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Vous pensez que les personnes qui se retrouvent à la rue n’ont plus aucune attache familiale ni contact avec les institutions de notre pays ?

Eh bien, on peut être allé voir son médecin généraliste la veille, avoir aussi vu sa conseillère Pôle Emploi, avoir un enfant à charge et des contacts réguliers avec les personnes qui s’en occupent, vivre au quotidien chez un ex et avoir eu un contact par téléphone avec un parent le même jour, et être dans la même totale détresse qu’une personne, par les faits, totalement isolée et en rupture avec la société.

Mon témoignage porte sur une situation à laquelle j’ai été confrontée il y a une bonne quinzaine d’années.

… j’ai progressivement glissé dans la dépression sans en être consciente.

À cette époque, j’ai progressivement glissé dans la dépression sans en être consciente. Il aura fallu 3 ans à mon compagnon de l’époque pour finir par se décider à me conduire aux urgences pour que je sois prise en charge en psychiatrie. J’ai d’abord été au chômage et dans l’incapacité de retrouver un emploi. Mes droits sont parvenus à leur terme et sans avoir conscience de ma situation, j’ai continué à vivre sur mes petites économies. Ce n’est que quand j’ai été hospitalisée que l’assistante sociale m’a fait prendre conscience de ma situation et m’a invitée à me débrouiller pour aller au plus vite réclamer mon RSA. Si je n’avais pas été conduite aux urgences à ce moment-là, je serais peut-être décédée aujourd’hui je ne sais comment ou alors transformée en déchet humain. Vous pouvez bien délirer tant que vous voulez, tant que vous ne représentez pas un danger pour les tiers ou ne tentez pas, manifestement, d’attenter à vos jours, la société vous laisse errer sans venir à votre secours. À cette époque, je suis allée voir 3 ou 4 fois un médecin généraliste qui, à chaque fois, n’a su que me déclarer que j’allais bien.

Mais ce n’est pas tout : quand enfin j’ai un tant soit peu repris ma situation en main, j’ai pris conscience que j’aurais dû percevoir après mon chômage le RSA. Eh bien, quel que soit le motif, on ne peut pas percevoir le RSA par effet rétroactif et, a priori (mon interlocutrice des allocs à l’époque dixit), il n’existe aucune solution de substitution dans le cas d’une personne qui, manifestement, à la période où elle aurait été en droit de percevoir ses allocations, n’aura pas été en situation de les demander. C’est un scandale ! Je n’ai jamais digéré cette façon intellectuellement malhonnête de faire du social.

… j’ai fini par m’extraire de cette marginalisation.

Aujourd’hui, pour ce qui me concerne, ayant pu m’appuyer sur certaines ressources et me mobiliser moi-même dans l’évolution, j’ai fini par m’extraire de cette marginalisation. Ça n’est pas le cas pour tout le monde et les services sociaux ne peuvent pas se vanter d’avoir su m’être un soutien pour m’éviter de couler complètement, pas plus que la société ne pourrait prétendre avoir su ne pas me laisser dans la souffrance alors qu’il existait des remèdes à mon problème de santé manifeste, et je ne parle même pas de l’attitude du médecin généraliste que j’ai consulté à cette époque. Je me souviens même d’avoir un jour appelé au téléphone l’hôpital psychiatrique qui m’a plus tard accueillie en urgence. J’ai raconté je ne sais quoi qui s’était produit dans mon congélateur à l’interlocutrice que j’ai eue alors. Elle a seulement eu l’attitude de vouloir terminer notre appel au plus vite. À ce médecin généraliste j’ai même écrit des lettres dans lesquelles, surtout, on pouvait lire que j’étais sous l’emprise d’un délire. Il n’a en rien réagi.

Voilà pour mon témoignage. Il vaut aujourd’hui au moins autant pour attester de ce qu’effectivement des personnes peuvent être totalement laissées pour compte dans notre société alors qu’elles subissent une maladie bien taboue encore : la dépression. Et les personnes en perte de repères (rupture dans la vie sentimentale, perte d’emploi, etc.) sont d’autant plus exposées au risque de cette maladie qui ne toucherait pas tout le monde, certes ! Quand on y sombre, on n’en est absolument pas conscient, on a besoin des autres mais les autres, au mieux, sont indifférents. C’est comme ça. Et la société conforte ce mouvement général.

Ensuite, il m’a fallu des années pour retrouver un moindre potentiel sur le plan cognitif. D’autres ne le retrouvent jamais et restent handicapés pour tous les actes de la vie quotidienne. La société reconnaît un handicap aux personnes victimes de cette maladie, qu’elle indemnise mais seulement après un parcours de dossiers administratifs. Pour tous ceux qui n’ont pas été pris en charge (soit que tout le monde laisse délirer sans leur porter secours), aucune voie de salut dans notre société.

Je tiens à dire que je ne souhaite pas que mon témoignage soit nommément diffusé. Il s’agit d’une période dont je suis sortie et aujourd’hui j’ai des employeurs, entre autres, qui ignorent ma situation à ce niveau et je ne veux plus mentalement être replongée dans cette phase bien douloureuse de mon existence.

Cécile