Nombre de personnes indiquent que l’un des côtés positifs de cette crise du coronavirus est qu’elle est l’occasion de lire nombres de textes que nous n’avons pas eu le temps de découvrir jusque là. Oui. Mais cette assertion n’est pas vraie pour tout le monde. D’une part, parce qu’il reste beaucoup de gens qui n’ont pas ce temps, obligés d’aller travailler parce que leur rôle est essentiel dans la lutte contre l’épidémie du coronavirus : personnels soignants, agents d’entretien, salariés des magasins d’alimentation, militants du secteurs social qui accompagnent les personnes à la rue, les migrants… D’autre part, parce que pour lire il faut en avoir les moyens. Quand je parle des moyens, je ne pense pas prioritairement aux moyens financiers – même si cette question existe – mais tout simplement à la capacité à lire. Selon la dernière enquête de l’INED sur ce sujet (2012), 7 % (soit 3,1 millions de personnes !) de la population française adulte âgée de 18 à 65 ans et ayant été scolarisée en France est considérées comme « illettrée ». On parle d’illettrisme pour des personnes qui, après avoir été scolarisées en France, n’ont pas acquis une maitrise suffisante de la lecture, de l’écriture et du calcul, en somme des compétences de base, pour être autonomes dans les situations simples de la vie courante. En France vivent également nombre de personnes qui n’ont pas été scolarisées dans notre pays. Ces personnes peuvent être par ailleurs « lettrées », avoir des compétences de lecture, d’écriture et de calcul correct, bonnes voire excellentes dans une autre langue, mais en revanche peiner, au moins temporairement, avec la langue française.

j’ai entrepris de réécrire de façon simplifiée des textes classiques de la littérature française

Depuis que je sais lire, je profite abondamment de cette joie de lire. Je voudrais donc qu’un maximum de personnes puisse en profiter. Comme enseignante, militante et simplement citoyenne, je côtoie beaucoup de personnes qui n’ont pas accès à ce loisir-plaisir, notamment parce que les textes existants sont trop compliqués pour eux (oui je sais, ce n’est pas le seul problème) Alors j’ai entrepris de réécrire de façon simplifiée des textes classiques de la littérature française pour celles et ceux que je côtoie. J’ai commencé par des nouvelles de Maupassant, un texte court de Victor Hugo, des textes souvent peu connus mais aussi remarquables que leurs œuvres les plus célèbres. Evidemment manquent les mots et le style de ces grands auteurs mais reste l’histoire elle-même, les questions que cela suscite. Comme nous sommes tous reclus et recluses, je me suis dit que c’était le moment de partager ces nouvelles falquées à ma façon, c’est-à-dire « faciles à lire et à comprendre ». Elles sont sur mon blog de Mediapart et destinées aux grands comme aux petits.

Histoire d’une fille de ferme (Guy de Maupassant)

Cette première histoire a été écrite par Guy de Maupassant. Guy de Maupassant est un écrivain du 19eme siècle. Il a écrit des romans et des nouvelles. Une nouvelle est une petite histoire. Cette nouvelle s’appelle : Histoire d’une fille de ferme. Je l’aime beaucoup. Elle raconte l’histoire un peu difficile d’une femme, mais elle a une belle fin.

En voici la 1ère partie :

Il faisait beau.
Alors les gens de la ferme avaient mangé vite. Comme ça, ils pouvaient profiter du beau temps.Rose, la servante, restait seule dans la cuisine.
Elle faisait la vaisselle.
Parfois elle s’arrêtait et regardait le soleil.
Des poules cherchaient des miettes sous les chaises. On sentait des odeurs de ferme.Et les coqs chantaient.Quand elle eut fini son travail, elle se sentit un peu fatiguée.Elle était aussi gênée par les odeurs qui ressortaient à cause de la chaleur.Elle sortit respirer l’air du dehors.
Et se sentit beaucoup mieux.
Et regarda le spectacle des coqs fécondant les poules.

Puis un jeune poulain galopa devant elle.
Elle se dit qu’elle aussi avait envie de courir. Elle avait aussi envie de s’allonger sur l’herbe. Elle alla chercher les œufs pondus du jour. Puis elle s’assit dans l’herbe.
Elle se sentit très bien.Elle regardait la cour de la ferme entourée par des arbres. Elle regardait les herbes hautes d’un vert éclatant.
Elle regardait les pissenlits jaunes comme le soleil.Puis elle alla vers le hangar où on rangeait les chariots. Elle vit un fossé plein de violettes.
Les violettes sentaient bons.
Elle alla chercher une botte de paille.Elle éparpilla la paille dans le fossé.
Elle s’allongea et mis ses bras sous sa tête. Elle se sentait bien et ferma les yeux.Elle allait s’endormir.Mais elle sentit 2 mains saisir sa poitrine.

