Je suis toujours épaté par les gens efficaces. Je veux dire ceux qui ont fait de l’efficacité leur métier et qui ont dans leur musette la solution à tous nos problèmes. Généralement, ils se manifestent à intervalles réguliers au moment où il s’agit de renouveler les occupants des fauteuils d’où ils vont continuer de résoudre les maux qui nous accablent.
Prenons par exemple le problème des gens qui dorment dans la rue. Vous me direz : tout le monde ne dort pas dans la rue. En effet, il y a aussi ceux qui dorment dans des placards suintant d’humidité baptisés « appartements » pour faire croire que ce sont des lieux dignes d’abriter les représentants de l’espèce humaine, hommes, femmes et enfants compris.
Vous me direz encore : il y d’autres petits désagréments dans cette société post-moderne, que celle des SDF. Il y a aussi celles et ceux qui travaillent comme des bêtes pour trois euros et six centimes et qui tremblent à l’idée de perdre leur merveilleux boulot. Et qui, si ça se trouve, dorment dans des placards ou pire dans leur voiture, ou pire du pire sur une bouche de chaleur du métro, si un efficace n’a pas eu l’idée géniale de faire voter un mobilier urbain anti-cafards pour empêcher celui-là de ne pas mourir de froid. Certes, ça ne date pas d’aujourd’hui et on a connu pire dans le passé, et d’ailleurs pas loin sur la terre, c’est pas mieux.
Bon, nous voilà rassuré : les efficaces sont passés par là, ils ont résolu le problème en nous faisant penser à autre chose. La communication, ça s’appelle le Foot, les Jeux Olympiques, le Tour de France, l’Enterrement du rocker, le Baptême du Panda par la Première Dame et l’anniversaire de Jupiter, selon les saisons et les circonstances. Si c’est pas de l’efficacité, ça !
Il y a peu, en 2008 pour être précis, quelques joueurs de casino ont mis tout le système économique mondial en danger par souci d’efficacité : ils voulaient que les riches qui ruissellent sur les pauvres ruissellent encore plus en inventant des usines à gaz de plus en plus efficaces pour que l’argent rentre de plus en plus vite dans les coffres où il s’accumule en attendant qu’il ruisselle. Quand ? Ca c’est une autre paire de manche, ça ruissellera quand ça sera le moment, et ce n’est pas encore le moment.
Pendant quelques jours, les pauvres diables que nous sommes avons cru que c’en était fait de l’efficacité ambiante : les joueurs imprudents avaient fait des bêtises, et ils allaient payer leur cuistrerie algorythmique à la vitesse de la lumière. C’est la devise de l’efficacité : prise de risque, responsabilité, éthique, courage devant l’adversité, tout ça. La culture de l’excuse n’a plus cours, place à la culture de l’efficacité.
Eh bien, nous avons vu : en une nuit les pauvres banquiers en grand danger de banqueroute frauduleuse ont trouvé 1000 milliards d’Euros pour sauver la planète. Avec un héroïsme sans exemple dans l’histoire, ils les ont trouvé là où un jour auparavant il n’y avait que des caisses vides. Comment ont-ils fait ? Ont-ils creusé à mains nues le sol de leurs banques et déterré le trésor de Templiers, des Nazis et des incas réunis ?
En tout cas, ils nous ont apporté la preuve incontestable de leur efficacité. Ils nous ont démontré que quand il faut promouvoir de grandes causes, on peut compter sur eux, surtout quand c’est leur survie qui est en jeu, et qu’en l’espace d’une nuit ils sont capable de faire surgir une montage d’argent là où il n’y avait que ruine et désolation la veille.
Depuis ce temps, les choses ont repris leur train-train : les contribuables doivent aux banquiers l’argent sorti on ne sait d’où qu’ils ont prêté aux Etats appelés à la rescousse pour réparer leur étourderie, et le pauvres continuent de dormir dans la rue, et les migrants sont invités à cesser de respirer et se fondre dans le paysage pour aider les efficaces à résoudre les problèmes de politique internationale.
Comme quoi, il faut toujours faire confiance aux efficaces : non seulement ils savent ce qui est important pour eux et ils s’en occupent très efficacement, rassurez-vous, mais en plus eux seuls savent ce qui est important pour nous et pour les gens qui dorment sur les trottoirs ou passent à pieds nus les frontières dans la neige, ne sont pas des sujets de conversation pour des citoyens bien élevés. Et s’ils persistent à vouloir causer de ce qui fâche, les tribunaux ne sont pas fiat pour les chiens. L’efficacité toujours …
Mais ne vous faites pas de souci : l’efficace en chef a pris la brassée de problèmes à bras le corps et va tout réduire en poudre en moins de temps qu’il n’en faut pour boucler un quinquennat : le travail, le fonctionnariat, le réchauffement climatique, l’instruction, l’information, la fiscalité, la santé, la retraite, les prisons, le chômage, le bénévolat, le logement, la pauvreté, le sénat, la chambre des députés, ce n’est plus Jupiter, c’est Hercule qui a pris le relais et qui va efficacement et durablement tout faire passer par la case pognon. D’abord on arrose là où il y a des inondations, et on attend que ça déborde là où il y a de la sécheresse : on ne fait pas plus efficace en effet !
Parfois je me demande quand même s’ils ne nous prendraient pas un peu pour des imbéciles, ces monstres d’efficacité … Le problème, c’est que nous avons tellement pris l’habitude de croire tout ce qu’ils nous racontent que pour rien au monde nous ne voudrions passer pour des malpolis !
Alors soyons patients. Monsieur Gattaz nous l’a demandé avec insistance et nous n’allons quand même pas lui faire de la peine à cet homme si efficace qui a combattu le chômage à coup de pin’s, et ce n’est quand même pas de sa faute si vous n’avez pas su occuper les emplois qu’il n’a pas créés en échange d’une très inefficace aide de l’Etat !
André BARNOIN (68200 – Mulhouse)