Je m’appelle Monique, j’ai 51 ans. J’habite dans une banlieue que je qualifierais de moyenne, ni Neuilly, ni St Denis.
Ma vie déjà bousculée par plusieurs périodes de chômage, de séparations, de déménagements y compris en province, était en train de se stabiliser lorsque ma descente vers la précarité a débuté en octobre 2009. Comme nombre de personnes dans ce cas, j’ignorais que c’était un début.
Professionnellement, j’étais Assistante de direction depuis 4 ans (un record !) à l’antenne parisienne d’un armateur suédois fortement connu et apprécié dans son pays d’origine. Jusqu’à ce qu’il soit racheté par le très puissant groupe danois Maersk, groupe familial très intéressé par la flotte et très peu par le personnel de notre structure. Le tout s’est donc soldé par un PSE obtenu à l’arraché et 62 % dudit personnel, licencié. J’étais la première a quitté les boiseries et la moquette feutrée du bureau élyséen de mon patron qui jouxtait le mien. Adieu ligne 1 toujours bondée et RER B jamais à l’heure qui rajoute 3 heures par jour à votre journée de travail.
Au moins, ma fille n’aurait plus à souffrir de me voir rentrer tard, trop tard. Sans jouer les Cosettes, s’ajoutait à cette période des déboires personnels bien pesant pour mes frêles épaules : 4 années de procédure pour obtenir coûte que coûte (c’est bien le terme, moi qui ai donné tant d’argent à mon avocate) la garde de mon fils et pour le moins, le partage du trajet. En effet, un Juge aux Affaires Familiales dans l’Oise a décidé qu’être délaissée pour une autre ce n’était pas suffisant en terme de souffrance, et donc, octroyer la garde à son père tout en me faisant faire les trajets 2 fois par week-end Palaiseau-Creil, puis Palaiseau-Louviers….ça m’apprendrait à vivre ! Je vous laisse imaginer dans quel état de détresse psychologique j’étais. Accepter tout en luttant à coups de référés pour empêcher qu’il ne s’en aille encore plus loin. Jusqu’à ce qu’un autre Juge, de Rouen (entre temps, j’ai été mise au pied du mur par un déménagement) se penche un peu plus sur le dossier et décrète le partage du trajet. Pour le reste, Madame peut continuer de verser ses larmes s’il lui en reste.
A ce stade, et voyant un signe du destin, je me laisse guider par mon optimisme et mon enthousiasme à tourner une page. Je participe alors religieusement pendant plusieurs mois à des séances dans un cabinet d’outplacement dont l’objectif vise à savoir….ce que je pouvais bien faire de ma vie. Le résultat de ce remue-méninges montra des aptitudes à transmettre. Qu’à cela ne tienne, je m’inscrivais illico dans un organisme de formation et obtenait une Certification de niveau II au RNCP.
Durant tout ce temps, mes allocations de chômage m’étaient versées, j’étais sur un nuage. A aucun moment, l’honnêteté du premier consultant, ou de la directrice d’école (SIPCA) ne parvient à me mettre en garde : attention, dans votre spécialité, on a plus besoin de vous et au mieux, vous serez vacataire, fini le salariat. Ah bon, les gros centres de formation n’embauchent pas ? Effectivement, les Cegos, Demos et autres Afpa regorgent d’anciennes assistantes de direction et là, personne ne prend de gants pour vous l’annoncer. Nous sommes alors en 2011. Premier vrai coup au moral, mais l’étape de la reconversion était entamée. J’avais donc perdu du temps et de l’argent sur un faux projet ou plus exactement, j’avais un sentiment d’incomplétude.
C’est alors qu’à la faveur d’un Salon sur la formation, je fais une rencontre importante : celle du coaching et d’une super formatrice en la matière. Bingo ! Je serai donc Coach, moi qui en ai déjà vu des vertes et des pas mûres, Vincent Lenhart n’a cas bien se tenir…Forte de ma Certification, je tape à la porte du Pôle-Emploi auquel je n’avais jamais rien demandé de ma vie. Nul doute qu’on allait me financer, d’ailleurs, mon dossier était prêt, il ne manquait qu’une signature en bas de page.
Mais là, le monde s’écroule. Des phrases du type « coach !! Mais vous n’y pensez pas, ce n’est pas du tout dans la liste des métiers en tension !! ». Euh…pour le coup, c’est la mienne de tension qui chute. Et de m’expliquer que c’est à moi de trouver le financement si cela me tient à cœur. Je suis abasourdie. Autrement dit, aide-toi, le ciel t’aidera. En revanche, si je veux être chauffeur de poids lourd, infirmière (4 à 5 ans d’études !!), pas de problème, on examinera votre dossier.
Une fois de plus, je reprends mon bâton de pèlerin, et mets mon orgueil de côté. Mon courage et la perspective de poursuivre mon cursus me poussent à quémander à mon ancien DG resté dans la nouvelle organisation, un financement, au nom de ce PSE. L’homme était déjà brillant, je découvre qu’il est aussi ouvert d’esprit et qu’il a un coeur. C’est souvent les deux à la fois, depuis je l’ai appris. Mon financement est accepté. En 2012, je suis officiellement coach mais hélas je ne décroche pas le Master, je n’ai pas écrit le mémoire.
