Chaque nouvel an, Mediapart propose à un·e citoyen·ne d’être notre président·e de la République d’un soir, afin de rappeler que celle-ci nous appartient à toutes et tous. Pour 2019, c’est Vincent Verzat, vidéaste de « Partager c’est sympa », qui nous offre ses vœux.
La République nous appartient, sans distinction d’origine, de condition, d’apparence, de croyance, de sexe ou de genre. Chaque année depuis 2010, Mediapart demande donc à un·e citoyen·ne de remplacer et de précéder le président en place dans l’exercice des vœux présidentiels. Il succède dans cet exercice citoyen et mediapartien à Stéphane Hessel (vœux de résistance pour 2011), Moncef Marzouki (vœux d’espoir pour 2012), Édouard Martin (vœux de lutte pour 2013), Ariane Mnouchkine (vœux d’épopée pour 2014), François Morel (vœux de courage pour 2015), Océanerosemarie (vœux de paix pour 2016), Assa Traoré (vœux de fraternité pour 2017) et Sandrine Rousseau (vœux de liberté pour 2018).
Voici le texte intégral de ces voeux 2019
Mes cher·e·s compatriotes,
L’heure est grave. Puisque Mediapart m’a fait l’honneur de m’élire président d’un jour, je prends sur mes épaules le poids de vous dire que l’heure est grave, plus grave que ce qu’annoncera Emmanuel Macron dans quelques heures
Car s’il n’y a plus d’espoir de s’en sortir sans dommage, il y a encore des choix à faire.
La nature se meurt.
L’égalité se meurt.
La fraternité se meurt.
La liberté se meurt.
La démocratie est morte
Et il nous faut faire le deuil. Le deuil de l’espoir, cette pédagogie de l’attente, l’attente des solutions magiques qui rendraient demain miraculeusement souriant. Cet espoir-là est mort, et le seul espoir qu’il nous reste réside dans le présent. Et maintenant, il nous faut faire des choix.
De refuser de vivre avec des remords, de se retrouver dans dix ans à regretter de n’avoir pas fait le maximum, de n’avoir pas tapé du poing sur la table, de ne pas s’être donné les moyens d’être à la hauteur de la plus grande crise que l’humanité ait jamais connue et qui menace son existence même.
Je fais le vœu de tout arrêter. De s’élever au-dessus du train-train quotidien pour voir ce qu’il est encore possible de faire. Arrêter un instant les divertissements qui lentement mais sûrement endorment notre vigilance. L’espace d’une heure, d’un jour, d’une année, faire une pause, bloquer la machine qui force demain à être comme hier, pour refaire des choix.
Président d’un jour, je ne renonce pas à faire preuve de responsabilité et de pragmatisme. Or par les temps qui courent, être pragmatique requiert de la radicalité. Radicalité, c’est remonter à la racine, combattre le problème là d’où il provient pour ne plus subir ses conséquences à chaque nouvelle « crise ».
Ce n’est pas un gros mot, à l’heure où c’est le statu quo qui nous tue. La radicalité est réponse proportionnée à l’urgence et à la gravité de la situation. Car le camp du raisonnable, c’est bien le nôtre : ceux qui croient que l’on pourrait continuer comme avant, ceux qui ignorent ou minimisent le réchauffement climatique pour défendre leurs petits intérêts, ceux-là sont les extrémistes, ceux-là sont dangereux.
Ceux qui se satisfont des petits pas, ceux qui croient encore à la croissance et aux solutions purement technologiques, ceux qui croient qu’un système d’oppression peut être amélioré ou réformé : ceux-là sont les irréalistes, les rêveurs
Ceux, enfin, qui croient que c’est en lissant notre discours et en acceptant les règles du jeu de nos adversaires que nous avancerons : ceux-là ne sont pas sérieux.
