Monsieur le Président de la République jupitérien.

Vous avez tout récemment décidé d’animer la rentrée scolaire de septembre prochain par des interventions de musiciens dans les écoles, collèges, lycées de France et de Navarre.
Je viens de recevoir la demande signée de la main de Monsieur le directeur régional des affaires culturelles de Bourgogne-Franche-Comté, transmise par la direction de mon conservatoire.

En voici le contenu dans son intégralité :
 » Madame, Monsieur,
Les deux ministres de l’Education nationale et de la Culture, ont invité les écoles, les collèges et les lycées à accueillir, dès septembre prochain, leurs nouveaux élèves en musique.
Ils souhaitent faire de cette rentrée scolaire un moment de partage et de cohésion. Elle sera donc placée sous le signe de la musique en invitant des musiciens à jouer lors de la rentrée.
Le plaisir d’apprendre est une condition majeure de la réussite des élèves. Pour créer cet environnement favorable, l’école doit offrir un cadre tout à la fois bienveillant et exigeant, qui inspire confiance. Les pratiques musicales collectives y contribuent. La musique est non seulement une pratique culturelle, mais aussi un lien entre les personnes à qui elle fait saisir le sens du beau. C’est pourquoi les pratiques musicales scolaires et périscolaires sont encouragées dès la rentrée 2017, tout au long de l’année et pour les années suivantes.
Grâce à vous , la rentrée scolaire du 4 septembre 2017 bénéficiera d’un moment musical pour l’ensemble des écoles maternelles, primaires, collèges et lycées du territoire. Il s’agira d’organiser un court événement musical, au moment de l’entrée ou de la sortie des classes afin de bénéficier également de la présence des parents.
Sont sollicitées toutes les structures, ensembles, collectifs d’artistes, écoles de musique, étudiants…, à titre bénévole. Sur la base du volontariat, elles prendront contact avec une école afin d’organiser ce moment. Élèves, professeurs, parents, chorales et orchestres, artistes et acteurs culturels pourront chanter et jouer dans les écoles et les établissements le jour de la rentrée. Associations locales, conservatoires et écoles de musique seront mobilisés.
Nous avons bien conscience que cette demande arrive tardivement dans l’été.
Je vous remercie de vous mobiliser dans ce temps très court et de me tenir informé des initiatives que vous prendrez. La Drac de Bourgogne-Franche-Comté centralisera l’information et s’en fera l’écho au niveau national.
En vous souhaitant un bel été et une belle rentrée en musique! »

Je ne gâcherai pas votre précieux temps en me présentant : disons simplement que je m’appelle Antoine Linguinou, que je suis enseignant d’art dramatique dans un conservatoire à rayonnement communal dans le département de l’Yonne. Vous savez peut-être que la discipline que j’enseigne, le cadre dans lequel je le fais et le territoire où j’ai choisi d’exercer mon métier recèlent chacun de nombreuses difficultés. Et pourtant, je fais mon travail, plutôt bien si j’en crois mes supérieurs, mes élèves et les acteurs de la culture et de l’éducation nationale que je rencontre.

Je crois depuis longtemps en un nécessaire rapprochement des ministères de l’Éducation Nationale et de la Culture, pour clarifier, justement, les missions et rôles de chacun. Tout cela assurément pour avancer ensemble vers un avenir meilleur.

Mais, Monsieur le Président de la République, vous qui avez été payé par l’Etat pendant vos études, puis par des entreprises privées dont je ne doute pas qu’elles rémunéraient votre travail au moins à sa juste valeur, vous qui êtes payé aujourd’hui pour votre travail et dont les moindres frais sont pris en charge, vous qui avez réussi, vous comprendrez aisément que je ne peux pas me permettre de répondre favorablement à votre demande de participation bénévole.
J’ai une famille à nourrir, des traites à payer, et une volonté personnelle.

D’autre part, comme beaucoup d’artistes du spectacle vivant, je bénéficie de l’indemnisation du régime des intermittents du spectacle pour mon activité de comédien-metteur-en-scène, ce qui m’interdit légalement, cela aura peut-être échappé à votre sagacité olympienne, d’exercer toute activité artistique bénévole.
Aussi, le jour de la rentrée, Monsieur le président de la République, je n’irai pas chanter, ni jouer de la guitare, ni même dire du Prévert devant le portail d’un établissement scolaire. J’accompagnerai mon fils à son entrée en sixième, et ce, bénévolement, parce que je crois que passer du temps avec sa famille est pour le coup une véritable richesse.

Dernier point, le courrier me demande d’effectuer moi-même les démarches pour contacter des établissements scolaires qui, justement, sont fermés durant l’été. Vous admettrez que ça ne facilite pas les démarches. Par ailleurs, étant moi-même très occupé toute l’année scolaire et une bonne partie de l’été, j’ai prévu exceptionnellement de prendre quelques congés.

Comprenez bien que je serai ravi, en revanche, de la mise en place posée et réfléchie d’une telle mesure pour la rentrée prochaine, et, le cas échéant, je pourrais même vous informer des tarifs des artistes pour ce genre de prestations (mais vous les trouverez sans aucun doute en lisant les grilles salariales de la fonction publique territoriale, ou, dans le cas de mon conservatoire, dans la convention collective de l’animation, voire dans celle des entreprises artistiques et culturelles, qui régit souvent les « associations » mentionnées dans le courrier.)

Pour conclure, Monsieur le Président de la République, je me permettrai de porter à votre attention que les métiers artistiques, s’ils sont souvent exercés avec passion, n’en sont pas moins des métiers, dont l’apprentissage est toujours long, souvent fastidieux, et dont l’exercice mérite une rémunération.

Croyez donc, Monsieur le Président de la République, en l’expression de mes salutations respectueuses, « moi qui ne suis rien » (citation, vous l’aurez reconnue, des mots de Louis XIII dans Marion De Lorme de Victor Hugo) »

Antoine Linguinou, le 20 juillet 2017