes faibles moyens, milité pour votre élection. J’ai à cet effet, rédigé une quantité d’articles sur le risque de ce pays à sombrer dans le joug du fascisme incarné par Marine Le Pen. A vrai dire, j’ai milité pour votre élection, non par choix politique, mais simplement par conviction humaine.
Votre politique, je le soupçonnais, allait être plutôt radicale, réformatrice, proche du libéralisme thatchérien. Cette méthode allait foncièrement à l’encontre de mes intérêts personnels. Mais je me confortais dans ce que je crois et dans ce qu’avant moi écrivait Henri-Frédéric Amiel « L’intérêt personnel n’est que la prolongation en nous de l’animalité ; l’humanité ne commence dans l’homme qu’avec le désintéressement. ».
Ainsi donc, le jour de votre élection, j’étais satisfaite. J’étais apaisée, car une fois de plus, la France avait démontré son humanité. Cela méritait bien quelques sacrifices…
Un an plus tard, j’étais dans la rue pour manifester contre votre politique sociale. N’étant ni « insoumise », ni communiste et encore moins populiste, cette expérience fut troublante. Car une fois de plus, je militais non par conviction politique, n’étant d’aucun bord représenté à cette occasion, mais exclusivement, pour des raisons morales.
Voyez-vous, la morale est pour moi, fondamentale, essentielle et indispensable. Elle nous protège du pire. L’équité qui en résulte, est gage de justice.
Vous et moi partageons des points communs. Nous sommes pratiquement de la même génération, nous avons dans nos domaines respectifs « brulé » les étapes de l’âge, nous avons travaillé à la banque Rothschild, nous sommes sans aucun doute, des gens qui aimons notre patrie. C’est pourquoi, je pense que ce qui va suivre, devrait pouvoir vous interpeller.
A la différence de vos détracteurs qui qualifient souvent votre politique comme étant libérale et autoritaire et ce, à mon sens, pour plusieurs raisons : Sur les similitudes de votre action avec celle de Margaret Thatcher, qui eut recours comme vous le savez surement, à une « stratégie du choc » pour démanteler les bastions du travaillisme et du syndicalisme anglais, déréguler et privatiser des pans entiers de l’économie nationale, en martelant comme vous d’ailleurs, qu’il n’y avait « pas d’alternative ». Sur vos procédures « expéditives » pour faire passer certaines lois. Et très probablement, sur le fait que vous soyez à l’origine de la refonte du code du travail, facilitant les licenciements, plafonnant les indemnités prudhommales, abaissant les APL, abolissant le statut des cheminots, supprimant l’ISF, allégeant l’imposition du capital, etc. Ce qui vous a valu d’être sacré ces jours-ci « leader of the free markets » par le magazine Forbes.
A la différence de vos opposants donc, je crois sincèrement que vous pensez « bien faire ». Que pour vous, c’est la seule voie logique pour que la France, retrouve la position qui, jadis, était la sienne. Loin de moi l’idée de vous apprendre votre métier. Mas j’aimerais, que vous puissiez (ou vous, secrétaire zélé qui lisez ce courrier et arbitrerait sur son transfert à son destinataire d’origine), prendre le temps de concevoir qu’un pays, n’est pas un business.
Un pays, ce sont des gens, des vies.
Une entreprise se gère en fonction de données plus économiques que sociales. Elle doit faire des profits, presque, coûte que coûte. Un pays, ce sont des gens, des vies. Certaines personnes prospèrent, d’autres, peinent. Partir du postulat que l’efficacité politique nécessite d’abandonner les plus nécessiteux là où ils sont, pour ne s’occuper que de ceux qui sont les plus proches de la réussite, est à mon sens, exactement l’inverse d’une politique constructive, en particulier de nos jours. Étant donné que de nos jours, 10 % des plus pauvres ayant un revenu mensuel moyen de 678 euros, paient en moyenne par mois, 379 euros en logement, ne laissant que 299 euros pour tout le reste et que 7 % des ménages les plus pauvres ne parviennent tout simplement plus à payer leur loyer.
Car environ 33 % des enfants logés dans des logements insalubres souffrent de troubles respiratoires, contre 7,1 % dans les autres ménages. Près de 450 000 personnes ont été forcées de retrouver le foyer parental à cause d’une situation précaire. Et la moyenne d’âge au décès des personnes ayant connu une grande précarité est d’environ 49 ans quand celle de la population française est de 77 ans…
Alors, certes, au mois de mars dernier, pas moins de six rapports ont été remis à votre ministre des Solidarités, Agnès Buzyn, et au délégué interministériel à la lutte contre la pauvreté, Olivier Noblecourt. Certes, votre gouvernement compte s’inspirer de la théorie de l’investissement social dans la petite enfance du Nobel d’économie James Heckman. Mais pour ce faire, encore faudrait-il que ces enfants, sur qui vous allez investir pour éviter notamment des coûts sociaux élevés tout au long de la vie par de la délinquance ou du chômage, faudrait-il donc, qu’ils puissent au moins manger à leur faim et avoir un toit au-dessus de leur tête…
Votre Premier ministre, a annoncé le 30 mai dernier, et ce, pour calmer les esprits après les prises de paroles désordonnées de plusieurs de vos ministres sur les aides sociales : « La question n’est pas de savoir s’il y a trop ou pas assez d’aides sociales. La question est de savoir si notre modèle fonctionne et est efficace (…) dans son combat contre la pauvreté ». C’est là en effet, une très bonne question. Mais vous y répondez vous-même. En effet, dans votre vision « avant-gardiste », la « disruption » parait être omniprésente. Votre objectif est, semblerait-il, de former chaque Français pour qu’il puisse se retourner, changer d’emploi au moment opportun et rebondir d’emploi en emploi. Mais c’est également inévitablement admettre que le travail ne sera pas accessible à tout le monde sur toute une vie. C’est accepter qu’il faille aux gens de l’adaptabilité. C’est confirmer à demi-mots, que ceux qui n’arriveront pas à s’adapter, à rebondir, connaîtront fatidiquement la pauvreté dans leurs vies…
Mathématiquement, il ne sera pas possible de trouver des solutions pour les six millions de chômeurs en France. L’Allemagne qui est souvent jalousée en ce domaine, inclut des hordes de gens qui travaillent pour un salaire moyen proche du RSA mais qui ne sont plus, du fait de leurs postes, comptés dans les statistiques. Et même si le nombre de projets de recrutements en France augmentent de 18,7% en 2018 pour atteindre les 2,35 millions d’offres d’emploi. Il n’y a assurément pas six millions de postes vacants. Et même s’il y avait six millions de poste vacants, on ne peut prétendre avoir milles compétences à mettre en avant pour jongler d’un emploi a un autre. Les « compétences transférables », restent souvent, pour ne pas dire, tout le temps, connexes les unes aux autres.
