Jean-Paul Delahaye (Inspecteur général de l’éducation nationale honoraire) nous fait l’honneur de nous adresser ce texte pour le publier dans le Journal POUR et PAR les Sans-Voix. Il y présente son nouveau livre « Frapper les pauvres » (éditions de la Librairie du Labyrinthe – 2025).

Ce livre est le dernier d’une sorte de « tétralogie » d’écrits sur le même sujet.

  • En 2015, il y a eu mon rapport d’inspecteur général sur la « grande pauvreté et réussite scolaire, le choix de la solidarité pour la réussite de tous ».
  • en 2021 j’ai publié un récit autobiographique « Exception consolante »
  • en 2002 un essai politique « L’école n’est pas faite pour les pauvres, pour une école républicaine et fraternelle ».
  • En 2025, je publie ce roman (qui peut aussi être lu comme une fable ou une utopie) « Frapper les pauvres » qui met en scène des jeunes de milieu populaire. C’est une façon pour moi d’enfoncer le même clou avec des outils différents

En somme, je suis resté fidèle à ma jeunesse (on conserve toujours au fond de soi l’âge de sa jeunesse d’enfant de pauvre) et à mes convictions, j’utilise cette fois la forme romanesque pour décrire une société et un système éducatif qui demeurent profondément injustes.

Cette lutte des classes … racontée à hauteur de jeunes des milieux populaires est-ce un roman, une fable, une utopie ?

C’est un livre qui met le doigt sur les difficultés sociales et scolaires d’une partie de le jeunesse dont on parle peu : les jeunes des milieux populaires qui vivent dans une grande détresse sociale et qui éprouvent de lourdes difficultés pour accomplir sereinement leur scolarité.

Rapide présentation : Deux jeunes de banlieue repérés au collège comme très bons élèves sont sélectionnés pour entrer à Clovis, un prestigieux lycée parisien. Hébergés à l’internat d’excellence, le contraste entre leurs nouvelles conditions d’études et celles de leurs copains et copines du lycée professionnel Croizat, leur fait découvrir des injustices criantes. Sur fond de pauvreté, de précarité et de suppressions d’heures de cours, ils imaginent, ensemble, une façon originale d’exprimer leur révolte. Ce combat, avoir les mêmes droits que ceux accordés aux enfants de la bourgeoisie, se construit autour de leur cahier de doléances nommé “Brèves d’en dessous”. Une expédition au lycée Clovis est organisée…

Le titre du livre s’inspire d’un poème en prose de Charles Baudelaire qui a pour titre Assommons les pauvres ! Le poème raconte qu’un jour, un vieux mendiant vient demander l’aumône à l’auteur dans un cabaret. Un démon suggère au narrateur de rosser le mendiant, ce qu’il fait jusqu’à ce que le vieux mendiant se redresse et inflige à son tour une correction au narrateur. Les deux hommes sont alors à égalité. Le narrateur conseille au vieux mendiant de faire à présent la même chose avec les autres pauvres. Pour les aider à s’émanciper en quelque sorte.

Mais je fais un pas de côté par rapport au poète en faisant dire à la mère d’un de mes héros que ce n’est pas « assommer les pauvres » que Baudelaire aurait dû écrire. Car, dit cette femme, « quand on est assommé, on ne peut plus se défendre. “Frapper les pauvres”, j’aurais compris. Au moins quand on est frappé on peut répondre. »

C’est ce que font les lycéens du lycée professionnel Ambroise Croizat qui en ont assez d’être non pas frappés au sens littéral, mais assez d’être maltraités par une institution incapable de leur assurer leurs droits d’élèves, par exemple en état défaillante dans le remplacement de leur professeurs absents.

Il est ici imaginé qu’un jour, peut-être, cette jeunesse maltraitée parviendra à dépasser les actions de saluts individuels proposées par une société qui utilise la compassion et la philanthropie pour mieux rester inégalitaire. Quelques « exceptions » montrées sur les estrades médiatiques pourront-elles encore longtemps servir d’alibis pour surtout ne rien changer de fondamental dans notre école ? Ayant com pris qu’on ne peut éternellement compter sur la fraternité des autres, des élèves et des familles, malmenés par un système héritocratique qui n’a pas grand-chose à voir avec l’idéal républicain, pourraient-ils un jour engager le combat pour se sortir par eux-mêmes de leur situation, sachant que les milieux favorisés ne comprennent que le rapport des forces et que les avancées sociales n’ont jamais été données mais ont toujours été conquises ?

Cette lutte des classes racontée dans ce livre à hauteur de jeunes des milieux populaires est-ce un roman, une fable, une utopie ?

Jean Paul DELAHAYE