Les allocations chômage se sont taries. Je n’ai pas créer ma structure, trop de risques. J’ai charge d’âme et je sais que le cap des trois ans est le plus difficile à passer. Autour de moi, aucun formateur, aucun coach ne vit à 100% de son activité. Mais cela, qui vous le dit ? Je dois reprendre mon ancien métier. Oui, mais le temps a encore passé et malgré des dizaines de candidatures, d’entretiens, tout ce que je trouve c’est une mission d’intérim pour huit mois dont la seule vocation est de recharger des droits d’allocations.
2013 : année noire, il ne se passe absolument rien. Ma fille et moi vivons sur mes toutes petites allocations chômage et heureusement, sa pension alimentaire conséquente. Malgré mes candidatures et très peu d’entretiens, tout échoue. Il me faudra du temps pour comprendre que je dois faire face à un phénomène croissant : le rejet des séniors.
Début 2014 : je me tourne à nouveau vers Pôle-Emploi, avec l’énergie du désespoir. Là, une personne apparemment nouvelle me propose du bout des lèvres un Contrat aidé : il s’agit d’assister la secrétaire du proviseur d’un lycée et de faire de l’archivage. 20 heures par semaine, payées 675 € par mois. Je bondis dessus, c’est déjà Byzance. A l’issue de cette période de 6 mois, malheureusement, on ne peut me garder, pas de quoi remplir un 35 heures. Mais mon travail, ma personnalité ont été appréciés. Le proviseur diffuse mon CV dans toute l’Académie. Ainsi, je fais mon entrée en septembre 2014 au lycée Corot de Savigny. Mais, dans cette institution de l’Education Nationale, certaines CPE n’aiment pas qu’on marche sur leurs plates-bandes, du moins c’est l’impression qu’elles ont….et le contrat n’est pas renouvelé.
De septembre à décembre 2016, c’est donc la case chômage qui reprend ses droits. Et pendant toutes ces dernières années, la vie a été dure face aux impôts locaux, fonciers, etc….j’ai alors maintenant découvert la joie, l’honneur et l’avantage de faire partie de ces heureux propriétaires qui ne peuvent assumer leurs charges.
Ainsi, en Septembre, octobre, je prépare mes vieux parents (79 et 87 ans) psychologiquement à mon retour…à 50 ans !! J’oscille alors entre mettre mon appartement en location ou….vendre. Je suis malheureuse mais je tiens bon, habitée depuis le départ de ma fille il y a 2 ans, par un énorme sentiment de solitude. Celle qui a tout le temps de vous ronger de l’intérieur et vous fait envisager les pires scénarios. Déjà tenté une fois, pourquoi pas deux puisqu’il n’y a pour moi de place ni dans la société ni auprès de quelqu’un.
Novembre 2016 : mon moral est très bas. Une amie, Directrice de la Maison des Solidarités me propose de l’accompagner à une conférence pour témoigner me dit-elle. Sur place, j’en serai incapable, submergée par l’émotion de tout ce que j’entends et qui fait écho. Je ressemble à un volcan en fusion, je fais des efforts surhumains pour ne pas me donner en spectacle. Moi qui voulais tout bien tasser au fond de moi. Passé cet épisode, et grâce à une de ses collègues, j’apprends que la Mission Locale de Massy recrute et que mon profil peut intéresser. En effet, je postule et l’affaire est vite dans le sac.
Là, débute une autre histoire où la condition précaire des uns arrange la perversité des autres, qui savent s’affranchir des lois, entre autres, même dans le social. Pour la petite histoire, j’aurai attendu d’avoir 51 ans pour avoir un premier avertissement et un premier arrêt maladie. Mais, c’est un autre chapitre.
Théoriquement, je dois honorer mon contrat jusqu’à la mi-décembre, mais je ne pense pas tenir jusque-là. Il y a 2 jours, j’ai dû me résoudre à prendre une étudiante pour faire une petite rentrée d’argent et ainsi pouvoir payer mes charges de copropriété qui ont littéralement explosées.
Aujourd’hui, j’ai un grand énorme sentiment d’injustice. J’avais construit ma carrière pour être au top de mes compétences à mon âge avec le poste en adéquation. Or, à cause de cet âge je ne pourrai même pas briguer un poste d’hôtesse d’accueil….Qui pouvait imaginer que le jeunisme aurait pris le pouvoir à ce point là ? Quant au plan privé, que dire là aussi d’une trahison au profit…d’une plus jeune ? Malgré tous les affres de la vie dont je n’ai pas parlé ici, il faut se rendre à l’évidence : si vous n’avez pas la moindre famille pour vous soutenir moralement ou pour remplir votre réfrigérateur…..vous sombrez.
Je fais partie d’une génération sacrifiée. Celle qui a cotisé pour tout le monde, toutes les caisses. Mais aujourd’hui, quand nous sommes dans le besoin, pour nous former, manger, avoir chaud, dormir….il n’y a pas grand monde pour nous aider. Bienvenu au club des 1 300 000 seniors officiellement au chômage, et tant pis si le revenu universel de M. Hamon a quelques 15 ans d’avance, au moins. De gré ou de force, notre société des loisirs et du divertissement y arrivera…mais nous ne serons plus là !
Car, pour en arriver à ce stade de conscience, il faudrait effacer de nos cerveaux le laïus dont tous les experts économiques de tous poils nous ont rebattu les oreilles durant 40 ans et dont on a voulu nous faire croire qu’il était le seul et le meilleur des schémas pour notre bonheur : celui de la croissance, de la performance, de la rentabilité, de la productivité pour qu’enfin, l’économie soit au service de l’humain, et non l’inverse. Mais, nous ne serons plus là !
Monique B. le 23/08/2017