En janvier dernier, l’ONU publiait un dossier sur le chômage mondial. D’après ce rapport, le chômage dans le monde devrait progresser en 2018 avec 192,3 millions de personnes sans emploi, soit 300.000 de plus que l’an dernier et ce, malgré la reprise de l’économie mondiale. La France ne fait donc pas exception à cette nouvelle donne désormais générale.
il y a un élément qui brille par son absence : l’humain.
C’est pourquoi, il me semble qu’avant de bouleverser la vie de millions de gens, il faudrait peut-être prendre en considération ce qui est possible de reformer ou pas. Voter des lois, faire passer des ordonnances, sanctionner, réduire les aides sociales, n’aura certainement pas le résultat escompté. Car dans cette stratégie de disruption, il y a un élément qui brille par son absence, l’humain.
Il est utopique de penser que par des reformes il sera possible de changer les gens. Il est possible par le discernement de changer le monde. Si vous unifiez les aides sociales pour un montant forcément plus faibles que celles cumulées actuellement, les pauvres ne trouveront pas de travail pour autant. Les entreprises ne recruteront pas plus, sauf si vous abaissez le SMIC à un niveau si faible, que le travail ne donnera pas accès à une vie ne serait-ce qu’élémentaire. Il y aura simplement, plus de gens à la rue et la paupérisation de la société française ne fera que s’accentuer.
Je conçois que la dette publique soit de 36.557 euros par habitant et de 73.114 € par ménage, qu’il est impératif de faire des économies. Mais où est l’équité dans le fait que depuis 2009, les actionnaires des groupes du CAC 40 ont récupéré plus des deux tiers des bénéfices de ces entreprises, que les investissements, sont en moyenne seulement de 27,5 %. Quand les salariés de ces entreprises, se sont vu attribuer 5 % du total sous la forme d’intéressement et/ou, de participations ?
… je suis soucieuse de ceux qui n’ont rien. Non qu’ils ne soient rien, ils n’ont simplement rien.
Je ne suis pas jalouse des actionnaires des groupes du CAC 40. Je suis enchantée qu’ils puissent jouir d’une vie confortable. Néanmoins, je suis soucieuse de ceux qui n’ont rien. Non qu’ils ne soient rien, ils n’ont simplement rien. Et pourtant, ils voudraient, eux aussi pouvoir être et avoir. Mais tout les pousse, vers plus de précarité. C’est très certainement pourquoi, 76 % des personnes interrogées récemment par la Fondation Abbé Pierre « estiment qu’il est difficile de trouver la place souhaitée ou méritée au sein de la société française ».
Est-ce là le destin de la France ? Est-ce là ce que nous désirons pour nos concitoyens ? Une brèche béante entre les classes sociales ? Une France du « très » haut et une du « plus » bas ? Ne pourrait-on pas concilier les deux ? Si l’on veut agir efficacement contre la précarité et le chômage, il faudrait prendre en compte les inégalités dans leur ensemble et leur complexité humaine. Peut-être faudrait-il à la place de parler sans cesse de « nouveau capitalisme » parler plus d’un concept tout aussi novateur : Le « social business ». Car aussi fou que cela puisse être, les plus pauvres d’entre les pauvres peuvent œuvrer à leur propre développement si tant est qu’on les soutienne dans ce sens sans les sanctionner et les punir pour un contexte socio-économique qui n’est aucunement, de leur faute.
Monsieur le Président, un jour futur, votre nom apparaitra au panthéon des grands hommes de ce pays. Soyez celui qui aura exercé un mandat équitable pour chacun des Français. Soyez celui qui aura unifié ce pays, non celui qui l’aura déchiré et accru ses divisions. Représentez votre « classe » sociale, mais n’oubliez pas, les autres.
En vous remerciant du temps que vous avez bien voulu accorder à cette lecture, je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, en l’expression de mon profond respect.»
Maria Geyer (Paris) le 05 juin 2018
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Texte fort, superbement écrit.
On se doit d’interpeller le Président, éssayer de le convaincre, le supplier, se mettre à genoux en ésperant qu’il change sa manière de pensée.
On se doit de continuer à faire le constat et refuser une France inégale, une France en manque de solidarité, une societé sans valeurs…
Mais une fois les constats faits et les textes écrits, on pourrait penser une, cent, mille manières d’agir.
Attendre que le changement viennent d’en haut n’est pas souhaitable. Un changement de societé ne sera réussi que s’il est collectif.
Attendons la réponse du Président Macron et continuons à penser ce changement…
Bonsoir Samuel, merci pour ce commentaire plein de bon sens. Belle soirée à vous.
M.G
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