28/07/2017

Je dors mal.

La faute à un corps qui, après 47 ans de service, exprime sa désapprobation et ses difficultés à suivre le rythme. J’ai des bobos partout. Certes pas bien méchants, mais la mécanique montre des signes d’usure. Tendinite chronique, fissure du tendon, hernie cervicale, douleurs disséminées de bas en haut, qui me font me retourner maintes fois dans la nuit. Me relever aussi. Le petit pipi de 6 heures du mat’ étant devenu un classique, tout comme le réveil inévitable de 8 heures.

Du coup, je pensais aux aides-soignantes de l’EPADH « Les Opalines » qui, après 117 jours de bras de fer – l’un des plus longs conflits sociaux de ces dernières décennies – viennent (enfin) d’obtenir quelques avancées. Dans les journaux, « elles dénoncent les cadences infernales, la charge de travail insoutenable et les sous-effectifs ». C’est insupportable. Dans un récent JT, un connard disait grosso merdo qu’il ne fallait pas se plaindre car « dans aucun hôtel vous ne trouveriez, petit déjeuner, déjeuner et dîner pour 80 euros par jour ». Un hôtel, sans déconner ! Il sait de quoi on parle, cet espèce de nase ? On parle juste de la fin de vie, et si possible dans des conditions dignes. Ce conflit, enfin mis en lumière, donne un aperçu non seulement de la façon dont les responsables perçoivent cette « activité » mais aussi la réalité du job quotidien de ces aides-soignants. Et par voie de fait, un aperçu peu reluisant de notre devenir personnel. Notre avenir de vieillards, écartelés entre inhumanité et rentabilité.

Encore que je doute que cet avenir, cette vieillesse à coups de trique, nous soit un jour possible. Parce qu’il faut l’admettre, on n’est même pas certains de pouvoir se les payer ces maisons à 2.500 euros par mois. Déjà, il faudra pouvoir être officiellement à la retraite. Et en admettant, combien pourront-nous mettre sur la table pour profiter de cette merveilleuse fin de vie, dorée aux petits soins ? 900 euros ? 1000 ? Parce qu’entre les trous dans nos carrières, le chômage, les boulots mal payés, qui pourra régler la facture sans s’étouffer… Et ce n’est pas nos mômes, souvent eux aussi en difficulté, qui pourront assumer le paiement de cette rançon.

Et à vrai dire, je me demande si j’en ai envie. En réfléchissant, je crois même que je m’y refuse. Pour y arriver, il me faudrait – à la louche – ajouter 20 ans de boulot. C’est mal barré. Et ce corps qui fait déjà la gueule à 47 ans, voudra-t-il encore avancer à 67 ? Et pour quel genre de vie ? Sans la jouer à faire chialer, je ne pense pas arriver jusque là. Trop d’emmerdes, trop d’angoisses, trop de clopes. Trop de rien. Soyons lucides, c’est un fait.

Je crois même que l’idée me soulage d’imaginer ne pas vivre ces années de vieillesse bradées, dégradantes, où l’humain n’est plus qu’une marchandise en attente du pilon.

Au final, je crois même que ce serait une bonne nouvelle.

(dessin de la formidable Coco – Corinne Rey)