Ce texte a été écrit le 16/11/2021, en réaction à l’annonce des « 264 projets artistiques pour des mondes nouveaux » retenus par le gouvernement suite à l’appel à projet lancé cet été. Le volet culture de France Relance prévoit en effet de consacrer 30 millions d’euros à un « programme de soutien novateur à la conception et à la réalisation de projets artistiques ».
Ce matin, j’ai envie de vomir.
J’ai honte, et j’ai mal pour tous ceux qui luttent depuis 5 ans contre l’injustice et pour nos libertés attaquées par le pouvoir en place, mal pour les artistes qui se battent à travers leurs oeuvres contre la destruction du monde par le capitalisme devenu fou, et parmi eux en particulier les artistes qui survivent à peine, des précaires.
Je suis de celles qui pensent que l’Etat doit soutenir les artistes, leur donner les conditions de travailler dignement et librement.
Mais quelle mascarade, cette grande campagne de récupération par l’Elysée du monde de l’art, en particulier celui qui réfléchit à la possibilité de nouveaux mondes…
Comment peut-on défendre la langue, la liberté, et accepter d’entrer dans le sérail des artistes financés par le pouvoir macronien ? De devenir la caution vivante de cet Etat orwellien à qui il ne manquait que la main-mise sur les arts ? Comment peut-on se prétendre écrivain, poète, et accepter d’être arboré comme un trophée, au moment des présidentielles, par le candidat Macron qui viole nos libertés, spolie nos droits, tord et maltraite la langue, érige le mensonge en technique d’asservissement? Etre financé par celui qui éborgne les citoyens dans les rues, fait gazer les infirmières, menotte les lycéens?
Comment peut-on accepter que le pouvoir paupérise encore les intermittents, laisse crever la plupart des artistes… et accorde 30 millions d’euros pour 264 projets ?
Comment ne voit-on pas qu’il s’agit d’un autre aspect de l’immense entreprise de récupération par la macronie de tout ce qui fait langue nouvelle et pense autrement ? D’empoisonnement de tous nos espaces de contestation ? Qu’il s’agit de confisquer les nouveaux imaginaires ?
Les créateurs subversifs (ceux qui renouvellent la langue, les visions du monde, ceux qui renversent la table), où sont-ils, de quoi vivent-ils ? Pourquoi sont-ils si peu visibles ?
Qui peut penser que cet appel à projet permettra de mettre à jour des « nouveaux mondes », en faisant ramper des artistes aux pieds de celui qui incarne l’ancien monde ? Comment se prétendre pourvoyeur d’un monde nouveau et demander à faire financer son projet en lien avec l’écologie par un gouvernement qui a voté contre les lois anti pesticides et arrose grassement les copains actionnaires des grandes multinationales cyniques ? Comment peut-on s’appeler Damasio, Cynthia Fleury, Frederique Aït Touati, critiquer le pouvoir de Big Brother, et mendier la reconnaissance de ce pouvoir ? En ont-ils/elles vraiment besoin ?
Leur travail sera sans aucun doute beau.
Mais il servira ceux qui nous détruisent.
Et il fera vomir ceux qui vomissent ce pouvoir violent et inique.
Ma réponse à l’appel à projets :
« Le poète est un boxeur gitan.
(À Christophe Dettinger)
Quand ce qui n’existe pas
est filmé en direct par des centaines de caméras
quand les jeunes filles en fleur sont énucléées
par les chiens de garde aux abois
d’un pouvoir enragé
Quand la démocratie
cathédrale en feu
s’enveloppe de brouillards
de mensonges lacrymogènes
quand le pouvoir fait résonner des orgues de grand messe
et que
sur l’autel fumant de nos corps mutilés
s’invite l’imposture des bourreaux de la vérité
reprenons notre langue
maltraitée et tordue
nous avons besoin de scribes de penseurs de tribuns de poètes
car ici
l’état de droit des assassins
enferme et mutile
organise la prostitution de la langue
par des poupées télécommandées
éructant l’absurde et l’obscénité
sur nos écrans
car ici
les grands industriels incestueux violent la planète en réunion
et parlent au peuple
comme à un enfant soumis
Qui prendra soin de la vérité,
troussée comme une fille de joie
par les organes de propagande ?
Qui remettra les mots à l’endroit
qui soignera le langage
du mensonge en bande organisée
le dégèlera
lui lavera le corps
des coups de leurs matraques
qui
le guérira des logiciels
des logorrhées
des logos avariés
et de la langue perfide des communicants ?
Il faudra être poète
dire le vrai pour nous sauver de la laideur
et il faudra retrouver nos mots de boxeur
boxeur gitan
mots bandés poings fermés
car ici
vos idiots sont nos prophètes
ils parlent la langue de demain. »
Extrait de « Feu, poèmes jaunes ». Ed. Le Merle Moqueur
Recueil écrit par Cathy Jurado/ Laurent Thines
Cathy Jurado, le 16/11/2021