Sans pouvoir prédire la date et l’heure, l’ampleur ou la forme de l’effondrement qui s’annonce, sans savoir si ce sera une crise économique, politique, l’épuisement des ressources ou le dérèglement climatique qui l’enclenchera, c’est par la solidarité que je choisis d’y répondre. Construisons ensemble les réseaux qui permettront au plus grand nombre de résister, aux plus précaires d’entre nous de nous réapprendre à vivre.
Stephane Hessel disait ici sur Mediapart, en 2010, de résister, résister à l’autre monde qui peut advenir, celui des Trump et des Bolsonaro, celui des murs, des armes, des frontières, du racisme, de l’autoritarisme. Face à cet avenir sombre, répondons par le nombre, répondons par notre humanité, par l’entraide et le partage. Répondons par la solidarité.
Solidarité entre celles et ceux qui se battent contre les fins de mois difficiles et contre la fin du monde. En 2018, nous avons prouvé d’un côté comme de l’autre que les deux combats ne sont pas opposés, et au contraire qu’ils s’opposent à la même logique, celle de l’argent-roi, du business as usual, du chacun pour soi, de la destruction de l’humain et de la nature pour le profit de quelques-uns.
Créer de l’entraide là où il n’y a que compétition, s’organiser autour de l’amitié au lieu du profit, c’est déjà sortir du capitalisme.
Pour 2019, je fais vœu que cette solidarité s’étende et s’élargisse toujours plus. Que nous nous battions ensemble face aux atteintes à nos libertés qui touchent toutes et tous, face au racisme institutionnalisé, face aux inégalités et aux violences faites aux femmes, aux LGBTQ, face à l’inhumanité du traitement des migrant·e·s.
Pour clôturer cette année 2018, je voudrais rendre un hommage particulier aux militantes et aux militants du climat. À ceux qui résistaient à la Zad de NDDL ce printemps comme à ceux qui marchaient pour le climat à l’automne, à ceux qui attaquent l’État en justice pour inaction comme à ceux qui construisent localement d’autres modes de vie, solidaires, résilients.
À ces hommes et ces femmes qui depuis des années ou des semaines passent leur temps et leur énergie à se battre, je tire ma casquette : c’est grâce à vous et votre détermination qu’on en est là, que l’écologie est enfin devenu un sujet majeur du débat public, capable de mobiliser deux millions de personnes sur « l’Affaire du siècle » qui traînera l’État français en justice, capable d’emmener des centaines de milliers de gens dans les rues trois fois de suite.
Vous l’avez fait, et souvent au détriment de votre confort, de votre santé, de vos proches. Pour 2019, je formule ce vœu pour nous : continuons à nous battre avec acharnement – et prenons soin les uns des autres. Restons soudés et en pleine forme pour affronter les batailles qui s’annoncent, et pour vivre debout, tout simplement.
Mes cher·e·s compatriotes, il est peut-être trop tard. Qui peut dire si le combat que l’on mène n’est pas déjà perdu, s’il est encore temps d’empêcher le chaos climatique, l’effondrement, les inégalités, les conflits ?
Je n’en sais rien. Ou plutôt, je sais deux choses ! Que tout ce que nous apprendrons à faire ensemble maintenant sera utile plus tard. Et qu’il n’est jamais trop tard pour éviter le pire
Je sais qu’un monde à + 2 °C n’a rien à voir avec un monde à + 3 °C, et + 3 °C n’a rien à voir avec + 4 °C. La différence se compte tragiquement en millions de morts.
Je sais que chaque dixième de degré de réchauffement qu’on arrivera à empêcher, que chaque personne sauvée en Méditerranée, que chaque espace de vie et de liberté préservé par nos actions compte. Je sais qu’on a les moyens, maintenant, de le faire
Je sais de source sûre enfin qu’il y a des milliers, peut-être des millions d’entre nous qui passent déjà à l’action ou s’apprêtent à le faire, et qui me donnent du courage pour continuer, autant que j’ai envie de leur en donner.
Françaises, Français, ou locataire de courte durée sur la planète Terre, je nous invite à être lucides, solidaires, et radicaux, pour qu’en 2019, on renverse la table.