Elle se releva d’un bond.
C’était Jacques, un garçon de la ferme. Jacques la courtisait depuis un moment. Il travaillait dans la bergerie.
Il avait vu Rose s’étendre dans la paille. Il s’était approché à pas de loup.Il essaya de l’embrasser.Elle le gifla. Elle était aussi forte que lui.Il s’excusa.

Ils s’assirent l’un à côté de l’autre.Ils discutèrent amicalement.Ils parlèrent du fermier qui les employait, un brave homme.Ils parlèrent du temps agréable.
Ils parlèrent des voisins, de leur village, de leur jeunesse. Ils parlèrent de leurs parents qu’ils avaient quittés. Peut-être qu’ils ne reverraient jamais leurs parents.

Rose était émue de penser à tout ça.
Jacques se rapprochait d’elle, envahi par le désir.Rose dit : « Y a bien longtemps que je n’ai vu maman, c’est dur »Elle regardait au loin.

Tout à coup, Jacques lui attrapa le cou et l’embrassa encore.Rose le frappa fort avec son poing. Jacques saigna du nez.Cela attendrit Rose.Elle demanda à Jacques s’il avait mal.

Jacques rit.Il dit que ce n’était rien, mais qu’elle avait tapé au milieu du nez.Puis il commença à regarder Rose avec respect et le début d’un vrai amour.Rose dit à Jacques qu’il se comportait mal avec elle. Jacques répondit qu’il était amoureux d’elle.Rose demanda à Jacques s’il voulait bien se marier avec elle.Il la regarda.Elle avait de belles joues rouges, une large poitrine, de grosses lèvres fraîches.Jacques avait envie d’elle.

Jacques lui dit dans l’oreille qu’il voulait bien se marier avec elle.Alors Rose se jeta à son coup et l’embrassa longtemps.Dans les jours qui suivirent, Jacques et Rose s’embrassaient dans des coins, se donnaient des rdv au clair de lune, faisaient l’amour derrière une meule de foin.Mais peu à peu Jacques eu l’air de s’ennuyer avec Rose. Il l’évitait et ne lui parlait plus beaucoup.

Rose devient très triste et elle s’aperçut qu’elle était enceinte.Puis elle fut très en colère.Une nuit, quand tout le monde dormait, elle alla dans l’écurie où dormait Jacques.Quand il entendit Rose, Jacques fit semblant de dormir. Elle le secoua.Jacques demanda méchamment : « qu’est-ce que tu veux ?»Rose répondit : « Je veux que tu m’épouses, comme tu l’as promis. »Jacques se mit à rire.

Il dit qu’on ne pouvait pas épouser toutes les filles avec lesquelles on avait couché.Alors Rose essaya de l’étrangler.Et elle cria qu’elle était enceinte.Jacques comprit qu’elle était la plus forte.Il dit : « eh bien, je t’épouserai, puisque c’est ça. »Mais Rose ne le croyait plus.Alors elle lui dit qu’il devait s’occuper du mariage dès demain.Et elle lui fit jurer devant Dieu.
Jacques jura.
Rose le relâcha et partit.

Les nuits d’après Jacques s’enfermait dans l’écurie. Alors pendant quelques jours elle ne put lui parler.Puis, un matin, Rose vit arriver un nouveau valet. Elle demanda : « Jacques est parti ? »• Mais oui, dit le nouveau valet. Je suis à sa place. Rose se mit à trembler.Puis Rose monta dans sa chambre et pleura dans son coussin pour que personne ne l’entende.

Elle essaya de comprendre ce qui s’était passé. Elle apprit seulement que Jacques était parti…

A suivre …

J’écris régulièrement dans le journal l’Humanité (tous les mardis) une chronique qui choisit de parler plutôt de celles et de ceux dont on parle peu, qui s’expriment peu… Je vis à Besançon, dans le Doubs, dans l’est de la France. J’enseigne dans un collège avec beaucoup d’élèves en grandes difficultés, dans une prison (une maison d’arrêt) et j’échange régulièrement avec un groupe de personnes dites « handicapées intellectuelles », je suis également en contact régulier avec des personnes migrantes ou des associations qui les accompagnent. C’est de mes rencontres avec eux dont je parle, mais je ne prétends pas m’exprimer à leur place. Je suis heureuse de les partager avec les lecteurs de ce journal. Barbara ROMAGNAN

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